Angela Davis Parle


Angela Davis : Un nom et ce nom aujourd’hui est un mot d’ordre qui doit trouver un puissant écho chez tous les démocrates, tous les progressistes du monde entier « Angela Davis, une femme noire, communiste, nous parle des Etats-Unis. Elle explique le sort des noirs américains et la dialectique de l’oppression et de la libération (...). Pourquoi, après avoir été sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par la police américaine, est-elle menacée de la chaise électrique ? »

Angela Davis, ses amis et le comité New-yorkais pour sa libération répondent à cette question et à bien d’autres, dans une plaquette parue récemment aux éditions sociales (1) et que, pour son importance, nous devions et venions à présenter à nos lecteurs.

A notre époque, où la lutte pour la défense des droits de l’homme est un acte révolutionnaire, ont droit abandonner la fausse distinction entre « vie personnelle » et « vie politique ». C’est à la lumière de cette constatation qu’il faut comprendre la vie d’Angela Davis... » (2).

Jeune universitaire noire (elle a 27 ans), Angela Davis exerçait son professorat de philosophie à l’Université de San-Diégo, en Californie, lorsqu’elle fut arrêtée, en septembre 1970, pour « complicité de conspiration d’évasion de trois Noirs pendant une audience du tribunal de San-Raphaêl en Californie.
Tout semblerait, avoir commencé par là. Rappelons donc les faits.

Les frères de Soledad

Selon Angela Davis « La lumière totale n’a pas encore été faite » sur cette affaire. « Ce jour là, le 7 août 1970, un détenu Noir de la prison de San-Quentin passait en jugement. Jonathan Jackson avait tenté d’organiser la libération de ce détenu et celle des autres prisonniers Noirs sont des prisonniers politiques... » Ce jeune Noir de 17 ans réussit, en pleine audience, à passer des armes à Georges Jackson, John Clutchette et Fluta Drumgo. Les quatre fugitifs s’emparent du juge et tentent de s’enfuir. Un tir de barrage les arrête, le juge est tué, Jonathan Jackson tombe sous les balles.

« Les policiers ont préféré tuer le juge plutôt que de laisser échapper leurs proies. Jonathan Jackson a été tué à 17 ans parce qu’il croyait que tous les hommes avaient les mêmes droits ».(4)

 « Comme vous le savez, c’est cette affaire qui a été aussitôt utilisée pour tenter de me museler » (5). En effet, Angela Davis, qui n’était ni à l’audience ni a proximité, fut néanmoins accusée d’avoir fourni les armes car, selon la police, « elle connaissait le jeune noir
».

Qu’en est-il exactement ?

Les trois Noirs incarcérés à Soledad avaient fondé en prison l’organisation des « frères de Soledad » (6), organisation anti-raciste des détenus Noirs de la prison de Soledad. Ils en étaient les principaux animateurs. L’un deux, Georges Jackson, enfant des « ghettos noirs » de Chicago et de Los Angeles, bien que condamné pour un vol de 70 dollars à une peine « minimum un an, maximum à vie » était en prison depuis 11 ans.

A Soledad, pénitencier très dur, il éclate souvent des « révoltes » contre les gardiens sélectionnés, et sans pitié envers les détenus. Nous rappellerons pour mémoire, et comme exemple, la date du 13 janvier 1970. Un groupe mixte de prisonnier, dix blancs, résolument racistes, et sept noirs connus pour leur activité politique, est acheminé vers une cour intérieure. Une dispute, puis une bagarre éclate. D’une tour, un gardien ouvre alors le feu sur le groupe, sans aucun avertissement. Un blanc est blessé. Trois Noirs sont tués. L’un d’eux, blessé, est laissé à terre et mourut d’hémorragie.

Quelques jours plus tard, après que le verdict d’un « jugement » eut « blanchi » le « tireur d’élite », un gardien blanc est découvert mourant, jeté d’un étage supérieur. Cela s’était passé dans l’aile Y. Celle de Jackson. Lui et ses deux amis furent aussitôt accusés du meurtre.

Il s’agissait d’une habile manœuvre pour se débarrasser d’eux.
Et surtout de Jackson. En effet, durant toute sa détention il a beaucoup appris, et « il est devenu révolutionnaire et s’est mis à organiser ses compagnons de prison » « Communiste indépendant » selon l’expression d’Angela Davis, il apparaissait comme « un homme dangereux ».
Dans cette affaire montée de toutes pièces » Angela Davis prend parti. Très tôt, elles est à la tête du Comité de Défense des Frères Soledad : « il faut sauver les frères Soledad du lynch légal » affirme-t-elle lors d’une grande manifestation.

