« A l’ancienne figure de « l’ennemi intérieur » communiste ou colonial (Guerre d’Indochine et d’Algérie) s’est substituée celle d’un « ennemi intérieur postcolonial », désigné à la fois comme local et global, dissimulé dans les quartiers populaires, surtout parmi les non-blancs pauvres. Au-delà des profonds changements géopolitiques, économiques, et sociaux qu’à connu le monde depuis la fin des colonies, au-delà des mutations doctrinales majeures au sein de l’armée et des forces de police, le contrôle de l’immigration postcoloniale aura été en France le principal « fil rouge » ayant permis l’étonnante résurgence de certaines représentations racialistes au sein des médias dominants, comme celles de certains dispositifs de contrôle coloniaux au sein des appareils d’Etat. L’ancienne doctrine de la guerre révolutionnaire conçue pour la répression coloniale et le modèle sécuritaire contemporain ont en effet en commun un grand nombre de mécanismes. Tout d’abord, les trois axes imaginaires autour desquels l’une et l’autre sont organisés :
- focalisation sur un ennemi intérieur socio-ethnique renvoyé à une menace globale ;
- conception du contrôle comme une médecine du corps national ;
- utopie d’une société sure et assainie opposée au mythe d’une société gangrenée.
Trois logiques communes régissent la contre-subversion et la domination sécuritaire :
- la tendance à ne plus distinguer les domaines classiques du conflit : temps de paix/temps de guerre, intérieur/extérieur, civil/combattant, policier/militaire
- La triple fonction des domaines de l’exception : laboratoire, vitrine, rouage ;
- L’ethnicisation de la menace et la division racialisée de la société.
Pour enrôler la société dans son auto-contrôle, l’ordre médiatico-sécuritaire généralise une forme de pouvoir lui permettant de fabriquer l’ennemi, de le tolérer et de l’entretenir, de le détruire et de le remodeler, de concevoir le désordre dans la perspective du rétablissement de l’ordre. La constitution de hiérarchies parallèles pour encadrer la population, l’infiltration et le retournement, le renseignement, la manipulation et la désinformation médiatiques, l’action psychologique, le quadrillage militaro-policier de l’espace, la surveillance des communications, l’instrumentalisation d’événements traumatiques (attentats, crises...) sont devenus dans le nouvel ordre sécuritaire autant de règles fondamentales du jeu politique. Les quartiers populaires ségrégués sont investis comme des territoires d’exception et les descendants pauvres des colonisés comme des corps d’exception. La temporalité du pouvoir y est celle de l’exception permanente. Comme dans les colonies d’autrefois, il est donc possible d’y pratiquer une violence d’exception.Ces domaines de l’exception (temps, espace ou corps) sont à considérer comme des vitrines de la puissance d’Etat, permettant de montrer ce qu’il en coûte de désobéir ou d’être exclu de la communauté des citoyens à part entière… » (Mathieu Rigouste, L'ennemi intérieur)
Le nouvel ordre sécuritaire
Publié par Le Bougnoulosophe à 3/01/2009
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