Y a-t-il un antisémitisme arabo-musulman ?

Si, en matière d'idéologie, on prend au sérieux le distinguo fait entre la sphère politique et la sphère religieuse - distinguo méthodologique car en pratique il y a intrication permanente des deux sphères - et qu’on l’applique à un éventuel antisémitisme propre au monde arabo-musulman, que voit-on ? L’inexistence, n’en déplaise à Tariq ramadan, d’un antisémitisme, ou plutôt d'un antijudaïsme, pour des raisons théologiques. Dans la tradition musulmane il n’est fait ni mention de « peuple déicide », ni de figure détestable de Juda, ni de celle du « juif errant ». Il n’existe nul propos systématique qui vise à diaboliser le Juif en tant que tel… Si d’aventure, la chose avait existé, elle se serait exprimée, comme souvent en matière d’histoire, de façon tragique. Combien de massacres, de persécutions, de conversions forcées, de pogroms, d'expulsions dans le monde Arabo-musulman autre que fantasmatique? Y a-t-il eu une « question juive » et sa « solution finale » de ce côté-là du monde? L’antisémitisme arabo-musulman - si on peut faire entrer ce phénomène dans cette catégorie-là, ce qui est loin d’une évidence - date du XXe siècle et est directement lié au contexte géopolitique et tout particulièrement au conflit israélo-palestinien. Il est un indicateur qui ne trompe pas, il atteste du caractère exogène et contemporain du phénomène : il n’est aucune littérature (ou tradition orale) antisémite autre que d’emprunt dans cette partie du monde. Il faut savoir rendre à César ce qui est à César, à tout seigneur tout honneur, l’antisémitisme historique, tout particulièrement, sous sa forme religieuse est une exclusivité européenne. Par ailleurs, Léon Poliakov remarquait que la spécificité de l’antisémitisme, par rapport aux autres racismes, sa singularité transhistorique, est la perception du Juif comme « ennemi intérieur ». C'est-à-dire comme un membre d’une minorité livré à la suspicion et à la vindicte d’une majorité qui lui est plus ou moins hostile. En d’autres termes, il est une constante de l’antisémitisme, à chaque fois qu'il s'actualise, le Juif occupe la place du dominé dans la dialectique dominant-dominé, ne serait que parce qu'il est minoritaire. Les juifs, avant la seconde guerre mondiale, observait Hannah Arendt, étaient un peuple sans État démuni, privé de tous droits, et dont le droit, en tant qu’homme n'est garanti par aucune institution. Ce schéma, depuis la création de l’Etat d’Israël, est totalement obsolète, l’on peut même dire qu’il s’est inversé, car s’il est aujourd’hui une puissance régionale et nucléaire, la seule !, au Moyen-Orient, c’est Israël. Le « peuple d'élite, sûr de lui même, et dominateur» du Général n'était pas qu'une figure de style. En tenant compte de cela, peut-on encore parler d'antisémitisme ? Par ailleurs, Israël, depuis 1948, est en conflit permanent avec ses voisins arabes ; le chaos et la désolation occasionnés par six guerres successives, cela n'a rien à voir avec un délire paranoïaque. Compte tenu de l’essence du politique, depuis Machiavel au moins, champ dans lequel l'éthique y a fort peu cours !, qui pourrait rendre illégitime, condamner, disqualifier la désignation d’Israël par un Palestinien ou un Libanais comme un ennemi légitime? Et de quel droit ? On le voit l'antisémitisme dans le monde arabo-musulman, n'est pas d'essence religieuse, même si certains dignitaires religieux en font usage aujourd'hui, globalisation oblige, il est un mauvais produit d'importation, une camelote idéologique à la provenance plus que douteuse, qui dessert bien plus qu'il n'est utile à une lutte qui n'a pas à avoir honte d'elle-même. Il est même le contre-feux idéal à cette juste résistance ; contre-feux qui l'empêche de captiver « l’imaginaire mondial» (Edward Saïd) dont le peuple palestinien aurait tant besoin aujourd'hui...

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