Sa vie, à de moment là, est chaque jour de plus en plus menacés :

« ... la bataille que je menais avec d’autres pour la libération des trois frères de Soledad (...) avait provoqué la haine des racistes. Je recevais des menaces de mort chez moi et à l’Université de Los Angeles. J’étais harcelée de coups de téléphone qui annonçaient qu’on « aurait ma peau ». Jonathan Jackson, qui était le jeune frère de Georges Jackson, militait aussi dans le comité d’autres de solidarité avec les frères de Soledad. Comme camarades, il m’a protégée... ».

En ce qui concerne Jonathan, on le voit, le terme « garde du corps » n’es pas exact.
Cependant, il n’en fallut pas moins au gouvernement US, puis à l’accusation pour inculper Angela Davis. Depuis, elle ne cesse de proclamer son innocence : « Je déclare devant ce tribunal et devant le monde entier que je suis innocente des crimes dont je suis accusée ».

Noire et communiste

Son véritable crime est d’ailleurs, comme elle l’explique elle-même :

« les forces rétrogrades de ce pays ont choisi de me persécuter parce que je suis une militante communiste révolutionnaire noire. Les agents du gouvernement emploient en permanence les moyens les plus barbares et les plus détournés pour débarrasser le pays de tous ceux qui défient le racisme, dénoncent l’exploitation capitaliste, travaillent, organisent et luttent pour la liberté... »

« Ronald Reagan (gouverneur de Californie) et son État ont d’abord voulu me prendre mon emploi. Ils réclament maintenant ma tête. Pourquoi ? Non parce que je suis cette dangereuse criminelle qu’ils prétendent non parce que je serais capable de ce « coup monté » où il n’existe aucune preuve contre moi mais plutôt parce que, dans leur optique pervertie, un révolutionnaire est, « à priori », un criminel ».

Voilà clairement exprimé le véritable chef d’accusation retenu contre Angela Davis : elle est noire et communiste.

« Avant tout, je suis noire. J’ai consacré ma vie à la lutte pour la libération du peuple noir. Mon peuple a servi, emprisonné !
« Je suis communiste parce que la raison pour laquelle nous sommes contraints et forcés à vivre misérablement, à avoir un niveau de vie le plus bas de toute la société américaine, est en rapport étroit avec la nature du capitalisme. Si nous devons un jour sortir de notre oppression, de notre misère, si nous devons un jour cesser d’être les cibles de la mentalité raciste de policiers racistes, il faudra que nous supprimions un système dans lequel on garantit à quelques riches capitalistes le privilège de continuer à s’enrichir tandis que le peuple qu’on force à travailler pour les riches, et en particulier les noirs, ne peut jamais valablement s’élever.
« Je suis communiste parce que je crois que le peuple noir, dont le travail et le sang ont permis de bâtir ce pays, a droit à une grande partie des richesses qui ont été accumulées par les Hugh, les Rockefeller, les Kennedy, les Dupont, tous les super puissants capitaliste blancs d’Amérique.
« Je suis communiste aussi parce que je pense que les Noirs ne devraient pas être contraints à faire une guerre raciste et impérialiste en Asie du Sud-Est, où le gouvernement US refuse par la violence à un peuple non-blancs le droit de diriger sa vie, exactement comme pendant des centaines d’années ils ont utilisé la violence pour nous supprimer, nous. »

L’acte de résistance au grand jour

Angela Davis est née dans ce combat pour la libération des Noirs.
Elevée dans l’Etat d’Alabama, à Birmingham, où « la vérité de Dieu s’accorde sans problème avec la ségrégation, elle vécut comme les siens dans la terreur des racistes blancs. « Désormais chaque nuit j’entendrait les terroristes blancs poser des bombes autour de la maison » écrivait-elle à cette époque. Et elle ajoutait : « ...de toute façon nous avons des chances d’être les suivants ».
En 1963, elle assista à « l’assassinat » de quatre enfants noirs dans une église. Témoin, avec biens d’autres, de ce cauchemar, elle écrivit à une amie : « des policiers surveillent continuellement notre maison ; je ne quitterai peut-être pas Birmingham vivante ».

Parallèlement à ces actes de barbarie qui devenait « mode de vie américaine » dans le Sud, elle rejoignit la « résistance » qui s’organisait, manifestant dans les lieux interdits aux noirs, menant campagne pour l’inscription des Noirs sur les listes électorales, participant à des groupes d’étude avec des blancs.


« Par leur existence même, les Noirs ont mis à nu les faiblesses de la liberté celles de sa pratique, mais aussi celles de sa formulation théorique elle-même. En effet, si la théorie de la liberté demeure sans rapport avec la pratique de la liberté, ou plutôt, est contredite dans la réalité, cela signifie alors qu’il y a quelque chose d’erroné dans le concept lui-même du moins si nous pensons de façon dialectique ».

