De la troisième Intifada

Il y a tout d'abord eu ce mini-scandale diplomatique consécutif à l'annonce par le ministère israélien de l'intérieur, en pleine visite du vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, de la construction de seize cents nouveaux logements dans les colonies de Jérusalem. Il y a eu ensuite cette journée du 16 mars où, à Jérusalem et dans plusieurs villes de Cisjordanie, des manifestants palestiniens, pour la plupart très jeunes, se sont affrontés aux forces israéliennes.

Et soudain, certains semblent découvrir que la rhétorique diplomatique en vogue –"reprise des pourparlers", "relance du processus de paix", "retour à la table des négociations" – est en décalage flagrant avec la réalité. Le gouvernement Nétanyahou n'avait-il pourtant pas promis qu'il ferait des concessions ? La population palestinienne ne bénéficie-t-elle pas d'une amélioration de ses conditions de vie, propice à une "reprise du dialogue" ?

Quiconque observe de près la situation en Israël et dans les territoires palestiniens n'est guère surpris des récents événements. En effet il ne s'agit pas d'un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais bien du développement des deux logiques à l'œuvre dans la dernière période : un renforcement de l'emprise israélienne sur la Cisjordanie et sur Jérusalem ; une remontée significative de la mobilisation dans les territoires palestiniens.

Parlons, tout d'abord, de Jérusalem. Seize cents nouveaux logements dans les colonies. Et alors ? Oublie-t-on que ce sont aujourd'hui environ deux cent mille colons qui vivent à Jérusalem et dans sa périphérie ? Oublie-t-on les dizaines d'expulsions et de démolitions de maisons palestiniennes au cours de ces derniers mois ? Oublie-t-on que le "gel temporaire de la colonisation", annoncé par Nétanyahou en novembre, ne concernait pas Jérusalem ? Les seize cents nouveaux logements ne sont pas un accident, ils s'inscrivent dans une logique revendiquée et assumée depuis 1967 : la judaïsation de Jérusalem et son isolement du reste des territoires palestiniens, pour contrer toute revendication de souveraineté palestinienne sur la ville.

Parlons, ensuite, de la Cisjordanie. Si l'afflux des aides internationales a permis à l'Autorité palestinienne de Ramallah de payer les salaires des fonctionnaires et de relancer partiellement l'économie, il est très audacieux, comme le reconnaissent le FMI et la Banque mondiale dans leurs rapports, de parler d'une reprise économique réelle. Si le PIB palestinien a globalement augmenté en 2009, il demeure inférieur de 35 % à celui de 1999. En outre, cette augmentation globale dissimule mal des disparités flagrantes : le secteur du bâtiment a certes progressé de 24 %, mais la production agricole est en chute de 17 %...

Qui plus est les évolutions dans le domaine économique n'ont pas remis en cause le contrôle israélien sur la Cisjordanie : "L'appareil de contrôle est devenu de plus en plus sophistiqué et efficace quant à sa capacité à affecter tous les aspects de la vie des Palestiniens (…). L'appareil de contrôle comprend un système de permis, des obstacles physiques (…), des routes interdites, des interdictions d'entrée dans de vastes parties de la Cisjordanie, et de manière encore plus notable la barrière de séparation. Il a transformé la Cisjordanie en un ensemble fragmenté d'enclaves économiques et sociales isolées les unes des autres." C'est la Banque mondiale qui le dit, dans un rapport de février 2010.

Enfin, depuis son annonce d'un "gel temporaire" de la construction de colonies, le gouvernement Nétanyahou a autorisé la mise en chantier de trois mille six cents logements, poursuivant une politique de colonisation systématique qui a vu, l'an passé, le nombre de colons installés en Cisjordanie augmenter de 4,9 % tandis que l'ensemble de la population israélienne ne croissait que de 1,8 %. Last but not least, le 3 mars dernier Nétanyahou déclarait que même en cas d'accord avec les Palestiniens, il était exclu qu'Israël renonce à son contrôle sur la vallée du Jourdain…

Parlons de Gaza, enfin. Coupée du monde et soumise à un blocus renforcé depuis qu'elle a été déclarée "entité hostile" par l'Etat d'Israël en septembre 2007, la bande de Gaza connaît une situation de catastrophe économique et sociale sans précédent. En l'espace de deux ans, ce sont 95 % des entreprises qui ont fermé et 98 % des emplois du secteur privé qui ont été détruits. La liste des produits interdits à l'importation est un inventaire à la Prévert : livres, thé, café, allumettes, bougies, semoule, crayons, chaussures, matelas, draps, tasses, instruments de musique… L'interdiction d'importer du ciment et de nombreux produits chimiques empêche la reconstruction des infrastructures détruites lors des bombardements de 2008-2009, qu'il s'agisse des maisons ou des stations de traitement des eaux usées, avec les conséquences sanitaires que l'on imagine.

Comment s'étonner, dès lors, que la colère monte chez les Palestiniens ? Les événements du 16 mars font suite à de nombreuses initiatives qui, bien que n'ayant guère eu d'écho médiatique, témoignaient d'une remobilisation de la population palestinienne. Entre autres : de multiples manifestations, dans les villages autour de Béthléem ou de Hébron, contre les extensions des colonies et les confiscations de terres ; des défilés hebdomadaires, dans les villages de Ni'lin et Bi'lin, contre la construction du mur et les expropriations ; trois mille manifestants à Jérusalem, le 6 mars, contre les projets de colonisation et les expulsions…

La répression contre cette remobilisation a fait un saut qualitatif au cours des derniers mois. Les manifestations ont été systématiquement dispersées à coup de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Le nombre d'arrestations et d'incursions israéliennes dans les villes, villages et camps de réfugiés, a augmenté de manière spectaculaire depuis le début de l'année 2010. Les autorités israéliennes ont récemment décrété que les villages de Bi'lin et Ni'lin, symboles de la lutte populaire et non-violente, auraient dorénavant le statut peu enviable de "zones militaires fermées" chaque vendredi (jour de manifestation), et ce pour une durée de six mois.

Sommes-nous au début d'une "troisième intifada" ? Il est probablement trop tôt pour répondre à cette question, mais il est néanmoins évident que nombre de conditions sont réunies pour qu'une fois de plus les Palestiniens protestent de manière visible et massive contre le sort qui leur est fait. Ils ne se contenteront pas de "négociations indirectes", faisant l'impasse sur l'essentiel (l'occupation de la Cisjordanie, le blocus de Gaza, Jérusalem, les colonies, le sort des réfugiés, les prisonniers) menées par un Mahmoud Abbas décrédibilisé et inaudible. Les événements de ces derniers jours l'indiquent clairement : nul ne peut prédire avec certitude dans quels délais, mais la population palestinienne, composée à plus de 50 % de jeunes de moins de 15 ans, se fera de nouveau entendre.

Julien Salingue

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