S'il existe une question féministe qui mérite approfondissement parce qu'elle est compliquée et recouvre des enjeux fondamentaux pour nos existences, c'est bien celle des imbrications structurelles entre l'oppression fondée sur le sexe et les oppressions fondées sur l'appartenance à une race, ethnie ou culture, regroupées ici sous l'appellation « racisme ». Nouvelles Questions Féministes revient ainsi, dans le présent numéro, sur la thématique amorcée dans le premier volume de cet ensemble de deux numéros consacrés au sexisme et au racisme. En effet, qu'il s'agisse de l'imposition du voile ou de son interdiction, de la prostitution, des mariages non consentis, des violences ou des discriminations sur les lieux de travail, l'oppression sexiste ne s'inscrit ni ne se lit dans le corps abstrait de la femme universelle et anhistorique, mais dans celui de femmes particulières et particularisées, dans un contexte social déterminé, caractérisé par d'autres rapports de domination.
Parallèlement, le racisme n'est pas une simple disposition psychologique de rejet s'exerçant à l'encontre d'un «Autre» abstrait et asexué: les manifestations du racisme (qu'il s'agisse des discours qui construisent et simultanément stigmatisent des minorités ou de pratiques discriminatoires) sont inscrites dans le système patriarcal. En cela, elles sont modelées, façonnées, construites par le sexisme. Cela ne signifie pas que le sexisme, en tant que système social, précède le racisme (il n'est pas ce qui le génère), mais qu'il lui confère toujours une configuration particulière et unique. La prise en compte des imbrications multiples du racisme et du système patriarcal, ainsi que du système de classes, doit permettre d'affiner nos analyses de l'oppression sexiste et d'élaborer des perspectives d'actions militantes plus pertinentes et efficaces.
La conscience de l'imbrication intime des systèmes d'oppression n'est pas nouvelle dans la pensée féministe. C'est depuis le milieu du XIXe siècle, avec Flora Tristan et les saint-simoniennes que des féministes - socialistes, anarchistes, puis marxistes et radicales - ont cherché à saisir les relations entre rapports sociaux de classe et de sexe. Et depuis plus de cinquante ans, si l'on prend la conférence de Bandoeng (île de Java) comme date d'émergence d'une conscience partagée par les peuples victimes du colonialisme occidental, les féministes de ces peuples, investies dans les mouvements anticoloniaux ou antiracistes (par exemple dans le mouvement des droits civiques aux États-unis, cherchent à mettre au jour les liens entre sexisme, racisme et domination de classe. Les exemples abondent. En Grande-Bretagne en 1973, Selma James publie Sex, Race and Class chez Falling Wall Press. Aux États-Unis, le collectif Combahee River se forme à Boston dès 1974, par scission du NBFO (National Black Feminist Organisation, fondée l'année précédente à New York). Son manifeste, qui appelle au développement du féminisme noir, déclare: « ... nous sommes activement engagées dans la lune contre l'oppression raciale, sexuelle, hétérosexuelle et de classe, et concevons comme noire tâche particulière. Le développement d'une analyse et d'une pratique intégrées, basées sur le fait que les principaux systèmes d'oppression sont inter-reliés (interlocked).» En 1981, ce sont les deux lesbiennes chicanas Cherrie Moraga et Gloria Anzaldûa qui posent la première pierre du féminisme chicane et d'une large coalition des radicales autochtones, asiatiques, noires, chicanas, latinas et « femmes du tiers monde », donc elles rassemblent les textes dans leur anthologie pionnière This Bridge Calted My Back.
En 1984, Chandra Mohanry, féministe d'origine indienne, analyse avec une clarté méridienne - sans pour autant considérer le féminisme occidental comme un bloc monolithique - comment un certain discours féministe occidental et universitaire crée les femmes du tiers monde comme leur propre faire-valoir: « [la femme du tiers monde] mène une vie fondamentalement tronquée, basée sur son genre féminin (lire: sexuellement contrainte) et son appartenance au tiers monde (lire: ignorante, pauvre, sous-éduquée, traditionaliste, domestique, orientée vers la famille, victimisée, etc.). Cela, comme j'essaierai de le montrer, par contraste avec l'auto-représentation (implicite) des femmes occidentales comme éduquées, modernes, possédant le contrôle de leur propre corps et de leur sexualité, et la liberté de prendre leurs propres décisions. » Entre ces quelques dates et ces quelques noms, bien d'autres pourraient être cités, mais l'on ne peut ici faire l'inventaire des textes publiés dans les anthologies, de plus en plus nombreuses, qui s'efforcent de donner une voix au féminisme antiraciste (comme celle éditée par Adrien Katherine Wing en 2000, préfacée par Angela Davis), ni de ceux mis en perspective, dans ce numéro, par l'article de Danielle Haase-Dubosc et Maneesha Lai et celui de Sabine Masson.