La chronologie sommaire des évènements de la dernière décennie 1960-1970 illustre ce propos d’Angela Davis.

1960 : « sit-ins » (manifestations non violentes) dans les institutions du sud où était appliquée la ségrégation, dans le Sud.
1964 : Andrew Goodman, Michael Schwerner, James Chaney, trois militants des droits Civiques sont battus, assassinés et mutilés par des extrémistes blancs dans le Mississipi, Chaney, qui était noir, subit les pires mutilations.
1965 : assassinat de Malcom X par des extrémistes noirs.
1965 : Emeutes à Selma, Alabama, à Watts et à Los Angeles.
1966 : A Oakland, en Californie, se forme le parti des Blacks Panthers avec Huey Newton et Bobby Seale.
1967 : Le conservateur et raciste Ronald Reagan est élu gouverneur de Californie.
1967 : Un peu partout dans le pays éclatent des émeutes urbaines dans les ghettos noirs, et plus particulièrement à Détroit.
1967-1968 : Huey Newton, alors ministre de la Défense du Parti des Blacks Panthers est accusé du meurtre d’un officier de police à Oakland. Il sera déclaré coupable.
1968 : Eldrige Cleaver publie Soul en Ice et s’exile.
1968 : Un « nationaliste » Noir abat Bunchy Carter, membre éminent du Black Panthers.
1968 : avril – Assassinat du pasteur Martin Luther King.
Juin – Assassinat de Robert Kennedy
Octobre – le Parti démocrate de Chicago provoque des émeutes et les répriment violemment.
Décembre – Nixon élu président.
1969 : La répression contre les Blacks Panthers commence. Descente de police, Raffles, arrestations… Mark Olark et Fred Hampton sont tués dans leur lits.
1970 : mai – après deux ans et demi d’emprisonnement, le procès de Newton est enfin révisé.
Depuis mai 1970, nous connaissons la suite des évènements qui permirent l’arrestation d’Angela Davis.

« D’une conscience authentique de l’oppression naît la nécessité clairement perçue par le peuple, d’abolir l’oppression »

Durant tout ce temps Angela Davis poursuit ses études prenant toujours parti, là où elle se trouve, pour la libération des peuples : algériens, Vietnamiens, Noirs…
Elle quitta Birmingham à 15 ans, pour New York où elle entra au lycée, puis – ayant obtenu une bourse- à l’Université de Brandeis. « Ici « être Noire » n’avait aucune importance pour ses amis blancs et libéraux ; mais bien entendu l’envers de cette vérité n’en était que pénible pour elle ».

En seconde année, après avoir passé un diplôme de littérature française avec mention « excellent », elle étudie à Paris à la Sorbonne. Elle assiste à l’humiliation permanente faite aux Algériens, et plus particulièrement aux étudiants algériens : fouille, arrestations…

« A Paris, en 1962, les expériences que m’ont transmises des partisans de la lutte des Algériens formaient un contraste frappant avec notre combat pour les « droits civils » aux Etats-Unis. La position des algériens toujours plus agressive, me donnait une idée concrète de la direction que devait prendre notre mouvement, si nous voulions sérieusement un changement total.
« Quant aux français eux-mêmes, ils me communiquaient, libre d’abstraction, cette idée que la répression est un phénomène universel, partout où des peuples luttent pour la liberté et la justice. J’ai eu la sensation personnelle des jets d’eau coupants de la police française, pendant bien des manifestations. Et mes amis algériens étaient sans cesse harassés par la police… » (7)

Tout en découvrant la lutte des algériens pour libérer leur pays du colonialisme, elle découvre aussi la philosophie et surtout la philosophie marxiste. Elle change alors d’orientation. Elle se rend à Hambourg, à l’université Goethe, et prépare un doctorat de philosophie.

« Mon voyage en Allemagne, fut inspiré par le désir d’en apprendre davantage sur la tradition philosophique du marxisme … »

 Là, tout en travaillant à une thèse sur « le concept philosophique de la liberté chez KANT, et ses rapports sur la lutte de la libération des Noirs », elle milite activement au S.D.S., groupe socialiste d’étudiants.
L’action du S.D.S. « prit la forme de manifestations, toujours plus militantes contre l’impérialisme US, son agression au Vietnam, ses flunkies d’Allemagne de l’Ouest, et aussi la forme d’un travail d’organisation parmi les dépossédés, à un niveau souterrain et d’une tentative pour engager le mouvement ouvrier » (8) Ce furent mes liens avec le S.D.S., en Allemagne, et ses manifestations politiques qui m’ont fait percevoir la nécessité de rentrer chez moi pour combattre avec mon peuple, le peuple noir ». (9)

Deux ans après donc, elle revenait reprendre la lutte à côté de ses frères Noirs.
Inscrite à l’université de San Diego, en Californie, elle participe alors à la vie de la communauté noire, en lutte contre le chômage, les brutalités policières, en lutte pour l’égalité et la liberté.
A ce moment là, « participer à la lutte n’était pas un simple engagement « intellectuel », mais cela signifiait mettre sa vie en jeu » à chaque instant.

