Addition salée pour la cohésion nationale. Mercredi soir, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) organisait son dîner annuel en présence de membres éminents du gouvernement et de la classe politique. Une opportunité pour les convives de goûter les sermons du président Richard Prasquier et de savourer la finesse de ses injonctions.
The-place-to-be : plus attrayant qu’une soirée caritative pour célébrités désœuvrées, le rendez-vous annuel du dîner du Crif est devenu, pour sa 25 ème édition, un moment incontournable de la vie publique. Le 3 février au soir, ils étaient environ 800 invités, triés sur le volet, à vouloir en être et y paraître. Acteurs politiques, décideurs économiques, personnalités religieuses et sociétaires du spectacle se sont rendus à cette cérémonie d’un genre particulier : celle durant laquelle, selon ses organisateurs, la communauté juive délivre son message à la République. Et peu importe aux convives si de plus en plus de citoyens juifs contestent au Crif, comme nombre de leurs compatriotes musulmans à l’endroit du Cfcm, toute légitimité pour les représenter. Les jeux de rôles sont d’ores et déjà attribués. Y compris dans l’absence du Parti communiste et des Verts, coupables d’avoir participé aux manifestations de soutien à Gaza pendant les bombardements israéliens.
Avec un tel pouvoir reconnu par les plus hautes autorités de l’Etat, dont Nicolas Sarkozy, de passage « quelques instants », et François Fillon en « invité d’honneur », le président Prasquier peut, dès lors, énoncer, durant un discours-programme, ses exigences pour la nouvelle année : une meilleure « surveillance » d’Internet pour pénaliser davantage toute forme de « racisme ordinaire », le rejet par la France d’un rapport onusien dénonçant des crimes de guerre commis par Israël, la reconnaissance tacite de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu et la recrudescence d’efforts pour libérer le soldat Gilad Shalit. Ainsi, par exemple, pour convaincre l’auditoire de la nécessité de renforcer le contrôle sur la Toile, le président du Crif contesta l’authenticité de la révélation journalistique, largement reprise sur Internet depuis l‘été dernier, faisant état d’un trafic d’organes en Israël à partir de corps de Palestiniens décédés. Contre-vérité ou grossière erreur de la part de Richard Prasquier puisque l’armée israélienne vient elle-même de confirmer la réalité d’une telle allégation.
Quant à la sempiternelle menace iranienne, le propos belliciste a largement été amplifié par le Premier ministre, François Fillon, qui avait curieusement attendu le dîner du Crif pour annoncer, sur un ton martial, l’initiative de la France pour réclamer d’éventuelles sanctions plus fortes au travers d’une nouvelle résolution de l’Onu. C’est le même Fillon, redevenu diplomate, qui qualifia de « conflit » ou de « crise » l’agression israélienne commise sur la population de Gaza en janvier 2009 avant de reconnaître qu‘à ses yeux, la sécurité de l‘Etat hébreu était une « priorité absolue ». En aparté de ce discours rédigé, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, interrogé par Public Sénat sur les causes du nouveau regain de l’antisémitisme, évoqua, quant à lui, l’explication des « événements de la plaine de Gaza », savoureuse expression que n’auraient pas renié les censeurs des années 50 quand ils décrivaient, empreints de la même délicatesse, les « événements d’Algérie ».
Ceci n’est pas du communautarisme
Ne manquant pas de distribuer également les bons points, le président du Crif se félicite que le procès Fofana, qui doit reprendre en octobre, puisse éventuellement « remplir sa mission pédagogique » grâce à l’adoption encourageante, le jour même de son allocution, d’une proposition de loi en commission visant à alléger la règle du huis clos en cour d’assises des mineurs.
De même que le souhait d’un appel par le ministère de la Justice -pour condamner plus lourdement les complices de Youssouf Fofana- avait été exaucé par Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, cet amendement à la loi est réclamé, depuis le début de la procédure judiciaire, par les avocats de la famille Halimi, en partenariat singulier avec le Crif.
Attiser sociologiquement la peur d’une montée de l’antisémitisme en France tout en reconnaissant politiquement que la France n’est pas un pays antisémite : tel est le grand écart stratégique auquel se plie, avec une indéniable souplesse, Richard Prasquier depuis son arrivée à la tête du Crif en mai 2007. L’homme, qui se dit « immensément satisfait » d’avoir accédé à ses nouvelles fonctions en même temps que le président de la République, ne nie pas son attachement sentimental à Israël, même s’il prétend demeurer « légitimiste » à l‘égard de la France. Et loyal envers certains notables : quand il s’agit de commenter la nouvelle saillie verbale de Georges Frêche, l’intéressé préfère passer l’éponge, jugeant que le truculent personnage, bizarrement soutenu par la Ligue de défense juive, n’est pas fondamentalement antisémite. Outre cette clémence, Richard Prasquier sait pratiquer la réciprocité en matière d’invitation comme en témoigne la venue de l’imam controversé, Hassen Chalghoumi, qui a hésité, dans un premier temps, à se rendre au gala du Crif pour ne pas donner du grain à moudre à ses détracteurs. Dieu merci, le religieux de Drancy qui souffre d’entendre des voix tonitruantes à la mosquée, même en son absence de l‘établissement, a reçu l’accolade du Premier ministre qui lui a garanti « tout son soutien ».
