Au Congo Brazzaville, la suspension des adoptions internationales, suite de l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad, suscite des controverses. Certains orphelinats et ONG mis en cause réaffirment leur volonté de poursuivre leur mission coûte que coûte.
D’habitude peuplé d’enfants, cet orphelinat crasseux de Poto-Poto, un quartier nord de Brazzaville, est, ces dernières semaines, quasiment désert. "Nous avons envoyé les enfants dans d’autres orphelinats à cause des travaux de réfection. Quand nous aurons fini, ils reviendront", tente d’expliquer un pensionnaire, discret, comme beaucoup de personnes que nous rencontrerons par la suite. À y regarder de plus près, aucun chantier n’est en cours ici…
Désormais mal vus par le gouvernement congolais, qui a décidé de suspendre les adoptions internationales, six jours après l’arrestation, le 25 octobre au Tchad, de membres de l’association française l’Arche de Zoé, pour tentative d’évacuation de 103 enfants, bien d’autres orphelinats de Brazzaville revoient leurs effectifs à la baisse. "Depuis décembre dernier, certains enfants vivant dans ces orphelinats ont été remis à leurs parents", soutien Loamba Moké, président de l’Association des droits de l’homme et de l’univers carcéral (Adhuc), une Ong congolaise, qui, depuis plusieurs mois, dénonce les pratiques de certains. "Nous avons été saisis par des parents avec lesquels nous avons constitué des dossiers pour informer les autorités et les services de la sécurité, mais (jusqu’à dernièrement, Ndlr) rien n’a été fait pour arrêter ce trafic", ajoute M. Moké.
En Espagne, le gouvernement local catalan a de son côté ouvert des poursuites contre l’ADIC, Asociación de adopción de Niños en el Congo (Association pour l’adoption des enfants congolais), pour des faits établis en 2005. L’association incriminée proposait des enfants congolais à des familles espagnoles moyennant 250 000 Fcfa (environ 380 €) pour la "parente" intermédiaire. Après enquête, il s’est avéré que les gamins en question n’étaient nullement orphelins et avaient été pris à leurs parents auxquels on avait fait différentes promesses : nourriture, soins, scolarisation dans la capitale, etc. En réalité, l’ONG espagnole déclarait l’enfant "abandonné", modifiait son nom de famille et changeait, dans certains cas, sa nationalité… Le tout sans que les vrais parents, bel et bien vivants, soient tenus au courant !
En toute illégalité…
Depuis la fin des combats dans le pays, en 1999, bon nombre de parents seraient ainsi à la recherche de leurs enfants confiés provisoirement à des orphelinats. La direction générale de l’Action sociale et de la famille, à travers l’ADIC, avance le chiffre de 11 enfants adoptés par des familles espagnoles depuis août 2006. Depuis sa prise de fonction, en mars 2007, le ministre congolais de la Justice et des droits humains, Aimé Emmanuel Yoka, évoque lui 17 cas impliquant des ressortissants espagnols.
Si certaines ONG respectent les procédures d’adoption à international, d’autres, aidées par des intermédiaires locaux (notamment des "parents éloignés" employés d’un orphelinat et différents magistrats qui faciliteraient les démarches d’adoption), sont moins légalistes. "Des gens avides d’argent préfèrent traiter directement avec les Ong étrangères en toute illégalité", reconnaît un directeur d’orphelinat. Il explique qu’en principe, au Congo, pour qu’un enfant soit adopté officiellement, l’Ong étrangère doit normalement, à travers son antenne locale, s’adresser à l’orphelinat qui lui propose un enfant. L’antenne locale introduit ensuite une demande d’adoption au tribunal de grande instance de Brazzaville. "Une fois que l’adoption est établie, l’enfant est remis à l’Ong qui se charge de lui jusqu’à son arrivée en Europe. En contrepartie, le responsable de l’orphelinat reçoit divers dons pour faire vivre sa structure", poursuit-il.
"Par enfant, une famille d’accueil peut te verser entre 1 500 et 2 000 €. Pour nous, c’est beaucoup", confie un ancien responsable d’un orphelinat, expulsé des Pays-Bas il y a quelques années pour trafic de drogue, et qui a rejoint depuis une autre structure spécialisée dans l’adoption. "À notre tour, on verse aux parents éloignés qui nous apportent ces enfants un petit pourcentage", poursuit-il.
Parcours de combattants
Malgré la récente suspension du gouvernement, plusieurs responsables d’orphelinats sont décidés à poursuivre leur mission. "Ce n’est pas un simple communiqué de presse (du ministre, Ndlr) qui va nous faire abandonner notre travail", explique un juge pour enfants. D’après eux, pour être réellement effective, la suspension aurait auparavant due être débattue au parlement. "Quand nous avons demandé au directeur de l’Action sociale et de la famille si cette décision avait un effet rétroactif, il ne nous a pas répondu. Au moment où elle a été prise, certains enfants déjà adoptés attendaient leurs départs pour l’Europe, d’autres sont partis après", explique le responsable d’un centre d’accueil.
À côté de ces ONG aux pratiques douteuses, les associations qui ont toujours respecté la loi craignent que les procédures d’adoption d’enfants étrangers, qui, selon elles, relevaient déjà du parcours du combattant pour les familles européennes, ne se compliquent encore davantage. Au total, Brazzaville compte plus de 15 orphelinats qui, en temps normal, abritent chacun entre 20 et 30 enfants. Certains sont des orphelins, d’autres des enfants abandonnés par leurs familles. "Certaines personnes viennent déposer leurs enfants dans l’espoir qu’un jour il se retrouve en Europe et sauve la famille. Nous sommes des humains. Et dans cette affaire il y a tout", résume le responsable d’un orphelinat qui, à l’instar des autres, ne vit que grâce aux dons.
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