Les menées racistes et oppressives, les procédés fascistes des policiers de l’Etat devenaient monnaie courante : Grégory Clark, âgé de 18 ans est tué par la police de Los Angeles ; à San Diégo, où elle enseigne maintenant, elle assiste au meurtre de trois de ses amis sur le Campus de l’Université.

« La première phase de la libération, c’est la décision de refuser l’image de soi présentée par le maître, l’état de fait créé par le maître, c’est refuser sa propre existence, refuser de se considérer comme esclave ».

Ce refus de l’image présentée par le maître, ce refus de sa condition d’esclave, Angela Davis allait l’accomplir en adhérant au Parti Communiste.

« ma décision de rejoindre le Parti Communiste est venue de cette conviction : que seul le vrai chemin vers la libération du peuple noir est celui qui conduit au renversement complet et total de la classe capitaliste dans ce pays et de ses nombreux appendices institutionnels, qui assurent son aptitude à exploiter les masses et à asservir les Noirs ».

Convaincre de la nécessité de recourir aux principes marxistes – léninistes dans la lutte pour la libération, j’ai rejoint le Che-lumumba club, qui est collectif militant, entièrement noir, du Parti Communiste à Los Angelès, engagé dans la tâche de rendre le marxisme – léninisme pertinent pour le peuple noir. Mais en sachant que nous, peuple noir, nous courons au suicide si nous nous attaquons seuls à la tentative de détruire le système capitaliste. La question entière des alliés étant cruciales. Et bien plus, à côté des étudiants, il nous faut des alliés qui comptent sur le terrain de la production. Il faut, dans les luttes de la classe ouvrière, des leaders Noirs pour radicaliser les secteurs nécessaires ». (10)

Ces réflexions, cet engagement politique ne peuvent que nous faire songer, nous ramener à Karl Marx, lorsqu’il écrivait dans sa XIme thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde des différentes manières ; mais ce qui importe, c’est de le transformer ».

C’est le cas d’Angela Davis.
Comme elle l’affirme elle-même : « Marx disait juste, dans la XIe thèse sur Feuerbach…Cela  j’en fait l’expérience ».
Et aujourd’hui encore.

« Ils ont mis tous leurs chiens à mes trousses… »

Contrairement en effet à certains professeurs qui l’offrent le luxe de simplement se « distraire », de jouer avec les idées, Angéla Davis, avec d’autres, prend sa tâche au sérieux. Elle assumera toujours les responsabilités de son engagement politique, de ses actes, de ses de ses paroles.

C’est pourquoi, après avoir été nommée professeur de philosophie à l’Université de San Diego, en 1969, elle fut dénoncée comme communiste par un indicateur du F.B.I. Elle en répondit devant le Comité d’Administration de l’Université :

« oui je suis communiste. Et je ne me servirai pas de la procédure du cinquième amendement pour me protéger. (11) Mes convictions politiques ne me mettent pas en cause, elles accusent les Nixon, les Agnew et les Reagan ».

C’est ainsi qu’elle fut amenée à défendre les Frères de Soledad. Et l’accusation dont elle est victime aujourd’hui n’est que l’aboutissement d’une campagne réactionnaire menée contre elle et « l’affaire Soledad » n’étant, en fait, que le prétexte.

« Après que Ronald Reagan et ses cohortes fascistes eurent lancé une campagne pour me faire renvoyer de mon poste à l’Université de Los Angeles – pas parce que je n’avais pas les titres requis, mais simplement parce que j’étais noire, communiste et que je me consacrais à la lutte pour la libération de mon peuple – comment pouvais-je ne pas comprendre qu’ils étaient décidés à m’assassiner ? après tout, ils avaient déjà fait naître tout un mouvement réactionnaire contre moi simplement à propos de mon poste ».

Tout un « complot » s’organisa alors pour tenter de la réduire au silence : atmosphère de lynchage, combinaisons légales et illégales, emploie de la force…

« L’année dernière, il ne s’est guère passé de jour que je ne reçoive des menaces de mort sous une forme ou sous une autre. Le résultat de l’activité de Reagan fut que j’étais constamment harcelée par des hommes à lui qui patrouillaient dans notre communauté ».

