Les héritiers de Darwich...

Globalisation et postmodernité oblige, il existe aujourd’hui comme un chassé-croisé, un tête-à-queue des identités et des identifications... Si les rappeurs européens s’identifient aux Palestiniens, après s’être identifiés à la jeunesse afro-américaine en rébellion, les jeunes Palestiniens s’identifient aux jeunes noirs du ghetto US, et la boucle est ainsi bouclée… Aliénation culturelle ou ambivalence qui peut mettre à mal le colonisateur...?

A l’image de ce qu’a pu être le jazz par exemple (tendance “free” notamment), le rap - quand il n’est pas digéré par les industries culturelles - est avant tout le produit d’une culture de résistance qui exprime la révolte des franges urbaines les plus défavorisées.

Lorsque l’on sait les conditions que connaît une grande partie de la jeunesse arabe dans les grandes métropoles du Maghreb ou du Machrek, faut-il s’étonner - sauf à considérer que l’homo arabicus est, par essence, différent du reste de l’humanité - d’y voir fleurir les multiples manifestations d’une culture hip-hop ?

En fait, dès qu’on y réfléchit un peu, on comprend comment ces ghettos de misère et d’injustice que sont les camps palestiniens peuvent s’inscrire parfaitement dans la topologie urbaine dont se nourrit le rap, dans ses formes authentiquement protestataires. Langage universel (ou plutôt mondialisé) de la révolte de la jeunesse, le rap ne pouvait que fleurir là où règne une violence, physique et symbolique sans guère d’équivalent ailleurs dans le monde.

Le rap palestinien apparaît sur la scène à la fin des années 1990, lorsque deux frères, Suhayl et Nafar Tamer, rejoignent Mahmud Jreri pour fonder le groupe Dam (non pas le sang “دم” mais plutôt l’éternité “دام” même s’il s’agit en fait de l’acronyme de “Da Arabian MC’S” - “MC” pour Master of Ceremony, à savoir, dans l’univers du rap, le chant, également appelé EmCeeing…) Le titre de leur premier CD (”Stop selling drugs” 1998) fait clairement allusion aux difficultés sociales du monde dont ils proviennent, celui de Lod, zone urbaine palestino-israélienne déshéritée à 20 kms au nord de Jérusalem.

Les paroles de leurs chansons, en arabe mais également en anglais et en hébreu, expriment une révolte qu’ils partagent avec d’autres composantes de la jeunesse israélienne (juive), celle qui se reconnaît aussi dans les textes d’un certain Kobbi Shimoni (Subliminal pour son nom de scène). Toutefois, les voix du rap local ont rapidement pris des chemins assez divergents : alors que le rap de Subliminal empruntait de plus en plus des accents ultranationalistes de droite, celui de Dam se faisait ouvertement propalestinien. (Un documentaire, Channels of Rage, retrace d’ailleurs, avec des séquences particulièrement fortes, cette époque.)

Cette évolution, vers une plus grande “palestinipolitisation” du rap, allait être illustrée en 2001 par l’énorme succès d’une chanson du groupe, pour son second CD, intitulée “Qui est le terroriste ?” (من ارهابي). Accompagnée d’un clip vidéo où les images les plus célèbres de l’intifada palestinienne font un écho visuel aux paroles du groupe, le titre a été déchargé plus d’un million de fois sur internet ( voir ce site ).

Qui est le terroriste ?
Je suis un terroriste ?
Comment je pourrais être un terroriste, alors que tu as volé ma terre ?
Qui est le terroriste ?
C’est toi le terroriste !

Fort de ce succès, le groupe vient de sortir son troisième CD, Ihdâ’/Dedication produit non plus localement mais par une maison de disques occidentale. Le lancement est accompagné par une tournée à l’étranger, sur le schéma classique d’une reconnaissance internationale qui peut également être celui d’une certaine récupération…

Depuis ces débuts remarqués, le rap a continué à faire son chemin dans la société palestinienne. Après Israël de 48 (Lod, Akka…), il a gagné les Territoires occupés (Jénine, Ramallah notamment), non sans soulever nombre de protestations : ses codes musicaux et culturels sont trop clairement empruntés à un “Occident” détesté pour l’oppression politique qu’il représente ; son ouverture aux métissages cosmopolites heurte de front les replis identitaires, et plus encore quand ils sont religieux ; son langage de protestation choque car il refuse les formes de représentations politiques communément admises…

Né dans une famille politiquement engagée à Ramleh, une ville arabe dans la Palestine de 48, Sâmih “Saz” Zakût figure parmi les plus célèbres de ces voix qui ont emprunté le chemin ouvert par le groupe Dam (peut-être parce qu’il a également eu les honneurs d’un documentaire).

Mais c’est à Gaza, là où il a pu arriver que certains concerts ne se terminent pas toujours très bien, qu’est apparu un jeune groupe de rapeurs, durant la guerre du Liban de l’été dernier. Une coïncidence qui est tout sauf fortuite car, si les jeunes musiciens de “G-Town” affirment ne pas faire de politique, ils expliquent également que leur musique est leur manière de protester contre la poitique américaine et son New Middle-East.

Un article d’Al-Akhbâr, le 17 novembre dernier, sur le groupe G-Town.
Et dans la version anglaise de Wikipedia, plusieurs très bons articles, notamment sur le hip-hop arabe.

Au-delà de la Palestine, il y a le rap arabe (au Koweït, aux Emirats, en Algérie, au Maroc, au Liban, en Egypte, bref partout !, avec d’ailleurs son site officiel.

Enfin, voici le lien pour le site d’Iron Sheik, un rappeur arabo-américain (ils sont quelques-uns qui bénéficient, paradoxalement, de l’effet post-11 septembre) : cela permet de se rendre compte des liens transnationaux tissés par les membres de cette nouvelle culture de résistance…

Culture et politique arabes

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une simple écoute du morceau illustre parfaitement ce que vous démontrez. Les gars de Dam ne se sont pas seulement approprié la culture rap des states, ils sont, ils génèrent, ils nourrissent le mouvement rap, culture de la résistance internationale.
Ca illustre aussi le fait que le rap vit dans cette époque "mondialisée", avec ses principales caractéristiques.
Utilisation d'ordinateurs (beat, samples), sonorités "modernes", nous sommes dans une époque technologique, mais pas d'effacement des cultures locales : samples d'instruments traditionnels orientaux et paroles dans leur langue (et non pas en anglais).
Et les textes sont critique de la politique et, j'imagine, évocation de la misère de leur peuple.
La musique en dit long en un temps très court. Et sinon à part ça, j'aime bien.
Salutations.