A l’occasion de la sortie du dernier livre de Monsieur Abdelwahab Meddeb, « Sortir de la malédiction, l’Islam entre civilisation et barbarie », la Maison d’Amérique Latine (de Paris) a accueilli ce jeudi 21 février un débat avec, outre l’auteur, Tzvetan Todorov, philosophe et Charles Melman, psychanalyste.
Salle comble, gens bien mis, atmosphère de bon aloi, tout concourt pour faire de cette soirée un grand moment de fraternité partagée. L’écrivain lui-même, costume du bon faiseur, chevelure disciplinée, moustache bien taillée, offre un aspect lisse qui cadre bien avec l’atmosphère ouatée qui imprègne le lieu. La présentation liminaire de Monsieur Abdelwahab Meddeb, malgré sa brièveté, insiste sur la nécessité de « guérir l’Islam » de ses perversions dont l’islamisme n’est pas la moindre.
Tzvetan Todorov rappelle sa vieille amitié avec l’auteur ; il annonce qu’il va se lancer dans une pluie de compliments et qu’il conclura sur une « petite réserve ». La pluie de compliments dure deux minutes, la réserve vingt. En fait de réserve, il s’agit d’une démolition en règle de l’ouvrage. Tzvetan Todorov affiche son incompréhension devant le fait que son « ami de trente deux ans » se prononce pour le droit d’ingérence (il a présenté l’équipée irakienne comme une perversion de ce droit d’ingérence !), sa lecture de la sortie du pape Benoît XVI sur le traité de Ratisbonne… Il lui reproche également le fait que, bien que se réclamant d’une double culture, il témoigne d’une telle mansuétude pour la part occidentale de sa personnalité. Il omet charitablement de rappeler que Abdelwahab Meddeb traite les milliers de victimes afghanes des bombardements états-uniens de « dommages collatéraux ».
Oublions la réponse de Abdelwahab Meddeb, tout étonné de cette volée de bois vert, qui se contente d’engager Todorov à relire son livre qu’ « il a si mal lu » (Todorov est légèrement demeuré, comme chacun sait ; en tout cas, il a montré qu’il n’était pas outillé intellectuellement pour pénétrer dans une œuvre si complexe). Oublions également le brouet indigeste servi par Charles Melman qui, lui, a identifié les causes de la violence arabo-musulmane. En fait, elles résideraient dans la langue arabe elle-même, une langue dans laquelle des notions contradictoires portent des noms presque identiques ! Il ne sait pas que le nombre de vocables en arabe est cinq fois plus élevé qu’en Français et que les poètes arabes ont depuis toujours eu à plaisir de faire des oxymores qui jouent aussi sur les allitérations.
Oui, oublions tout cela. A l’évidence, Abdelwahab Meddeb, comme un nombre croissant d’ « intellectuels » arabes, a choisi de se faire le porte-parole du non-dit occidental. Il surfe, comme d’autres, sur la vague d’une opinion reconnaissante qu’il exprime ce qu’elle n’ose dire elle-même. Il la conforte, cette opinion, dans son idée de la primauté absolue du modèle occidental, dans sa prétention à l’universalité. Abdelwahab Meddeb nous raconte ainsi qu’il est venu à la politique via l’islamologie (il préfère ça à orientalisme, quelle hardiesse !) depuis le « nine eleven » (en anglais dans le texte). Il n’y est pas venu par le Cambodge, le Rwanda ; il n’y est pas venu pour l’Algérie, le Vietnam ou Madagascar. Ce n’était pas de son temps, soit. Forcément, depuis qu’il y est venu, à cause du « nine eleven » donc, il s’est intéressé à la politique. Il est d’accord avec le bombardement de l’Afghanistan et l’Irak ne serait, selon lui, qu’un travers du droit d’ingérence…
A la fin du débat avec la salle, un dernier intervenant se prépare à poser sa question. Il n’en a pas le loisir. La séance est précipitamment levée. Du coup, il se met à hurler sa colère devant l’injustice dans le monde et la trahison des milliers de victimes qui ne trouvent pas grâce aux yeux de Abdelwahab Meddeb. Une grande confusion règne alors dans la salle. L’auteur, impassible, fait comme si de rien n’était et se dirige d’un pas lent et sûr vers la sortie. Le débat continue dans la salle, toujours aussi vif et véhément, mais sans violence.
Tout le monde se décide finalement à sortir. Dans la cour d’entrée se tiennent Abdelwahab Meddeb, Todorov et d’autres personnes. L’intervenant empêché passe à proximité du groupe et glisse un mot au passage à Abdelwahab Meddeb. En s’éloignant, il continue de l’apostropher et l’accable de son mépris. A ce moment, Abdelwahab Meddeb sort brusquement de ses gonds : perdant toute retenue, il se rue sur son interlocuteur et tente, mais en vain, de lui administrer un coup de poing ! Habité par la rage, le souffle court et l’injure (en arabe !) à la bouche, il se précipite vers son contradicteur qui continue de le narguer. On finit par réussir à les séparer.
Le vernis occidental a explosé ; adieu chevelure disciplinée, costume lisse et atmosphère ouatée…
J’ai été très choqué par les positions de Abdelwahab Meddeb. Je dois dire cependant que j’ai presque été rassuré par la violence de sa réaction : cela prouve que son cas n’est pas complètement désespéré, que l’indignation peut encore habiter notre intellectuel arabe. Cela prouve que, comme d’autres, il joue, mais bien mal, un rôle de composition : il n’est pas vraiment dupe de la supercherie de l’Occident et du prétendu humanisme qu’il déclare porter. Abdelwahab Meddeb a peut-être une vieille maman qui se souvient des années noires durant lesquelles elle a courbé l’échine devant l’occupant colonial. Elle serait sans doute étonnée, cette vieille maman, la tête ceinte d’un foulard clair, assise en tailleur dans une posture de dignité absolue, de voir son fils s’éloigner des siens avec tant d’aisance. Cette double culture qu’il revendique, elle, elle sait qu’il n’a fait que la subir comme tant d’autres, comme un aléa de l’histoire, au prix de sa peine et de son humiliation à elle. Butin de guerre qu’il est indigne de brandir comme un étendard…. Peut-être Abdelwahab Meddeb a-t-il pensé à sa mère au moment où il recevait l’insulte en plein visage … Peut-être a-t-il alors, le temps d’un éclair, eu une pensée pour les millions de victimes de la colonisation, frères de douleur des millions de morts de l’esclavage, emmurés dans l’oubli comme ces vieillards bien français oubliés dans la solitude des murs hostiles d’une froide maison de retraite…
S’il est vrai que Abdelwahab Meddeb est venu à la politique par le « nine eleven », peut-être aura-t-il trouvé dans la secousse de ce 21 février 2008 ce qui donne à la politique la force qui l’irrigue : un sens. S’il retrouve un jour les accents amples et généreux du refus absolu de l’injustice d’hier et d’aujourd’hui, pour renouer avec la générosité que son éducation familiale lui a léguée en héritage, il devra alors en savoir gré à l’impertinent qui a troublé l’ordonnancement de sa soirée.
Ainsi, il se rappellera que pour défendre son honneur, il convient de défendre des positions plus nobles, en restant toujours du côté des victimes et non en justifiant a posteriori les menées de leurs agresseurs. La démarche, c’est sûr, serait plus utile et plus digne que de faire le coup de poing à Paris, dans une cour, par un soir d’hiver …
Brahim Senouci
Le "complexe du Meddeb": symptomologie...
Publié par Le Bougnoulosophe à 2/25/2008
Libellés : POSTCOLONIE
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