Cependant loin de l'intimider ces « tactiques fascistes de répression » lui servirent « d’enseignement ». Enseignement dont elle instruira ses camarades lors de manifestations, et plus particulièrement celles de solidarité avec les frères de Soledad.

« Pendant que je participais à la lutte pour libérer les frères Soledad, je mettais les camarades en garde en disant que n’importe lequel d’entre nous pouvait devenir la prochaine cible du gouvernement dans sa politique de répression des révolutionnaires noirs »
« Partout où elle prenait la parole, elle mettait en évidence l’intensification de la terreur policière et de la répression ».
« S’ensuivit ce qui est peut-être la chasse à l’homme la plus forcenée de l’histoire de (ce pays)… ».
D’abord je suis persuadée que dans mon cas, en accord avec Nixon et Reagan, J.E. Hoover avait décidé de faire un exemple. Le F.B.I. a utilisé pour me capturer des forces considérables, beaucoup plus considérables qu’il n’a d’habitude les moyens de la faire. Parce qu’on avait tellement dirigé l’attention du public sur moi et sur ma participation supposée aux événements de San-Raphael, qu’il fallait prouver à leurs supporters réactionnaires leurs capacités à capturer des révolutionnaires noirs.
« Dans des communautés noires à travers tout le pays, ils arrêtèrent des centaines de femmes qui me ressemblaient. Ils se mirent à surveiller en permanence non seulement ma famille, mes amis et camarades politiques, mais aussi des amis accidentels, des gens rencontrés un jour par hasard et avec qui je n’avais eu aucun contact depuis plus de 10 ans.
« De toute évidence, ils voulaient me barrer tous les chemins. Il faut comprendre que j’ai été prise au dépourvu. Je n’avais aucun moyen de prévoir que j’aurai à courir pour échapper à une capture en août dernier. Ma fuite a donc dû être entièrement improvisée. Ce n’était pas facile avec ma photo collée dans tout le pays. De plus, la presse aida le F.B.I. en publiant toutes sortes d’articles et même en récit ».
« Ils ont mis tous leurs chiens à mes trousses ».

« Ils ne peuvent se permettre cela que quelquefois… »

La plupart des journaux ont cru voir, à ce moment là, dans la « fuite » d’Angela Davis de Californie, une preuve de « culpabilité ». Ce n’est qu’une forme de la « campagne » tendant à sensibiliser l’opinion contre elle.
« Quand un esclave, qui avait réussi aux fouets et aux roues de son maître blanc, s’enfuyait dans un autre Etat, est-ce que c’était une preuve de sa culpabilité ? ».
« Je me suis enfuie de Californie parce que j’étais convaincu qu’il y avait eu de chances que je sois jugée équitablement en Californie (…) de faire respecter mes droits si jamais c’est possible pour une femme noire…
« Il ne peuvent se permettre cela que quelques fois » écrit encore Angela Davis.
Et cela est vrai.
Tout le système américain est impliqué dans cette affaire. Y compris Nixon. Il ne peut plus freindre « l’ignorance » comme il l’a fait en apprenant les massacres de civils au Vietnam. Richard Nixon félicita en effet J.E. Hoover pour la capture d’Angela Davis dans une émission de télévision diffusée dans tous les pays et dans laquelle il déclarait : « que cette arrestation servirait d’exemple à tous les autres terroristes ».

Certes, il y aurait de quoi sombrer dans le pessimisme face aux « victoires » de l’appareil Nixon : Newton fut incarcéré pendant deux ans, Ericka Huggins est en prison depuis presque deux ans aussi, de même que Bobby seale… il y a encore les Frères de Soledad, et aujourd’hui Angela Davis.

A travers elle cependant, « le gouvernement essaie de pousser plus loin ses attaques contre le peuple noir et de la terroriser davantage… ».

« Je n’ai pas réussi à ne pas me faire prendre, mais nous devons nous souvenir d’une chose : il y aura d’autres histoires forgées de toutes pièces comme la mienne et nous serons encore obligés de nous cacher. Le fait qu’ils m’ont capturée ne veut pas dire que nous serons tous capturés ».

Là est l’espoir d’Angela Davis. Là est aussi le nôtre.
Cet espoir n’est subjectif. Il repose sur une analyse précise de la réalité américaine. Les Etats-Unis sont perpétuellement obligés de « sauver la face » dans ce « monde libre » dont ils sont soi-disant, les représentants.

Le gouvernement Nixon ne peut affirmer, comme il le fait en Asie, qu’en opprimant les Noirs, il se pose chez lui en « défenseur de la liberté » !

