Du keffieh

C’est à partir du milieu des années 1960 et l’entrée sur la grande scène internationale de la résistance armée palestinienne que le keffieh (كوفية) fait son apparition dans l’imaginaire visuel de la planète. A côté d’Arafat qui en a fait une sorte de signature graphique contribuant à en faire un personnage à part dans la galerie des portraits des hommes politiques de stature internationale, le keffieh apparaît régulièrement dans les médias à travers les photos des actions spectaculaires que mènent les fedayins (d’après Alain Rey, ce dernier mot est un peu plus ancien et remonte aux années 1956, celles de la guerre du canal de Suez).

Rouge et blanc dans les pays situés plus à l’Est - Jordanie, Yémen, Irak… où il est aussi appelé shemagh (شماغ) - le keffieh se porte plutôt en blanc et noir en Palestine (mais les fractions les plus à gauche n’hésitent pas à choisir le modèle rouge et blanc, en signe de proximité avec les masses paysannes !) Quelle que soit la couleur, le keffieh est par principe un attribut exclusivement masculin. Ce portrait de Leïla Khaled, au temps où cette militante du FPLP palestinien participa à diverses opérations de la guérilla vers la fin des années 1960, contient donc plus d’une affirmation : celle de l’identité nationale palestinienne d’abord, celle de la lutte armée ensuite, et enfin celle de l’émancipation féminine. (Aujourd’hui membre du Conseil national palestinien, Leïla Khaled appartient également à l’Union générale des femmes palestiniennes.)

En réalité, le keffieh est devenu un symbole politique bien avant que la revendication nationale palestinienne finisse par s’imposer sur la scène internationale grâce à la lutte armée. Dès 1936, la coiffure des paysans - par opposition aux tarbouches des effendis urbains - fut adoptée par l’ensemble des Palestiniens au cours de la lutte menée alors par un des pères de la résistance, cheikk Izeddine Qassâm (عزّ الدين القسّام) : il s’agissait, paraît-il, de permettre aux combattants de se fondre dans la masse de la population et de ne plus être repérés à cause de leur foulard.

Pourtant, à en croire Fred Halliday, l’histoire du keffieh relèverait de ce qu’un autre historien anglais, Eric Hobsbawm, a appelé une “tradition inventée” (comme de nombreux aspects de la célébration de Noël par exemple !) Dans un court mais très stimulant petit livre intitulé 100 myths about the Middle East, il affirme ainsi que le foulard devenu aujourd’hui l’emblème de l’identité palestinienne est de création récente. S’il existe depuis des siècles une industrie du textile spécialisée dans ce type de production, et notamment en Irak à Kufa (كوفة), ville qui lui aurait donné son nom, et si les paysans du Moyen-Orient portent sans doute depuis plus longtemps encore un morceau de tissu enroulé autour de la tête, ce motif, précisément, aurait été inspiré d’un modèle dessiné dans les années 1920 pour la célèbre Légion arabe par une société commerciale sans doute d’origine syrienne mais installée à… Manchester !

Quelle que soit son origine, et même sous les assauts que la mode lui a fait subir, comme d’autres symboles de la lutte populaire - à commencer par le portrait de Che Guevara -, le keffieh des Palestiniens n’a pas totalement perdu sa puissance d’évocation...

CPA

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