Cosmétique raciale et retour du refoulé

Aille ! Aille ! Aille ! Il s’est fourré dans de beaux draps ! Pendant un bref instant, devant les caméras de télévision, le Président des Etats-unis est devenu Noir !

La semaine dernière, quand son pote “Skip” Gates s’est fait embarquer par les flics pour avoir osé être Noir dans un quartier huppé de Boston, Barack Obama a oublié son rôle officiel: celui du pacificateur des consciences américaines qui leur raconte la belle histoire comme quoi son élection marque la fin du racisme aux USA.

Au lieu de cela, Obama, ce Président qui se donne un mal énorme pour toujours paraître ne pas choisir de camp, s’est effacé devant Barack, le sénateur radical du ghetto de South Side à Chicago, qui nous a rappelé que les flics embarquent tout le temps des Négros, juste pour les faire chier et leur montrer qui est le “mac” dans la rue.

Je me souviens soudain qu’il n’y a pas si longtemps [NdT. en 1992] que nous avons vu une bande de petites frappes en uniforme de police de Los Angeles s’acharner avec une violence inouïe sur un homme à terre, les mains menotées dans le dos: Rodney King, un Noir, un “Africain-Américain” si vous préférez. La seule chose inhabituelle dans le passage à tabac de Rodney King est que – cette fois là – il s’est trouvé quelqu’un pour le filmer et montrer la vidéo au monde. Des violences policières comme celles-là, il s’en produit des milliers, chaque nuit, à travers le pays.

Oui, je sais: nous avons parcouru un sacré chemin depuis. Les choses ont changé. Obama a gagné, Jessie a pleuré [NdT. Jesse Jackson - président du lobby antiraciste NAACP], Beyoncé a lancé sa propre marque de parfum et Tiger Woods joue dans des clubs où, il y a encore 30 ans, on aurait refusé de le servir.

Je suis content pour eux.

Mais que pensez vous du cas de Robert Pratt, M. le Président?

Pratt, travailleur dans l’industrie automobile, est père de cinq enfants et paye chaque mois 1 100 US$ en traites pour rembourser sa maison de Detroit – alors que celle-ci ne vaut même plus 40 000 US$. Si ses traites sont astronomiques, c’est parce qu’il paye 11% de taux d’intérêt, soit le double de la moyenne nationale. Avec un plan de financement pareil, il est quasiment certain de ne pas pouvoir rembourser et de bientôt se retrouver à la rue.

Comment en est-on arrivé là ? Pratt, dont nous avons suivi le cas dans le cadre d’une étude, a été “orienté” vers un prêt immobilier à taux “subprime” par la banque Countrywide Financial. “Orienté” est une façon polie de dire qu’on force les gens à accepter des prêts à des conditions usuraires. Et quand je dis “des gens”, je ne dis pas n’importe quels gens : je dis des Noirs, comme M. Pratt. Plus de 60% des personnes Noires qui on déposé ou déposent un dossier de crédit ont été (et le sont encore) orientés vers des contrats “subprime” aux taux prédateurs.

Selon une étude exhaustive menée par le “Federal Reserve Board” et le “Center for Responsible Lending” (CRL), les Africains-Américains sont 250 plus susceptibles d’obtenir un crédit doté d’un taux “explosivement variable” que des emprunteurs à la peau blanche. Et ne venez pas nous dire que c’est parce que les Noirs sont généralement plus pauvres que les Blancs : l’étude à montré que plus on monte dans l’échelle des revenus et plus le “credit rating” est élevé, plus la discrimination devient marquante.

[NdT. Selon une étude de l'Université de Tufts, basée sur l'analyse de 28 000 dossiers dans les grandes et moyennes villes U.S., il apparaît que, à revenu et notation égales, un cadre supérieur Noir qui demande un crédit immobilier à sa banque a 250 fois plus de chances de se retrouver avec un crédit "subprime" à taux usuraire "explosif" qu'un cadre supérieur Blanc tout aussi riche et bien noté.]

En tant qu’économise, je peux vous dire sans la moindre exagération que l’échec d’Obama de se confronter à la question du racisme endémique au sein du système financier est entrain de tuer tout espoir dans le redressement économique de ce pays. Selon les études de la CLR, les “crédits à taux explosifs” qui ont majoritairement touché les communautés Noires et Hispaniques, sont à l’origine de la dévaluation de 40,2 millions d’autres propriétés, qui ont perdu leur valeur commerciale à cause de leur proximité avec des maisons qui ont été saisies et vendues aux enchères, saturant le marché immobilier.

