Comment traduire « agency» ? Faut-il parler d'« agence », d'agir, de puissance, d'autonomie, d'effectivité, de capacité, de capacité d'agir, de puissance d'agir, d' « agencéité» ou d'« agentivité » ? Ne faut-il pas plutôt renoncer à traduire agency ? (Et comment traduire le mot « empowerment», avec lequel il fait souvent la paire? « Empuissancement» ? «Empouvoirement»? « Encapacitation»? Autonomisation? Maximisation de la puissance d'agir?)
«Agence », bien qu'assez neutre, brusquerait trop notre conservatisme lexical, tout comme, a fortiori, « agentivité» ou « agencéité », qui ont de plus pour défaut un certain pédantisme « scientifique», bien fait pour empêcher toute réappropriation politique ou critique du terme.
« Capacité d'agir» aurait l'intérêt de dresser une passerelle entre la problématique de l'agency et les sociologies de la domination qui, comme celle de Pierre Bourdieu, pose que la capacité statutaire (légitime, reconnue, officielle) conditionne (le développement de) la capacité (affective, psychique, intellectuelle, physique ... ) effective - mais ce serait rabattre la problématique de l'empowerment sur celle, trop strictement institutionnelle, de l'habilitation.
« Puissance d'agir » aurait le mérite de faire référence au fond spinoziste auquel reconduit comme par nécessité la notion, Spinoza étant assurément le grand penseur de la puissance d'agir (potentia agendi), et ses héritiers actuels (par le biais d'un certain marxisme, de Deleuze, de Foucault) étant à peu près les seuls à porter cette question dans l'Hexagone.
En anglais, «agency» désigne à la fois ce qui est actif ou ce qui exerce un pouvoir, et le « principe », la force motrice à l'œuvre dans une action donnée. Nous avons jugé bon de le traduire le plus souvent par « puissance d'agir », mais aussi, parfois, selon les contextes, par « action », «principe de l'action» ou «dynamique ». Le traduire systématiquement par « action» serait une erreur et occulterait ... l'agency de ce mot dans la théorie critique anglophone.
Dans le champ universitaire contemporain, notamment au sein des cultural studies, ce terme a été conceptualisé comme une notion alternative à celle de maîtrise ou de « liberté» (au sens du libre arbitre), et en est venu à désigner une action qui n'a pas pour origine un sujet « souverain ».
L'agency, c'est la puissance d'agir que nous pouvons tirer de notre dépendance fondamentale à l'Autre, au langage; c'est aussi la résistance que produit nécessairement le pouvoir. Penser la possibilité d'une agency en politique, c'est renoncer à croire qu'on pourrait se situer hors du pouvoir, qu'il faudrait sortir entièrement des rapports de domination pour mettre en œuvre une politique d'émancipation. Comme le dit Judith Butler, dans sa préface de 1999, à Trouble dans le genre, « il n'y a pas de position politique purifiée du pouvoir, et c'est peut-être cette impureté qui produit la puissance d'agir comme interruption et renversement potentiels des régimes régulateurs ».
Pour ce qui est du discours, cela signifie qu'il n'est pas possible d'utiliser des mots qui soient purifiés de tout pouvoir, qui ne soient pas « souillés» par la domination, mais que, contrairement à ce que d'aucun affirme, cette situation ne nous interdit en aucune façon de développer une puissance d'agir : c'est depuis l'intérieur des mots du pouvoir que l'on peur critiquer la domination dont ils peuvent aussi être porteurs, comme le montrent les mouvements politiques qui revendiquent les termes mêmes qui les excluent, ainsi que l'ont fait par exemple les femmes, en revendiquant la citoyenneté qui leur était déniée, ou encore les minorités qui détournent les termes injurieux utilisés pour les désigner.
Charlotte Nordmann et Jérôme Vidal
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