Interrogeant les effets des colonisations passées et présentes - les effets des discriminations fondées sur la race ou la culture, les questions posées dans une perspective postcoloniale peuvent se résumer à celle-ci :
comment l'Occident colonisateur a-t-il construit et continue-il de construire l '«Autre » colonisé-e ou racisé-e (généralement issu-e de peuples ou groupes anciennement colonisés)? Dès lors, il saute aux yeux que cette question est la même que celle du genre : comment le genre est-il construit, comment l'humanité a-t-elle été séparée en deux groupes présumés différents et, dans le même mouvement, hiérarchisés?
C'est en effet la notion de construction qui est la plus importante dans le tournant intellectuel et politique que marquent les études postcoloniales. Si leur essor s'inscrit dans le contexte socio-historique des luttes, il est également le fruit de nouveaux paradigmes qui ont profondément transformé les sciences humaines et sociales. Le premier changement de paradigme peut être très globalement identifié comme l'abandon progressif du fonctionnalisme sociologique, et son remplacement par une approche précisément constructiviste, attentive aux processus de naturalisation des catégories sociales. Une des avancées majeures pour notre thématique est le nouveau paradigme de la construction de l’ethnicité, développé par l'anthropologue Fredrik Barth dans sa célèbre introduction à Ethnic Groups and Boundaries (1969). Dans cette perspective, l'Identité ethnique (ou ethnicité) et la culture d'une société ne sont plus conçues comme une correspondance entre une personne ou un groupe et une série de traits culturels prédéfinis, mais comme le produit instable de la volonté de ces groupes de se distinguer, par la sélection active et la mise en exergue de « traits culturels» censés les définir mutuellement: ainsi les frontières peuvent-elles se maintenir entre des groupes dont l'ancienneté des contacts et la proximité culturelle auraient au contraire pu laisser prévoir un effacement de ces frontières. L’Identité ethnique et la culture d'un groupe ne sont pas des essences mais le produit d'une activité collective, qui ne peut être étudiée qu'en analysant les rapports de pouvoir qui lient les groupes. Bien avant Barth, le célèbre texte d'Albert Memmi, publié en 1957 en pleine guerre d'indépendance de l'Algérie, et intitulé Portrait du colonisateur suivi du Portrait du colonisé que les militaires français trouvaient dans les poches des résistant-e-s algérien-ne-s, fut ensuite traduit en plusieurs langues et devint une référence majeure des acteurs des luttes de libération coloniale dans le monde. Ce texte pionnier décrivait dans une perspective interactionniste comment les rapports de pouvoir entre les colonialistes et les colonisé-e-s construisaient l'identité et la culture de l'oppresseur tout autant que celles de l'opprimé-e.