Et malgré cela, nous n’avons pas entendu le moindre commentaire de la part de l’Administration Obama visant à mettre fin à ces pratiques de crédit dignes du Ku Klux Klan, des pratiques ciblées qui ont dévasté les quartier Noirs et ont emporté une grosse partie des valeurs immobilières de l’Amérique Blanche avec elles.

[NdT. Selon l'observatoire des prix immobiliers, dans les grandes villes comme Detroit et Chicago, dans certains quartiers, 3 maisons sur 5 sont abandonnées et ont perdu 90 à 95% de leur valeur y compris foncière. Cela dépasse les dommages causés par le cyclone Katrina à une ville comme New Orleans]

Au lieu de cela, le directeur de cabinet d’Obama, Rahm Emanuel, a été l’invité d’honneur du Directoire de JP Morgan, groupe bancaire propriétaire d’un des pires prédateurs financiers à l’origine de la crise, Washington Mutual. Comparé à Morgan/WaMu, et ses magouilles de crédit fortement teintées de racisme, le commissariat de police de Cambridge [NdT. Où a été arrêté le professeur Gates] pourrait passer pour une annexe de SOS Racisme [NdT. aux USA, le NAACP est une puissante association de lobbying anti-raciste et anti-discriminatoire].

(Et de fait, les hôtes de Rahm Emmanuel, la banque JP Morgan a été trainée devant les tribunaux la semaine dernière par le NAACP qui l’accuse de “racisme systématique et institutionnalisé dans l’attribution de ses crédits immobiliers”).

La vérité toute nue est que les attaques financières contre la communauté Noire se poursuivent, avec la même intensité, sous Obama comme sous Bush, malgré le pouvoir dont dispose Obama qui lui permettrait d’interdire la pratique des taux usuraires aux banques recevant des fonds de soutien de la part du gouvernement. Obama a ordonné à la FDIC de garantir les emprunts de JP Morgan, permettant à la banque d’économiser 3,1 milliards US$. Obama a également ordonné à la FDIC de garantir à M. Pratt… euh… de “ne pas perdre espoir”.

Et qu’en est-il de Thomas Johnson, M. le Président?

Johnson est un pasteur de l’église protestante qui vit en Floride. En 2000 il a été privé de son droit de vote, en même temps que 94 000 autres électeurs – tous accusés à tort d’être des délinquants privés de leurs droits civiques. La plupart de ces innocents victimes d’un déni de justice sont Noirs, y compris notre pasteur. Comment je sais cela ? Parce que j’ai vu la liste de ces “délinquants interdits de vote” établie par les autorités de l’Etat de Floride, et que à côté de leurs noms, une main zélée avait pris la peine de noter “BLA” [NdT. pour "Black", Noir, la communauté Noire étant un réservoir de votes traditionnel du Parti Démocrate, les Républicains ont tout fait pour purger au maximum les listes électorales dans les districts traditionnellement acquis aux candidats démocrates - voir les extraits de "Armed Madhouse" sur ce site (liens en bas de page)]

Quand j’ai enquêté sur cette affaire, un de mes journalistes – je ne le nommerais pas parce que sa réaction est tellement typique d’une certaine mentalité – m’a demandé pourquoi le pasteur Johnson, qui, je vous le rappelle, est Noir, n’a pas tapé du poing sur la table et EXIGE qu’on lui restitue son droit de vote injustement privé. Johnson n’est pas professeur à Harvard, il n’a pas la ligne directe du Président dans les favoris de son téléphone portable.

Mon journaliste, à la peau très blanche, fraichement émoulu de l’université de Yale, assis dans son bureau de San Francisco, n’arrivait pas à imaginer ce qui risquerait d’arriver si un pasteur Johnson, à la peau noire, s’était permis de faire un scandale dans un bureau de vote du Conté d’Alachua, au plus profond du Sud Profond. Notre pasteur a eu l’intelligence de ne pas prendre modèle sur “Skippy Gates” et s’est bien gardé de se montrer défiant envers les autorités locales: après tout, il y a seulement quelques mois, les flics d’Alachua ont déchargé leurs Tasers sur un homme Noir désarmé, “qui troublait l’ordre public”, avant de lui loger sept balles dans la peau et de le tuer.

Bien sûr, vous allez me dire que la privation inique du droit de vote de M. Johnson est “une histoire qui date de l’An 2000.” Aujourd’hui c’est différent, nous sommes en 2009, nous sommes entrés dans l’ère “post-raciale”.

Mon cul, oui.

Lors des élections de l’an dernier, la Floride ne s’est pas privée de pratiquer la purge des liste électorales sur des critères racistes et électoralistes, interdisant à des milliers d’électeurs Noirs et Hispaniques de se rendre aux urnes à travers l’instauration d’une nouvelle loi limitant les documents d’identité valables pour pouvoir voter [cf Real ID].

