Vives, les controverses suscitées par les prétendus « bienfaits » de la colonisation ont débouché sur un débat, certes intéressant, mais hélas trop franco-français. Alors que tout semblait dit et écrit sur la présence belge en Afrique, l’ouvrage de Guy Vanthemsche (1) suggère qu’au contraire l’essentiel reste à écrire. Il s’interroge sur les impacts de l’aventure coloniale congolaise, sur le vécu social métropolitain, la politique, le développement économique ainsi que le poids géopolitique de la Belgique.
De cette analyse se dégagent quelques traits saillants. Bien que présent dans la rhétorique nationaliste officielle, le Congo n’a occupé qu’une place assez marginale sur la scène politique intérieure belge, sauf lors de la reprise de la colonie personnelle du roi Léopold par l’Etat, pendant les guerres mondiales, ainsi qu’en 1960 avec la dramatique décolonisation. Mais, alors qu’elle était sans poids stratégique véritable, la Belgique acquit une stature internationale grâce à l’aventure coloniale. Cette médaille a eu son revers : Bruxelles a essuyé des critiques à l’Organisation des Nations unies (ONU) pour son aveuglement vis-à-vis des mouvements d’émancipation africains.
Désarçonnés par les secousses d’un phénomène sur lequel ils n’avaient aucune prise, les Belges s’employèrent, au lendemain de l’indépendance, en 1960, à « modeler la politique congolaise ». Ensuite, ils s’accommodèrent avec le régime mobutiste, contraints de pratiquer une diplomatie que l’auteur qualifie de cyclothymique.
Réédition d’un ouvrage publié en 1989 au moment où la crise belgo-zaïroise atteignait son paroxysme, le recueil d’études de Jean Stengers (2), pionnier de l’histoire coloniale, démythifie minutieusement les innombrables légendes dorées et noires qu’apologistes et détracteurs de la colonisation ont fabriquées. Les chapitres de 1989 ont été repris sans subir la moindre retouche afin que le lecteur – souligne Stengers – soit assuré qu’il lit des études rédigées in tempore non suspecto par un historien faisant uniquement son métier. Ces études traitent notamment du rôle de Léopold II. La nouvelle édition s’enrichit de trois textes portant sur la surévaluation de la population congolaise, la critique de l’ouvrage d’Adam Hochschild Les Fantômes du roi Léopold (Belfond, Paris, 1998) et les « malaises de l’histoire coloniale » que Stengers a publié en 1979 pour déplorer le déclin de l’enseignement et de la recherche en histoire coloniale depuis 1960 en Belgique.
Ces deux ouvrages fournissent aux Congolais des matériaux culturels permettant une lecture critique de tous les versants de l’histoire coloniale. A eux de s’en servir avec intelligence pour s’approprier une histoire, la leur, expurgée de toute forme de mythologie historique, qu’elle soit d’origine universitaire ou politique. Ainsi, au plus fort des polémiques sur les « bienfaits » de la colonisation, le président Joseph Kabila prononçait devant le Sénat belge, en février 2004, un discours rendant un vibrant hommage aux pionniers de l’aventure coloniale belge au Congo.
Ecrit à la suite des controverses suscitées en Belgique par la projection du téléfilm Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire, de Peter Bate, dénonçant les violences coloniales sous Léopold II, l’ouvrage du professeur de Louvain Michel Dumoulin comprend une abondante historiographie (3). Mais force est de constater qu’il laisse plusieurs questions sans réponse, notamment le titre : « Léopold II, roi génocidaire ? ». L’auteur ne fournit guère d’éléments significatifs permettant aux lecteurs de comprendre les logiques perverses de ce système de violence dont la société congolaise porte encore des stigmates.
(1) Guy Vanthemsche, La Belgique et le Congo, Nouvelle Histoire de Belgique, vol. 4, Complexe, Bruxelles, 2007, 360 pages, 19,90 euros.
(2) Jean Stengers, Congo. Mythes et réalités, Racine, Bruxelles, 2005, 317 pages, 24,95 euros.
(3) Michel Dumoulin, Léopold II, un roi génocidaire ?, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2005, 122 pages, 17 euros.
Historiographie ambigue et lacunaire du Congo
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