Ces avancées théoriques ont précédé l'émergence, dans les années 70, de plusieurs mouvements de libération des minorités en Europe et en Amérique du Nord (en France, les divers courants appelés « mai 1968 »; en anglophonie, Women's Liberation Movement, Black Movement, American lndian Movement, Lesbian and Gay Movement), qui ont obligé les sciences sociales à repenser en profondeur les rapports entre pouvoir et savoir, entre domination et catégorisation sociale. Ces mouvements militants, avec d'autres centrés sur l'articulation des luttes antisexistes, antiracistes et anticapitalistes (le Black Feminism par exemple, le Chicana Feminism, le Third World Feminism), ont investi les universités anglophones pour y développer les Gender Studies, les Critical Race Studies, les Subaltem Studies, les Gay et Lesbian Studies et les Queer Studies. Toutes ces dénominations qui, en dehors de Études Genre, n'ont pas d'équivalents en français, commencent aujourd'hui à être connues dans le monde francophone, et regroupées - à tort ou à raison - sous le terme de « postcolonialisme ». Nous suivons ici cet usage, tout en étant conscientes du fait que le postcolonialisme vient de tant de courants, et se subdivise depuis sa création en tant d'autres, que son unité n'est qu'apparente. Mais quel que soit le terme que l'on utilise, l’important est que la somme de ces courants permet à certaines féministes de placer au centre de leur militantisme et de leur réflexion l’imbrication des systèmes de domination. C'est d'autant plus urgent d'analyser et d'élaborer des réponses à la question de l'imbrication que les pouvoirs occidentaux ont aujourd'hui renouvelé, partout dans le monde, leurs moyens d'opprimer les femmes. En effet, sur le plan économique d'une part, on constate un renforcement intense du régime néolibéral de commerce international, basé sur une division sexuelle du travail dans laquelle sont exploitées, en premier lieu, les nouvelles forces de travail féminin de l'Asie et de l'Europe de l'Est, «libérée » du communisme. D'autre part, sur le plan géopolitique, on assiste à un déploiement du religieux et à son recouvrement partiel - ou apparent - du politique, et à la montée en puissance de formations politico-religieuses extrêmement rétrogrades dans de nombreux pays, au premier rang desquels les États-Unis fondamentalistes de la dynastie Bush. Les pouvoirs occidentaux, soucieux de maintenir leur hégémonie et leur approvisionnement pétrolier en particulier, développent leur contrôle militaire et sécuritaire à l'intérieur comme à I'extérieur, grâce à la menace du « terrorisme », et plus particulièrement d'un nouvel ennemi : l'Islam (plus exactement, d'une figure profondément manipulée de l'islam). Les femmes sont directement visées par les fondamentalismes religieux - par exemple l’opposition de la dynastie Bush à l'avortement a des effets à l'échelle mondiale - tandis que la « question des femmes» est à nouveau manipulée, elle aussi, pour justifier des entreprises néocoloniales en Afghanistan, en Irak et ailleurs, et plus largement pour opérer une coupure idéologique entre les représentants de la civilisation et les sauvages de l'axe du mal.
Nous devons donc plus que jamais analyser l'oppression des femmes en tenant compte de leur inscription dans le «système monde» des histoires de domination coloniale et néocoloniale (Wallerstein, 2006). Par la même occasion, on ne peur plus penser l'oppression des peuples- dans cette nouvelle configuration politique sans voir l'enjeu crucial que représentent les femmes. D'abord les femmes réelles, principale force de travail dans beaucoup de zones rurales, d'industries délocalisées et dans l'économie tertiaire internationale du « care » et du sexe qui occasionnent une migration féminine internationale sans précédent dans l'histoire mondiale. Ensuite la femme, fantasmée dans et par la propagande médiatique où son image de victime (de « l'Autre» bien entendu) joue un rôle de catalyseur dans les nouveaux durcissements nationalistes et religieux, et dans les mobilisations militaristes, aussi bien en Occident que dans le monde arabo-musulman et les pays asiatiques.
Dans le premier numéro « Sexisme et racisme », où le « cas français » a été examiné de près, nous avions montré comment l'oppression des femmes devenait, dans la bouche des hommes politiques, un argument quasi électoraliste, le bloc « droits des femmes», cause universelle et cependant propriété privée de l'Occident, étant transformé en argument ou condamnation opposable à tous les peuples soumis ou à soumettre, à tous les « ennemis » de l'extérieur ou de l'intérieur. Nous avons donc mis cette forme d’instrumentalisation des femmes en rapport avec des situations coloniales passées, mais aussi avec les situations qui ont suivi les colonisations: comme au XIXe siècle, les féministes occidentales d'aujourd'hui sont conviées à cautionner tant les entreprises guerrières que les justifications « morales » de la domination. Au terme de notre réflexion dans le premier numéro. Le mot « postcolonial » semblait alors s'imposer. D'où le titre donné à ce second numéro: que recouvre le mot « postcolonial »? Le « post » signifie-il qu'il faut mettre l'accent sur le fait que la colonisation est du passé (« c'est fini tout ça »)? Ou sur le fait que la colonisation a eu lieu, et que le cours de l'histoire a été changé de façon irréparable? Indique-t-il le maintien de liens de subordination entre les ex-métropoles et les ex-colonies? En réalité, aucune de ces ambiguïtés ne peut être levée, et c'est sans doute ce qui fait le succès du mot.
