Jerusalem-est ou de la duplicité israélienne

Alors que les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne viennent d’affirmer dans une déclaration commune, adoptée mardi 8 décembre, que Jerusalem doit devenir la "future capitale de deux Etats" et que "le statut final de la ville doit être réglé par la négociation", un rapport confidentiel rédigé par des diplomates européens en poste à Jerusalem dénonce la poursuite de la colonisation israélienne à Jerusalem-Est et la poursuite d’une stratégie "d’annexion illégale" qui risque de rendre impossible une solution à deux Etats.

Saluée comme "une victoire du droit international" par le Premier ministre palestinien Salam Fayyad et rejetée comme un "danger" par le maire de Jerusalem, Nir Barakat, l’adoption de cette déclaration commune par le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne révèle une réelle évolution de la position de l’Europe sur le dossier israélo-palestinien.

Divergences profondes
Après la publication la semaine dernière par le quotidien Haaretz, d’un projet de résolution préparé par la présidence suédoise de l’Union qui proposait que Jerusalem-Est devienne "la capitale du futur Etat palestinien" le gouvernement israélien avait lancé une offensive diplomatique contre ce texte, qui, à ses yeux portait atteinte "à la capacité de l’Union européenne à prendre part comme médiateur au processus politique entre Israéliens et palestiniens". Le document finalement adopté est une version amendée du texte suédois mais – à la colère des dirigeants israéliens – il rappelle que sur plusieurs points importants il existe désormais des divergences profondes entre Israël et l’Union Européenne. Selon ce document, l’Union, qui "n’a jamais reconnu l’annexion de Jerusalem-Est" par Israël, n’accepte "pas les changements de frontières survenus après 1967" et demande "la réouverture des institutions palestiniennes de Jerusalem". En d’autres termes, l’Union européenne semble avoir décidé d’adopter, sur la question israélo-palestinienne, une position répondant aux constatations et aux recommandations contenues dans les différents rapports rédigés depuis 2005 par les chefs de missions diplomatiques de l’Union européenne à Jerusalem.
Un rapport très factuel
Le dernier de ces rapports est daté du 23 novembre 2009. Comme les deux précédents il n’est pas destiné à être rendu public, complété par l’examen d’un cas précis (le quartier de Sheikh Jarrah) et un tableau des démolitions de maisons et des déplacements de personnes à Jerusalem-est entre janvier et octobre 2009.
Selon ce document, dont l’existence a été dévoilée il y a une semaine par le quotidien israélien Haaretz, qui en a cité quelques extraits, "les développements à Jerusalem-est en 2009 ont été caractérisés par l’expansion de la colonisation et un nombre considérable de maisons démolies et de palestiniens expulsés. Israël poursuit activement, par des moyens pratiques, l’annexion illégale de Jerusalem-Est en affaiblissant la communauté palestinienne de la ville, en empêchant le développement urbain des palestiniens et, au bout du compte en séparant Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie".
Exemples précis à l’appui, le rapport constate que 30% de la population palestinienne de la Ville sainte a été de facto expulsée et accuse le gouvernement israélien et la municipalité de Jerusalem de changer délibérément l’équilibre démographique de la ville et de soutenir les entreprises de deux organisations d’extrême droite, Ateret Cohanim et Elad qui achètent des maisons dans les quartiers palestiniens de la ville pour augmenter le nombre de colonies juives au cœur du quartier musulman. Dans le faubourg de Silwan, où vivent plus de 30 000 habitants, pour la plupart palestiniens, les habitants n’ont reçu, depuis 1967 que 20 permis de construire de la municipalité de Jerusalem, constate le rapport. Conséquence : la majorité des habitations ont été construites sans permis et sont donc en danger d’être démolies.
La propriété des terrains, officiellement considérés comme espace public – destiné par exemple à des jardins ou des équipements collectifs – a été privatisée et largement transférée à l’organisation de colonisation Elad. "Dans ce secteur 88 immeubles d’habitation du quartier Al Bustan sont ainsi menacés de démolition pour permettre l’aménagement du parc archéologique de loisirs de la Vallée des rois, autour de la Vieille ville, précise le rapport. En février, 57 de ces immeubles ont fait l’objet d’ordres de démolition. S’ils sont rasés, 1500 Palestiniens se retrouveront sans abris". "Alors que les Palestiniens de Jerusalem-Est représentent 35% de la population de Jerusalem, notent les diplomates européens, seulement 5 à 10% du budget municipal est dépensé dans les secteurs palestiniens, qui sont caractérisés par des chaussées défoncées, peu ou pas de nettoyage des rues et des égouts en mauvais état".
"Un outil idéologique"
Dénonçant la transformation de l’archéologie « en un outil idéologique au service d’un combat national et religieux qui modifie l’identité et le caractère de la ville et menace de saper sa stabilité », le rapport déplore la passivité de la police face aux nombreux actes de violence dont est victime la population de Jerusalem-Est, de la part des colons.
Dans le chapitre consacré à la liberté de circulation, le rapport rappelle que pour la Cour de justice internationale, "le tracé du Mur [de séparation] et le régime de permis qui l’accompagne sont contraires au droit international". "A Jerusalem-Est, écrivent les diplomates européens, le trajet de la barrière et de système des permis de circulation ont eu des conséquences humanitaires, sociales et économiques très graves pour la vie des palestiniens. L’existence des colonies a été un facteur déterminant dans l’élaboration du régime des bouclages et dans le tracé du mur, comme le montre le fait que le mur s’éloigne de la Ligne verte pour inclure 12 colonies des environs de Jerusalem. En plus de son impact sur la démographie, la barrière, dans la région de Jerusalem annexe, de facto, 3,9% de la Cisjordanie."
Après avoir indiqué que la politique de l’Union européenne est fondée sur les principes exposés dans la résolution242 du Conseil de sécurité de l’ONU, le rapport rappelle que "l’Union européenne n’a jamais reconnu l’occupation de Jerusalem-est par Israël, en 1967, ni la loi fondamentale de 1980 qui déclare Jerusalem annexée capitale 'réunifiée' d’Israël" et souligne que "l’Union européenne demeure attachée à une solution à deux Etats, avec un Etat palestinien indépendant, démocratique, contigu et stable, vivant côté à côte en paix et en sécurité avec l’Etat d’Israël".
Même si les responsables européens sont muets sur ce point, il est difficile de ne pas apercevoir dans les constatations, les analyses et les suggestions contenues dans ce rapport – et dans les précédents – les sources de la reflexion qui a conduit à l’adoption, mardi à Bruxelles de la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères. Coïncidence ou représailles : quelques heures après l’adoption du texte européen, une délégation de huit députés européens, qui avait été autorisée à se rendre dans la bande Gaza en a été sans préavis empêchée par l’armée israélienne…

René Backmann

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