Mais si comme le souligne Angela Davis, « ce pays galope vivement le long du chemin qui conduit à un fascisme de type sud-africain… » il ne faut pas croire que « le fascisme en plein maturité » est installé aux U.S.A. Même si nous sommes tentés de le supposer devant les « tactiques fascistes de répression » employées contre le peuple noir ».

« Des tactiques fascistes de répression ne doivent pas être confondues avec le fascisme. Les confondre avec lui serait aujourd’hui obscurcir la nature de notre lutte – car à partir du moment où l’on a identifié l’existence du fascisme mûr, la lutte prend un caractère purement défensif, et toutes nos énergies se concentrent sur la tâche de nous défendre contre l’attaque de l’oppression : les circonstances qui nous environnent dégénèrent à un tel point que nous perdons toute possibilité de mouvement ; la seule face de l’alternative est alors l’organisation clandestine ».
« Dans ce pays, nous n’en sommes pas encore venu là. Il nous reste encore un certain degré de flexibilité. C’est pourquoi nous devons continuer à nous servir des voies légales dont nous disposons – ce qui ne veut pas dire que nous opérions exclusivement sur le plan légal. Au point où nous en sommes, le mouvement clandestin a aussi son rôle à jouer. L’important est de percevoir que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour consolider – pour rendre solide – un mouvement non seulement contre la répression réactionnaire, mais avec pour objectif, l’idée positive du socialisme ; cela signifie, avec évidence que nous assumons une attitude moins défensive qu’offensive ». (12)

Une erreur de jugement ou de goût

La marge de manœuvre reste grande.Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette « erreur de jugement ou de goût » est souvent réprimée. L’anticommunisme le plus forcené est l’une des caractéristiques de l’administration Nixon, lequel Nixon fur d’ailleurs le collaborateur du sénateur Mac Carthy pendant la « chasse aux sorcières » des années 50.

Quant à Reagan, que certains présentent comme futur vice-président, sinon président des U.S.A., écrivait en 1969, pour justifier ses attaques contre le professeur Angela Davis : « Le Parti Communiste n’est pas un parti politique, mais une organisation subversive bannie du corps enseignant ».


Le mauvais goût coûte cher aux Etats-Unis !…Il peut coûter la vie !
Quant à nous, nous affirmons que le non retrait des troupes américaines au Vietnam, le non-respect des libertés politiques, le non-respect des droits fondamentaux pour les Noirs sont autant d’erreurs de jugement qui peuvent, un jour, coûter cher à la clique Nixon – Reagan

Le jour de son arrestation

On ne peut que constater que, parallèlement à la « prise de conscience » des américains dans la guerre du Vietnam (73% sont maintenant favorables à un retrait des troupes) les signes d’une crise sociale généralisée se multiplient aux Etats Unis. « Au cours des cinq dernières années, le nombre des journées de travail perdues est passé de 23 millions en 1965 à 43 millions en 1969. la longue grève de plus de 400 000 ouvriers de la Général Motors a pris fin il y a peu de temps ».

Le rôle du parti Communiste est, nous l’avons dit, d’une grande importance. Et il n’en est que plus important du fait de la place qu’il tient dans le mouvement Noir.

« Notre lutte de libération, écrit Angela Davis, doit être en liaison organique avec tous les mouvements Blancs qui cherchent à se libérer par une révolution socialiste » (14).

Ainsi « la perspective pratique du Che-Lumumba Club est fondée sur la conscience de la nécessité de mettre l’accent sur le caractère national de la lutte pour notre peuple, et de lutter autour des formes spécifiques de l’oppression, qui nous a maintenus aux niveaux les plus bas de la société américaine pendant des centaines d’année – mais en même temps, de nous placer, comme peuple Noir, sur le front avancé de la révolution, pour engager des masses entières à détruire le capitalisme, à tenter de bâtir une société socialiste, et à libérer ainsi non seulement notre propre peuple, mais aussi tous ceux qui sont foulés aux pieds dans ce pays. Et davantage en reconnaissant le caractère international de la Révolution, en une période surtout ou la bataille contre nos capitalistes de la maison se déplace dans le monde entier : en Indochine, en Afrique, en Amérique Latine ».

Dans leur lutte les Noirs ne doivent « pas perdre de vue ce fait : « le peuple noir non seulement constitue la partie la plus opprimée de la population des Etats Unis, mais aussi que nous sommes dans ce pays l’expression de la tradition de résistance la plus combative. Nous sommes donc en tant que peuple noir les leaders naturels d’une révolution dont le but ultime est de renverser la classe dirigeante américaine, et libérer ainsi les masses américaines. Les Noirs doivent se libérer eux mêmes ».