Rien que cette nouvelle loi aura permis d’écarter tellement de Noirs et de Bronzés des urnes que les ségrégationnistes “Jim Crow” des années 1950 auraient applaudi des deux mains. (Je vous renvois à l’enquête, “Block the Vote” que j’ai réalisé avec Bobby Kennedy, paru dans l’édition d’octobre 2008 de Rolling Stone – [NdT : COMMENT VOLER UNE ÉLECTION ? ]

Et pourtant, l’Administration Obama ne semble pas être très pressée à invalider ces pratiques électorales dignes d’un Bull Connors [NdT : chef raciste de la police de Birmingham lors de la campagne pour les droits civiques de Noirs en 1963 - également membre important du Ku Klux Klan et responsable local du Parti Démocrate (sic)].

POISON

Ce que je veux dire c’est que le poison du racisme structurel en Amérique continue à nous rendre tous malades, dans notre économie, dans nos bureaux électoraux, dans nos écoles (ne me lancez pas sur ce sujet…), dans notre système de sante, dans… choisissez un domaine au hasard, ils sont tous affectés.

Oui, bien sûr, moi aussi je me suis joint à la Parade de l’Espoir, moi aussi j’ai voté pour Obama, en espérant qu’il y aurait au moins ce changement là : une attaque directe contre les derniers bastions de politiques et pratiques racistes qui subsistent encore dans nos administrations et autorités tant locales que nationales. J’attends encore.

Cela a été un moment fort de voir apparaître – même brièvement – un homme Noir derrière le pupitre marqué du sceau présidentiel.

Malheureusement, si Obama s’est faché et a exigé que la loi s’applique à tous, sans distinction, il lne l’a pas fait pour défendre un Noir. Non, il l’a fait parce que cette fois ci le fouet s’était abattu sur une personne comme lui, quelqu’un de son milieu, quelqu’un dont le statut professionnel et la classe sociale leur faisait croire qu’ils étaient désormais à l’abri des insultes et vicissitudes quotidiennes que doivent affronter leurs “frères” moins privilégiés.

On a tellement insisté sur le fait que Gates était professeur à Harvard qu’à la fin on avait l’impression que la raison du scandale était que “il n’est pas admissible de menotter un homme Noir QUI EST PROFESSEUR A HARVARD”.
Il ne s’agissait pas d’une violence raciste, il s’agissait d’une violation des règles du privilège de classe, qui ne connait pas de distinction raciale.

On ne ressent pas en Amérique – et tout particulièrement dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche – le moindre frémissement de colère ou d’indignation face aux cruautés endémiques et systématiques, qui sont infligées chaque jour à des citoyens Noirs comme Pratt and Johnson, des citoyens qui ont le malheur de ne pas être membres du Club des anciens élèves de Harvard.

Greg Palast (Trad. Gregor Seither)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et alors qu'attendiez-vous d'un Président noir ? Ignorez-vous que le pouvoir blanchit ? Comment Obama a-t-il gagné sa campagne ? Yes we can ?
Après les élections étasuniennes, il y a eu une déferlante d’intérêts pour les élections USA en France et tous les partis de droite comme de gauche se sont précipités pour prendre des leçons auprès de la directrice et de l’équipe de cabinet d'Obama. Que recherchez ces dirigeants politiques ? Comment faire élire en France un black ou un beur ? Croyez-vous ? Non ce qu’ils recherchaient c’etait comment fractionner la société pour qu’une seule personne puisse incarner l’intérêt de plusieurs groupes particuliers (les noirs, les hispaniques, …les homosexuelles, les femmes, les gros, les beaux etc…). Il est vrai qu’Obama est noir, mais c’est pour l’heure qu’un détail, puisqu’il est à la botte comme les autres présidents d’une poignée d’individus qui eux sont blancs. Obama est blanc par procuration et je ne doute pas que cela soit douloureux pour lui mais ainsi va le pouvoir blanc. Et nous ?

Anonyme a dit…

Quelque chose m'échappe dans le traitement discriminatoire des banques, dont sont victimes les "cadres supérieurs noirs à pouvoir d'achat équivalent à ceux des cadres supérieurs blancs".
Dans les logiciels de calcul de prêt, dont n'importe quelle banque se sert, l'écran de saisie des caractéristiques du demandeur de prêt comporte t'il une case à cocher "Noir", qui multiplie par cinq le niveau de risque associé au prêt.
Plus sérieusement, il est probable que ce soit la politique de "red lining" qui soit à l'origine de l'augmentation du niveau de risque associé au prêt. Des quartiers (les ghettos noirs en font systématiquement partie) sont typés comme à risques financiers élevés.