Cette téméraire visite de l’imam aura été peut-être judicieuse puisque elle aura permis au président du Crif d’affiner sa culture générale en matière de culture vestimentaire islamique : plus tôt dans la journée, sur l’antenne d’Europe 1, pour commenter la présence d’une candidate voilée sur une liste NPA aux élections régionales, Richard Prasquier s’en amuse malicieusement - « Trotski doit s’en retourner dans sa tombe ! »- mais se prend les pieds dans le tapis de prière en confondant le foulard de la jeune femme avec un « voile intégral » -une « burqa », persévère, dans l’erreur, le communiqué sur le site du Crif. Emmailloté dans la toile du niqab, Prasquier continue l’entretien mais se débat dans une nouvelle confusion, ajoutant, sur le même ton sarcastique, que, de toute manière, Olivier Besancenot « ne pourrait pas exprimer ses idées en toute liberté à Gaza » . Que nul ne s’avise de lui révéler que les Palestiniens, y compris à Gaza, ont longtemps connu l’existence féconde d’une extrême gauche, communiste et trotskiste : le cardiologue de formation qu’est Richard Prasquier, paraissant se représenter les Gazaouis comme d’éternels islamistes enburqannés, pourrait bien en faire une attaque.
Likoud serré
Le nouvel élu du comité directeur du Crif, maître Gilles William Goldnadel, va plus loin dans sa gratitude envers le chef de l‘Etat : selon lui, Nicolas Sarkozy, qui s’est toujours déclaré « inconditionnel de la sécurité d’Israel », a réussi à « apaiser la communauté juive ». Pour preuve de leur connivence, Goldnadel indique avoir été personnellement invité par le chef de l’Etat lors de sa visite officielle en Israël au cours du mois de juin 2008 ; de plus, l’avocat, qui avait défendu la journaliste islamophobe Oriana Fallaci, se vante désormais d’avoir des lettres de soutien adressées par Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie dans sa lutte contre le boycott des produits israéliens.
Nul étonnement si certains déplorent en conséquence la dérive droitière que représenterait l’arrivée de Goldnadel et de ses comparses au comité directeur du Crif, traversé depuis quelque temps par des fortes dissensions en son sein. Ces dernières années ont vu apparaître une forme inédite de repli identitaire au sein de la communauté juive, particulièrement parmi les plus jeunes. Des intellectuels vont même jusqu’à dénoncer cette crispation idéologique : ainsi, le journaliste Jean Daniel n’hésite plus à comparer les responsables actuels du Crif à des « représentants français du Likoud » tandis que Rony Brauman et Elizabeth Lévy, pour une fois d’accord, qualifient cette institution de « seconde ambassade d’Israël ». Même le philosophe Alain Finkielkraut, surnommé jadis « le porte-flingue d’Ariel Sharon », semble pourtant, lui aussi, excédé quand il en vient à juger comme étant « légèrement grotesque » le rendez-vous annuel du Crif, ce « tribunal dînatoire » qui s’apparente à une « convocation du gouvernement ». Des jugements sévères de la part de personnalités de l’intérieur, d’ordinaire plus accommodantes avec leurs représentants autoproclamés. La nouvelle direction du Crif, qui prétend incarner une « libération intellectuelle », laisse redouter de prochains raidissements idéologiques ainsi que l’accroissement des rivalités internes, et ce, particulièrement au regard de l’échéance, au mois de mai, de la réélection pour la présidence du Conseil.
Mais, pour le moment, Richard Prasquier peut continuer sereinement de pavoiser et de conclure ses discours sur une note lyrique, comme à la fin de cette cérémonie communautaire et anti-communautariste, où il rappelle que le Crif se définit comme un organisme « juif, républicain et français ». Dans l’ordre de ces qualificatifs. A l’heure où les musulmans de France sont de plus en plus sommés de démontrer, d’abord et avant tout, leur « identité nationale », leur rejet de la burqa, du verlan et de la casquette portée à l’envers, sans doute sera-t-il salutaire d’affirmer - à qui de droit - les paroles d’un homme revenu de l’horreur surgie au cœur d’une Europe dite des Lumières : Primo Levi, rescapé d’Auschwitz. Toute personne porteuse d’une quelconque identité stigmatisée pourrait s’inspirer, dans la résistance, de son propos, et y reconnaître une résonance familière, fraternelle, universelle : « Je suis juif parce que le sort a voulu que je naisse juif. Je n’en rougis pas et je ne m’en glorifie pas. Être juif pour moi, c’est une question d’« identité », une « identité » à laquelle, je dois le préciser, je n’ai pas l’intention de renoncer ».
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