« Dans notre lutte nous comprenons combien le racisme est nocif dans ce pays. Ceci nous l’avons appris au moment de la lutte pour les droits civiques ou beaucoup de Blancs, très bien intentionnés, perpétuaient le racisme en adoptant une attitude protectrice, disant qu’ils devaient « nous aider », nous autres Noirs, ce qui voulait dire nous aider dans la tache futile qui consistait à nous intégrer à une culture en train de mourir ».

« Le parti communiste reconnaît la nécessité pour les blancs, surtout les ouvriers blancs, d’accepter le rôle dirigeant des Noirs (15). S’ils doivent un jour se délivrer de leurs chaînes, ils doivent comprendre qu’ils doivent avant tout lutter contre toute manifestation de racisme ».

Black Panthers

Il faut sauver Angela Davis !

Victime d’une « machination », « prisonnière politique », risquant la chambre à gaz, Angela Davis apparaît aujourd’hui comme un « leader » du mouvement révolutionnaire qui s’organise aux USA.
A l’heure où nous la défendons, on accuse les communistes « aux Etats Unis mais aussi en France, de « récupérer » Angela Davis ».

Nous devons donc être clairs sur ce point.
Nous n’avons nul besoin de « récupérer » Angela Davis puisqu’elle est membre du Parti Communiste.
« Toute publicité venimeuse tendant à dire que je suis utilisée par les communistes n’a pu être imaginée que par les ennemis de notre cause ».
« Je suis membre du Parti Communiste, il appartenait donc au parti de venir me défendre »

Angela Davis représente la jonction de la lutte du peuple noir et de la théorie marxiste – léniniste. Issue du mouvement noir, elle s’est placée sur le terrain de la lutte des classes et de l’internationalisme prolétarien.
Il appartenait donc à tous les partis communistes du monde de prendre sa défense, y compris bien sûr, au Parti Communiste Français.

Ne pas admettre cela c’est cautionner les Nixon &co. C’est aussi faire le jeu de la « stratégie scissionniste » Noirs-Blancs, mais aussi entre Noirs eux mêmes au sein, par exemple, des Blancs Panthers. Stratégie préconisée par Eldrige Cleaver.

« Cleaver ne comprend pas ou ne veut pas comprendre que notre action en tant que militant noirs doit être constructive. C’est pourquoi je pense qu’il faut changer la société avec les Blancs les plus conscient… »
En reprenant les arguments de la clique Nixon-Reagan, il tente d’installer la division dans le combat des Noirs. Ne voit il pas que tous les combats contre le racisme sont solidaires, sont les maillons d’une même chaîne ».

Mais bien sûr, on peut trouver quelques « utilités » à louer E. Cleaver – qui s’est volontairement exilé en Algérie – en tant que porte parole de l’anticommunisme, de l’antisoviétisme ! On peut s’interroger, comme le fait Charlène Mitchell (17) : « Pour qui tu prends parti ? »

Nous pensons quand à nous, que le combat pour la libération d’Angela Davis ne doit pas être le seul combat des communistes mais de toutes les forces démocratiques du monde entier.

Depuis sept mois maintenant Angela est en prison sans que ses avocats aient pu obtenir au moins sa mise en liberté provisoire.

Le 18 mars, le juge John Mac Murray s’est déclaré incompétent à présider aux débats et s’est retiré purement et simplement.

Le 24 mars, le juge Alan Lindsay, de la Cour Suprême de San Francisco, lui succédait.

Le 2 avril, le procès reprit ses séances préliminaires pour quelques heures seulement, au bout desquelles il devait à nouveau, être suspendu jusqu’au 12 avril. Les avocats d’Angela Davis ayant récusé ce nouveau juge connu pour sa partialité et qui doit sa carrière a l’appui du gouverneur Reagan.

Le juge Lindsay est selon les avocats de A. Davis le « symbole des forces racistes qui ont monté ce simulacre de procès ».
Depuis…

Ainsi sans une action de grande envergure pour sa libération, Angela Davis peut rester encore de long mois en prison. On peut lui refuser de bénéficier de la liberté sous caution. On peut – faute de pouvoir la condamner à mort – la détenir perpétuellement en prison.
Et tout serait ainsi pour le meilleur des mondes !
Angela Davis ne désespère pas.

Cette longue attente n’a pas entamé son moral.

« Avec toutes les magnifiques sœurs qui m’entourent et tous les frères et toutes les sœurs qui luttent à l’extérieur, je ne peux pas ne pas me sentir aussi résolue à continuer à lutter que je ne l’étais quand je fus capturée. Je reçois chaque jours des centaines et des centaines de lettres de sympathisants dans le monde entier. J’avais même peine à croire à l’immensité du soutien que j’ai reçu de partout »…
« Quand j’essaie d’imaginer ce que George Jackson a enduré pendant ces onze dernières années et qu’il est pourtant devenu un puissant et remarquable dirigeant de son peuple, et quand je pense que Jonathan Jackson et beaucoup d’autres ont sacrifié leur vie pour notre lutte, je me sens rempli de toute la force nécessaire pour continuer la lutte ».


