Bruxelles : stratification spatio-ethnique


La Belgique n'est pas la France. Et Bruxelles n'est pas Paris.Toutefois, à Bruxelles, même si elle n'est pas de même nature, on y trouve, sous les faux discours privilégiant la « mixité sociale », également de la ségrégation ethno-spatiale. Car, il n'est pas qu'en France qu'il y ait une géographie de l'infamie (Achille Mbembe). En voici schématiquement la logique sous-jacente :

Polarisation

«Trois niveaux de polarisation spatiale, incarnant la croissance économique sans le progrès social, se superposent à Bruxelles : un premier niveau concerne la suburbanisation, un deuxième une polarisation à l’intérieur même de Bruxelles (suivant une division est/ouest), un troisième une série de quartiers présentant un ensemble de problèmes locaux et de dégradations. La suburbanisation a eu pour effet le déclin démographique de Bruxelles – la ville a perdu 120000 habitants depuis 1967 – et encouragé une migration sélective des populations riches et des classes moyennes qui a vidé la ville des citoyens les plus aisés. Sont restés ceux qui n’avaient pas la possibilité de faire mouvement : personnes âgées, petits indépendants, jeunes peu qualifiés. À ces populations est venu se joindre dans les années 60 une population immigrée. À la périphérie les riches, y compris étrangers, au centre une population diversifiée aux revenus faibles, composée de ménages d’une personne – pouvant représenter dans certaines communes plus de 60 % des ménages – et des familles nombreuses d’origine étrangère. La polarisation à l’intérieur de Bruxelles a été déterminée par un marché locatif privé caractérisé par des logements de faible qualité et qui sont occupés par des ménages pour qui d’autres types de logement sont inaccessibles. On y retrouve une concentration de populations immigrées qui y ont développé des entreprises ethniques et sont devenus propriétaires-occupants après avoir été des « acheteurs de fortune » occupant des logements délabrés. Enfin, la troisième polarisation est constituée par un renforcement de la deuxième mais dans des quartiers spécifiques où on retrouve de 70 à 80 % d’étrangers à dominante maghrébine et turque ; ces quartiers situés principalement au centre-ouest et au bas de la ville concentrent une population étrangère jeune, les 15-24 ans y représentant parfois près de 20 % de la population et parmi ces jeunes, 80 % sont d’origine étrangère. Le faible niveau de réussite scolaire, les difficultés engendrées par le fait qu’à Bruxelles, pour occuper un emploi dans le secteur privé il vaut mieux savoir parler les deux langues, le français et le néerlandais, les discriminations sur le marché du travail, indique que ces jeunes sont dans une spirale de marginalisation qui les font apparaître comme classes dangereuses à Bruxelles.»

[B. Francq, « La ville incertaine »]