Nous avons donc souhaité, dans une deuxième livraison, approfondir les questions posées dans le premier numéro. Notamment, les articles de Christine Delphy et de Christelle Hamel y proposaient alors une analyse de la façon dont le racisme sépare en groupes distincts et hiérarchisés la population du territoire français, par l’attribution à « l'Autre», Arabe ou Noir, d'une « différence » qui sert ensuite de fondement à la légitimité du traitement différentiel qui lui est appliqué: non seulement des discriminations concrètes, mais des critères qui diffèrent d'une personne à une autre pour justifier sa situation, constituant ainsi des groupes.
Dans ce second numéro, « Sexisme, racisme, et postcolonialisme », l'article de la juriste Leti Volpp montre précisément comment un tel processus idéologique œuvre dans le domaine du droit aux États-Unis d'Amérique. En effet, les juges et les avocats, relayés par les médias, mobilisent la notion de « culture » pour expliquer les comportements d'individu-e-s appartenant à des catégories sociales minorisées, mais pas lorsqu'il s'agit d'évaluer les (mêmes) comportements des dominant.e.s. Ainsi, des pratiques « problématiques», telles que le mariage d'adolescentes (qu'il soit contraint ou librement consenti), sont attribuées à des « dysfonctionnements individuels» quand il s'agit de personnes Blanches, tandis que « la culture» devient le facteur explicatif dans le cas des non-Blanches. Ceci est possible parce que:
(1) on pense les personnes assignées à des groupes dominés comme « ayant une culture » :
(2) on considère qu'elles sont entièrement déterminées par ses normes, sans possibilité de réflexion ou de distanciation, sans possibilité d'individualisation :
(3) les dominants (ici, les Américains blancs) sont implicitement « sans culture», capables de raison ou au moins de raisonnement, si bien que seule la pathologie peut expliquer leurs comportements déviants. Autrement dit, en attribuant une « Culture » à certains groupes, c'est en réalité non seulement l'individualité mais aussi la capacité de penser qu'on leur dénie, c'est-à-dire les traits qui définissent l'humanité.
Leti Volpp montre bien la continuité entre ce racisme « culturel » et le racisme « biologique » en dépiautant le ressort du premier, qui se fonde non pas tant sur l'opposition entre des cultures mais sur l'opposition entre des catégories d'humains: ceux qui le sont pleinement, sans culture, et ceux ou celles qui obéissent à la tradition comme des animaux à l'instinct. Son travail confirme que la distinction entre ces deux « types » de racisme, qui a semblé si importante à un moment donné - bien que leurs effets sur les victimes soient les mêmes, est moins fondamentale que leur similarité, qui réside dans la déshumanisation de la personne définie comme « autre».
Le premier numéro nous avait bien fait sentir que nous étions proches - sinon au milieu - du postcolonialisme et en train d'en faire sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose. Il nous fallait impérativement éclaircir cette question. C'est à Danielle Haase-Dubosc, spécialiste dans le domaine, que nous avons demandé ce travail; travail dont la difficulté était redoublée par le fait qu'il ne s'agit pas simplement de présenter le ou les postcolonialismes dans les pays de langue anglaise, mais de surcroît d'en montrer les interactions avec les mouvements et les courants intellectuels et politiques féministes. Avec l'aide de Maneesha Lai, elle s'est acquittée de cette difficile commande. Leur article montre que plus qu'une école, ce qu'on est convenu d'appeler le postcolonialisme, en dépit de sa diversité qui a toujours été et qui ne fait que croître, est l'application au monde politique du constructivisme et de l’historicisme.
Il s'agit bien en effet d'une démarche politique, qui a à voir avec la répartition du pouvoir entre groupes et entre sociétés (même si au départ, comme le soulignent Haase-Dubosc et Lai, les études postcoloniales, venues de la littérature, ont évacué le politique), entre groupes et entre sociétés (même si au départ, comme le soulignent Haase-Dubosc et Lal, les études postcolonîales, venues de la littérature, ont évacué le politique).
Ce numéro espère contribuer à montrer que la perspective postcoloniale est un préalable sinon suffisant, au moins nécessaire à toute analyse au démarche intéressée à la construction des groupes et des sociétés. Peut-on encore prétendre, par exemple. que les métropoles ont influencé (en mal ou en bien) les colonies sans subir d'effets en retour? Comme le disait Memmi à propos du colonisateur, la société qui colonise, ou qui a le projet de coloniser, se définit aussi par et dans cette entreprise: ce n'est pas un à côté ou un accident extérieur à une identité qu'elle aurait par ailleurs et qui ressemblerait à une essence, contrairement à ce que prétendent beaucoup de politiques et d'intellectuel-le-s français-e-s. De même, peut-on encore dire que maintenant que l'époque des colonisations effectives est passée et que les indépendances nationales ont été proclamées, les ressortissant-e-s de tous les pays se rencontrent sur un pied d'égalité? Surtout dans un moment oit l'on parle, à propos des interventions armées américaines en Asie et au Moyen-Orient, de « recolonisation » du monde?