De sa cellule elle poursuit sont combat contre le racisme et l’oppression, en soutenant par ses écrits – et par son exemple – la cause des Noirs américains.

« Je suis avec mon peuple, écrit elle, et nous allons continuer à lutter à l’intérieur de la prison ».
« Les prisonniers politiques sont montrés comme exemple au reste du monde. George, John et Fleeta furent montrés comme exemple au reste de la population de Soledad, exemples qui indiquaient de façon éclatante le sort de tous les captifs sans exception qui suivraient leur trace. Il en est de même de Ericka, Bobby, des frères de Soledad, de Martin Sostre, des panthères et de moi même ».
Nous pouvons avoir aujourd’hui quelques inquiétudes sur son état de santé. Henry Winston qui a pu lui rendre visite il y a quelque temps a pu constater que les persécutions à son encontre se multiplient.

Angela Davis « commence à ressentir physiquement les effets d’un isolement total et de sa claustration. Elle se plaint aussi de la nourriture et souffre de troubles de la vue dus a une défectuosité de l’éclairage artificiel de sa cellule ».

Il n’y a donc pas une minute à perdre pour sauver Angela Davis.

« Il est certain que la démocratie en Amérique est avilie et sans espoir, quand les tribunaux qui sont censés être les garants des droits du peuple ont été enrôlé pour jouer un rôle actif dans la guerre génocide contre le peuple noir ».

Notre conclusion, qui ne peut être qu’un APPEL à l’action pour développer une grande campagne en faveur d’Angela Davis, nous la laisserons à Angela Davis elle même : « il n’y a qu’une façon… il faut que des milliers de gens fassent savoir au gouvernement qu’ils ont l’intention d’utiliser toutes les armes dont il peuvent disposer pour assurer la libération de leurs guerriers captifs et assurer ensuite la libération du peuple noir ».

« Cette voix n’est pas celle de la majorité silencieuse dont Nixon se prétend le porte-parole ». C’est la voix de « l’autre » Amérique… celle qui monte des fers et qui parle des lendemains où Bobby Seale, Ericka Huggins, Rucce Magee, les Soledad Brothers, leurs frères et sœurs emprisonnés et Angela Davis seront Libres.

Jean Claude Izzo


(1) « Angela Davis Parle », collection « Notre Temps », Editions Sociales.
(2) Toutes les citations, sans références, sont extraites de l’ouvrage cité.
(3) Interview d’Angela Davis parue dans « l’Humanité » du 30-4-1971
(4) Cf « l’Humanité » du 30-4-1971
(5) Lire à ce sujet les très belles lettres de George Jackson, parues aux Editions Gallimard, collection « Témoins », sous le titre : « Les Frères de Soledad ».
Il faut signaler que les militants Noirs, communistes ou pas, s’appellent entre eux « Frères » et « Sœurs ».
(6) Angela Davis : « Route de la Révolution » réponses au questionnaire de Michael Myerson, in Guardian, 26 déc.1970. Traduites de l’américain par Jean-Pierre Faye, et publiées dans la revue Change : « Violence II » éditions du Seuil.
(7), (8), (9), (10) : même référence.
(11) Le cinquième amendement permet de refuser de répondre à une ou plusieurs question si l’accusé considère que ces question sont destinées à lui nuire ;
(12) Change : article cité ;
(13) cf. l’Humanité du 14 juin 71
(14) cf. op. Change.
(15) Henry Winston, président du PC Américain est lui même Noir.
(16) Voir « Témoignage Chrétien » du 18 mars
(17) Secrétaire de la commission de la libération des Noirs du PC des Etats Unis

« C’est pourquoi le peuple noir doit mettre à l’ordre du jour la question de s’organiser non seulement pour la défense des prisonniers politiques mais pour sa propre défense ».
Nous devons signaler que le rôle de la Gauche et du Parti Communiste est important aux U.S.A. De notre « œil européen » cela ne nous apparaît souvent pas clairement. Mais il faut être conscient de ce que cela implique d’être « communiste » au pays de Nixon !
Comme nous pouvons le lire par exemple dans un récent document émanant de l’Ambassade des Etats-Unis à Paris : « L’affaire Angela Davis sous son vrai jour » (13) : ce n’est pas un crime d’être communiste aux Etats-Unis, bien que la plupart des Américains considèrent qu’il s’agit d’une erreur de jugement ou de goût » ( ! ).

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