A-t-on imaginé les dégâts occasionnés par le mythe de la frontière, cet ethnoscape américain, au Proche-Orient ?
On sait qu’une grande partie de ce que l’on appelle le « lobby sioniste » aux États-Unis n’est pas composé par les juifs new-yorkais mais par un certain nombre de sectes protestantes qui considèrent l'Amérique comme une deuxième terre promise et qui « croient » qu’il faut que tous les juifs rejoignent la terre d’Israël parce que c’est le signe et la condition de la deuxième venue du Messie. Ce jour-là, d’ailleurs, les juifs devront choisir entre devenir chrétiens ou disparaître en enfer. En découvrant ces détails – des convictions « électorales » de certains groupes non négligeables dans l’élection présidentielle du Monde –, les Européens sont en majorité atterrés (mais ils s'en remettent vite!).
La conviction que Dieu protège le conquérant, qu’on ne s’arrête pas aux Appalaches, qu’on ne s’arrête pas avant d’être arrivé au Pacifique, qu’il n’y a pas de ligne raisonnable où on puisse arrêter une grande civilisation pionnière en route, à moins d’une guerre victorieuse pour l’ennemi, remplit les citoyens américains religieux et patriotes d’une certitude incontrôlable. Ce modèle s’est projeté sur Israël sans difficultés et donne aux responsables israéliens successifs la certitude de ne rencontrer aucune limite dans leur guerre de conquête pionnière de la Palestine, et entraîne la perte des deux peuples dans la barbarie asymétrique par délégation qui devient le module génétique et le code reproducteur de l’empire unique délocalisé.
Évidemment, on risque cette catastrophe mondiale à partir du Moyen-Orient parce qu’Israël n’est pas une grande civilisation pionnière, c’est plutôt une microcivilisation pionnière. Le problème qui se pose c’est plutôt de se demander quel est le rôle que jouent Israël et la Palestine dans les représentations stratégiques religieuses globales des États-Unis. Du fait que cette alliance est l’alliance de deux identités d’échelles extrêmement différentes, elle produit des dégâts considérables dans le modèle des identités licites et de la paix de voisinage. Ce n’est pas parce que les protestants américains seraient plus sionistes que les États-Unis en général, c’est parce que le sionisme est un paradigme de conquête physique de la territorialité d’une domination dans le Moyen-Orient à une échelle de voisinage si « micro », que malgré la dissymétrie absolue et le désarmement des Palestiniens face au surarmement des Israéliens, elle débouche sur des « cruautés de proximités » comparables à celles qu’on a pu observer dans les Balkans.
Là aussi il faut se demander qui est responsable du déchaînement et de la spirale de l’interaction entre communautés disjointes et pourtant nécessairement au contact.
Dans le cas d’Israël et de la Palestine, la responsabilité de cette impasse absolue est à chercher bien plus du côté des États-Unis que des facteurs purement locaux, surgissant de la crise des échelles identitaires qu’on a pu observer dans l’ex-Yougoslavie.
Il n’y a pas de crise identitaire ni du coté israélien ni du côté palestinien. Ce sont les États-Unis qui maintiennent Israël hors-la-loi, violant toutes les résolutions de l’ONU dans la condition d’impunité exceptionnelle d’un morceau de l’empire global surpuissant directement au contact avec une microcommunauté locale, chassée, expulsée, massacrée « comme des Indiens ».
Il y a donc maintien, grâce à l’alliance israélienne, du principe de la « territorialité pionnière », chère aux Américains. Ce n’est pas du tout la même chose que de proclamer un empire sans limite, qui va régner par la transnationalisation du capital à l’échelle globale. On peut donc dire qu’il y a, dans la régression actuelle vers le militarisme, quelque chose comme une régression vers la nécessité de quelques conquêtes délimitées servant de point d’appui mais aussi de représentation concrète de la victoire.
Il s’est créé en effet un manque tragique pour l’identité stratégique américaine elle-même, avec la disparition de l’ennemi barbare localisé. Les palestiniens en savent aujourd'hui quelque chose...
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