Quartiers immigrès dans la ville

 «Les quartiers ouvriers du XIXème siècle, encerclant le centre d'affaires par l'ouest et formant ce qu'on appelle le croissant, parfois aussi la banane pauvre de Bruxelles, concentrent le plus d'étrangers. Il s'agit des quartiers immigrés de Schaerbeek, Saint-Josse, Molenbeek, Anderlecht et Saint-Gilles, habités par les Belges qui n'ont pas participé à la suburbanisation et des Italiens, Espagnols, Grecs, Turcs et Marocains. Dans certains de ces quartiers, les immigrés et leurs descendants atteignent jusqu'à 75 % de la population totale. La concentration spatiale des logements du secteur locatif résiduel est bien rendue par la carte des logements sans confort (manque au moins un W-C privé, une salle de bain ou l'eau courante). De tels logements sont fréquents dans la couronne du XIXème siècle mais quasi absents autour de la Forêt de Soignes au sud et à lest de Bruxelles. Les enfants et jeunes - la population e 0 à 24 ans - sont surreprésentés (plus d'un tiers de la population locale) d'une part dans le vieux cœur urbain suite à l'immigration ouvrière, et d'autre part dans la périphérie, en dehors des limites de la Région de BruxellesCapitale, en conséquence de la suburbanisation. Dans les quartiers centraux, ces jeunes sont en majorité des étrangers, alors qu'ils sont belges dans la couronne périphérique. Les processus de socialisation et les chances d'épanouissement sont très inégales entre chacun de ces milieux urbains, en raison des écarts en matière de qualité du logement, d'infrastructures scolaires et den matière de qualité du logement, d'infrastructures scolaires et de loisirs, d'initiatives pour la jeunesse et globalement des perspectives d'avenir offertes par les aînés. Après tout, les uns vivent dans uu quartiers équipes selon les normes du XIXème siècle (où l'on travaillait 12 heures par jour à partir de 12 ans), dans des communes pauvres; les autres dans des quartiers créés lors des Golden Sixties reflétant la société de consommation et de loisirs, dans les communes les plus riches du pays. Depuis la fin des années septante, la crise a eu pour effet de consolider les quartiers immigrés dans la ville. La hausse du chômage et de l'insécuriré d'emploi, la chute des revenus ont frappé les immigrés et bloqué leurs possibilités d'accéder aux quartiers plus périphériques. Cette tendance est renforcée par l'accroissement du nombre de propriétaires parmi les immigrés. Entre 1981 et 1991, la part des propriétaires occupants est passée de 13 à 37 % chez les Turcs et de 10 à 30 % chez les Marocains. Dans la plupart des cas, il s'agit d'achats l'urgence, suscités par la spéculation foncière et la hausse généralisée des prix du logement (les prix ont plus que doublé entre 1988 et 1992). L'achat était pour eux la seule façon de se prémunir contre des loyers insurmontables, de garantir leur sécurité d'occupation et de se maintenir dans les quartiers où ils se sont intégrés. Ce changement de statut n'a donc pas bouleversé leur répartition dans la ville. Ce sont, pour la plupart, des logements bon marchés, issus du secteur locatif résiduel qu'ils ont acquis dans leurs propres quartiers. Ces nouveaux propriétaires rénovent eux-mêmes leur logement, pour autant qu'ils en aient les moyens et mettent souvent en location les niveaux les plus rentables. Finalement, le commerce ethnique (magasins d'alimentation, restaurants. snacks. etc.) s'est fortement développé en tant que stratégie de survie. Ces entrepreneurs visent à échapper au chômage tout en tirant profit de la concentration spatiale de la demande spécifique de leurs compatriotes (les niches de marchés ethniques). En même temps, la présence abondante de ce genre de commerce entraîne une forte concurrence et permet aux habitants de s'approvisionner à moindre prix. Le commerce ethnique contribue donc aussi à lier chaque groupe à son quartier. Dans cette mesure, il est un élément de démarginalisation dans le quartier cependant, la consolidation des quartiers ethniques va de pair avec leur marginalisation au niveau de la ville. D'une part, les chances d'emploi (en dehors de l'entreprenariat ethnique, de quelques services mal payés, aux conditions de travail peu engageantes, tel le nettoyage de bureaux et finalement de l'économie informelle) s'affaiblissent dans ses quartiers. Entre 1980 et 1991, la région de Bruxelles-Capitale a perdu 25000 emplois industriels lesquels se sont déplacés vers la périphérie flamande (HalleVilvoorde). Les quartiers pauvres du centre-ville se transforment ainsi en pièges à chômage pour les jeunes issus de l'immigration et destinés par l 'enseignement aux emplois manuels peu spécialises.»

[C. Kesteloot, K. Peleman, T. Roesems, « La Belgique et ses Immigrés: les Politiques manquées »]

Gentrification

« Les dynamiques de gentrification recouvrent trois dimensions majeures : une transformation des caractéristiques socio-économique et démographiques de la population, une mutation du paysage urbain (bâtiments rénovés) et notamment commercial ainsi qu'une hausse des coûts d'accès au logement. Sur le plan commercial, la gentrification y est particulièrement nette. Depuis le milieu des années 1980, le quartier a entamé une mutation radicale, directement perceptible dans le paysage urbain, sous l'impulsion de jeunes stylistes flamands à l'origine. Les yuppies trouvent dans les nouveaux commerces qui 'y sont installés des espaces de consommation exclusifs. Sur le plan résidentiel, le processus de gentrification est postérieur au renouveau commercial. Il est principalement le fruit d'une demande de jeunes et petits ménages aisés pour des quartiers riches en significations et proches des pôles d'emplois métropolitains. De plus, le développement de ce scénario a été favorisé par un contexte urbain favorable issu des années 1980 qui a produit une offre de logements anciens à bas prix et relativement en bon état, rénovés par des propriétaires particuliers avant tout. A cela s'ajoute le cas de l'îlot Saint-Géry où la gentrification résidentielle observée résulte d'une offre de logements anciens réhabilités par les pouvoirs publics. L'objectif n'était donc pas de produire du logement destiné aux catégories sociales défavorisées qui, en bonne partie, étaient celles qui occupaient les logements de la Ville de Bruxelles avant rénovation, mais bien d'attirer de nouveaux habitants aux revenus confortables. Enfin. sur le plan des coûts d'accès au logement dans ce quartier, les résultats obtenus sont plus mitigés. Nous avons au moins pu relever plusieurs cas récents de biens mis sur le marché locatif à des prix très élevés, spécifiquement destinés à un nouveau public aisé revalorisant un habitat urbain ancien et révélateurs d'une dualisation croissante du marché locatif.»

 [M. Van Criekingen, "Processus de gentrification à Bruxelles : le cas du quartier 'Dansaert Saint-Géry'"]



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