L’actualité du colonialisme est justement analysée par Sabine Masson, à partir de la lutte des femmes indiennes au Chiapas. Critiquant à la fois le féminisme métis, qu'elles jugent paternaliste et raciste, et le sexisme toujours vivace du mouvement zapatiste, ces femmes opèrent une double rupture et construisent leur propre mouvement, fondé sur les oppressions multiples qu'elles vivent. Luttant non seulement contre les effets croisés d'une société raciste et genrée, leur mouvement s'inscrit dans toutes les forces qui, aujourd'hui, tentent de résister à la mondialisation néolibérale, laquelle frappe tout particulièrement le Mexique, pays signataire du premier traité de libre-échange nord-américain (ALENA). La lutte des Indiennes vise donc également les rapports de domination néocoloniaux. Masson met ainsi en évidence la lucidité de ce mouvement, qui parvient à éviter les pièges du féminisme « dominant» (blanc et métis), incapable d'évaluer à leur juste mesure les effets de race et de classe produits par la division internationale néolibérale du travail; mouvement qui construit un front contre toutes les dominations.
Ghaïss Jasser, elle, revient sur les figures fantasmées de « la femme» dans la pensée néocoloniale occidentale, et sur sa cécité volontaire envers toute pratique ou pensée musulmane qui ne correspondrait pas à l’image stéréotypée qu'elle cherche à voir. Ainsi, l'histoire de la pensée laïque et démocratique dans divers pays du monde arabe ou musulman, à laquelle Jasser nous introduit, est escamotée, et l'islam est réduit à son expression la plus unilatérale. Partant de l'affaire du voile, l'autrice montre en quoi le foulard n'est qu'un symptôme du mal-être arabe face à un Occident qui demeure impérialiste et oppresseur.
La rubrique Parcours complète notre dossier du Grand Angle consacrée à l'activité militante qu'a menée Feriel Lalami, d'abord en Algérie, puis en France. Elle retrace son engagement contre le code de la famille en Algérie et la difficulté à mener un combat féministe dans un contexte où l'expression politique était bridée par le monopartisme du FLN. Elle explique qu'il lui était alors impossible de se déclarer féministe, tant cette appellation rendait les femmes suspectes d'aliénation néocoloniale au regard de leurs compatriotes. Exilée en France suite à la répression des opposants au régime à la fin des années 80, elle devient cofondatrice de l'Association pour !'Égalité, qui œuvre en faveur des femmes immigrées originaires du Maghreb et auprès de leurs descendantes nées en France. Feriel Lalami dénonce l'action de l'État français qui, par le biais d'accords bilatéraux avec les pays du Maghreb, met en application les codes de la famille de ces pays sur son sol. Elle déplore la reconnaissance par la France de lois discriminatoires pour les femmes ayant la nationalité marocaine ou algérienne ou encore la double nationalité, et s'inquiète que cela ne suscite pas autant de réactions que les voiles portés par certaines jeunes femmes musulmanes. Elle voit là le signe d'une méprise sur les priorités à définir pour la mobilisation féministe.
Ainsi, notre dossier « Sexisme et racisme » en deux livraisons, parti de l'affaire du voile en France, y revient, ou semble y revenir, d'autant plus que nous concluons ce numéro avec un texte de la présidente du Collectif des Féministes pour l'égalité, Cecilia Baeza, qui retrace la lune du Collectif contre la « loi anti-voile» et la division entre « les femmes voilées» et « les femmes non voilées». Mais si nous y revenons, c'est après avoir décrit une spirale dont la deuxième courbe, plus éloignée du « Centre » initial, permet de clarifier notre place présente dans les courants intellectuels et politiques mondiaux, et ainsi de tracer plus nettement notre route future vers un féminisme antiraciste, anticolonial et anticapitaliste.
Christelle Hamel, Christine Delphy, Patricia Roux, Natalie Benelli, Jules Falquet, Ellen Hertz
Voir aussi
Les approches postcoloniales: apports pour un féminisme antiraciste
Publié par Le Bougnoulosophe à 3/07/2014
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