L’ethnoscape


L’anthropologue américain d’origine indienne Appadurai définit le concept d’ ethnoscape de la manière suivante :

« Par ethnoscape, j'entends le paysage formé par les individus qui constituent le monde mouvant dans lequel nous vivons touristes, immigrants, réfugiés, exilés, travailleurs invités et d'autres groupes et individus mouvants constituent un trait essentiel du monde qui semble affecter comme jamais la politique des nations (et celle qu'elles mènent les unes vis-à-vis autres). Il ne s'agit pas de dire qu'il n'existe pas de communautés, de réseaux de parenté, d'amitiés, de travail et de loisir relativement stables, ni de naissance, de résidence et d'autres formes d'affiliation; mais que la chaîne de ces stabilités est partout transpercée par la trame du mouvement humain, à mesure que davantage de personnes et de groupes affrontent les réalités du déplacement par la contrainte ou le fantasme du désir de déplacement. En outre, tant ces réalités que les désirs fantasmés fonctionnent à présent à plus grande échelle, à mesure que les hommes et les femmes de villages indiens ne rêvent plus seulement à Poona ou à Madras, mais bien à Dubaï ou à Houston que les réfugiés sri-lankais se retrouvent en Inde du sud aussi bien qu'à Philadelphie. Et tandis que le capital international modifie ses besoins, tandis que la production et la technologie génèrent des besoins différents, tandis que les États-nations modifient leur politique vis-à-vis des populations réfugiées, ces groupes mouvants ne peuvent jamais, quel qu'en soi leur désir, laisser leur imagination trop longtemps inactive.» *

En voici les caractéristiques principales :

L’ethnoscape, c’est la « forme imaginée » qui héberge les corps qui voyagent, les corps qui sont en mouvement. Soit un espace social qui est aussi un espace mental. L’ethnoscape fournit le climat qui les protégent du stress du voyage, et de la globalisation. Soit un climat. L’ethnoscape, c’est la forme d’existence que ces corps voyageurs imaginent afin de se préserver du stress inhérent au contact trop radical avec d’autres cultures, d’autres climats, d’autres habitudes. Soit un style de vie. L’ethnoscape diminue le stress, mais il permet aussi aux voyageurs de développer la faculté de nouer des relations affectives et effectives avec des gens issus de cultures différentes. Soit un outil de communication. Les ethnoscapes sont mis en forme par des techniques médiatiques qui rendent possible d’imaginer, par exemple, une Inde fluide dans la ville de Chicago, une turquie liquide au sein de Bruxelles. Leur véhicule, leur vecteur par exellence est donc un support technique et médiatique. L’ethnoscape désigne donc ces formes d’existence qui permettent aux déracinés de répéter, néanmoins, certaines habitudes culturelles dans un « espace autre ». Soit un "kit" adapté et confortable. L’ethnoscape, en tant que forme d’existence métanationale, préserve les déracinés et les voyageurs d’un contact trop stressant avec la forme d’existence de l’Autre. Il produit une distance impénétrable à travers la proximité géographique. Il aide ces déracinés à établir un continuum entre la vie d’avant et la vie de maintenant; l'ici et le la-bas. Soit tout à la fois un pont et une muraille...

Ce concept de mondes imaginés, de bulles culturelles, à qui sait regarder de près, explique non seulement, les émeutes de jeunes d'origine turque de Schaerbeek/Saint-Josse de ces derniers jours que le succès des télévisions satellitaires, mais il explique également la montée de la xénophobie et le retour du discours sur l'identité dans l'Europe d'aujourd'hui. N'est-ce pas là un miracle de l'intelligence humaine?

*Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation. Petite bibliothèque Payot, pp 71-72

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