Si on avait consulté les oracles – je veux dire les féticheurs –, on aurait certainement vu qu’un orage planait dans l’air frais de Léopoldville en cette fin de juin 1960. Dans la cité dite indigène, la rumba avait conquis les corps des macaques* devenus frénétiques, pendant qu’Indépendance Cha Cha retentissait partout comme un chant de ralliement.
L’indépendance. Un rêve qui s’ancre. Le 30 juin, Baudouin Ier, roi des Belges, débarque. Sur son parcours, un Congolais surgit de la foule, fonce sur sa voiture décapotable et lui arrache son sabre ! Mauvais sang ? Oui. Par un matin frileux, officiels congolais et belges se retrouvent au Palais de la nation. Au programme, deux orateurs : le roi des Belges et le président Joseph Kasa-Vubu. Mais c’est compter sans le Premier ministre Patrice Lumumba qui, se croyant marginalisé, décide de monter à la tribune.
Le malaise s’installe lorsque Baudouin loue l’action civilisatrice de Léopold II. Sans finesse aucune, il dit aux Congolais qu’ils savent à qui s’adresser en cas de pépin. Juste ce qu’il faut pour déstabiliser Kasa-Vubu, qui saute certains passages de son discours. Lumumba, virulent, évite de s’adresser au souverain et instruit le procès de quatre-vingts ans de présence coloniale. Pour les Belges, c’est un crime de lèse-majesté. Mauvais sang ! Baudouin a la rancune tenace : le sort de Lumumba est scellé. Cinq jours plus tard, le chef belge de l’armée, le général Janssens, déclare aux soldats congolais : « Avant l’indépendance égale après l’indépendance. » C’est le début des mutineries. Dans la nuit du 9 au 10 juillet, l’armée belge intervient. Le 11, le Katanga, soutenu par la Belgique, fait sécession. Le Congo, tel un boxeur sonné, met un genou à terre. Sept mois plus tard, Lumumba est assassiné à Élisabethville, au Katanga, en présence d’agents belges. J’avais 5 ans.
C’est sous Mobutu que j’ai compris le rôle des Belges dans les malheurs du Congo. Et le sens du mot paternalisme. Et cette façon pour certains d’entre eux de croire que les macaques sont toujours macaques, des enfants dont ils doivent être éternellement les tuteurs. Pourquoi ceux qui n’avaient jamais respecté les droits des Congolais s’étaient-ils, tout d’un coup, transformés en donneurs de leçons ? En oubliant les crimes de Léopold II. Mais les Congolais se sont-ils désaliénés ? Ont-ils compris qu’ils peuvent exister, penser par eux-mêmes ? J’en doute. Et c’est notre mauvais sang.
* Insulte préférée des colons belges à l'égard des Congolais.
Tshitenge Lubabu M. K
Mauvais sang
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