À propos de Vijay Prashad, Les nations obscures, une histoire populaire du Tiers monde, Montréal (trad.), Ecosociété, 2009.
Si la colonisation et la décolonisation font l’objet d’abondants travaux, peu d’ouvrages généraux sont disponibles en français sur la période postcoloniale, et plus rares encore sont ceux qui prétendent embrasser l’histoire de l’ensemble des Etats décolonisés depuis leurs indépendances. Le travail de Vijay Prashad offre une synthèse inédite à la fois par son ampleur géographique et temporelle, et par sa volonté de faire une histoire du Tiers monde en soi, en tant que projet et pas seulement en tant qu’ensemble disparate de pays. Cet ouvrage, traduction d’un livre publié en 2007 aux États-Unis, a l’ambition de trancher avec une histoire contemporaine souvent occidentalo-centrée (d’où le titre de « nations osbcures »), et de faire une histoire totale du Tiers monde, à la fois politique, géopolitique, sociale, culturelle et intellectuelle. Plus que l’histoire des Etats indépendants, c’est l’histoire des peuples que l’auteur a l’ambition de faire – d’où le sous titre « histoire populaire du Tiers monde », qui fait écho au célèbre livre d’Howard Zinn, mentor de Prashad et éditeur de son ouvrage.
D’emblée, il écarte l’idée que le Tiers monde n’ait été qu’un ensemble disparate d’États n’appartenant ni au monde communiste, ni au monde occidental: « Le Tiers monde n’était pas un lieu. C ‘était un projet » (p 9). Ce projet, né de la décolonisation consistait à rendre les nouveaux États indépendants à tout point de vue: « Projetées entre les deux grands blocs, les nations obscures se regroupèrent au sein du Tiers monde. Ces peuples volontaires combattaient le colonialisme et réclamaient leur liberté. Ils exigeaient l’égalité politique à l’échelle mondiale, avant tout par la voix de l’ONU. […] Leurs demandes dépassaient la simple égalité politique: le projet du tiers monde impliquait une redistribution des ressources mondiales, un meilleur revenu pour la force de travail de ses peuples, et une reconnaissance générale de ses héritages scientifiques, technologiques et culturels. […] Le projet du Tiers monde toucha des millions de personnes et forgea bien des héros. Ils étaient grisés par les visions d’avenir que portait le Tiers monde. Son projet unissait des camarades dissemblables. » (p 10-11). Vijay Prashad fait donc l’histoire intellectuelle du projet tiers-mondiste dans toutes ses dimensions et ses implications : le non alignement bien sûr, mais aussi les réformes sociales, l’organisation économique, l’émancipation des femmes ou encore la réhabilitation des cultures des peuples décolonisés. En dépit de la diversité, voire de l’éclectisme du tiers-mondisme, ce projet a pour l’auteur une réelle unité organique: c’est un projet résolument progressiste (au sens où il est tourné vers l’avenir et vise à construire un monde nouveau), laïc et socialiste.
A partir de cette définition, la démarche du livre est d’expliquer comment ce projet généreux a échoué, en raison à la fois de facteurs internes et externes. Prashad parle du Tiers monde au passé: c’est la naissance, la vie et la mort d’une idée qu’il raconte, de manière dialectique et presque tragique, comme le montre l’enchainement des trois parties du livre: « la quête » du Tiers monde, ses « écueils », et enfin son « assassinat ». Son analyse aux accents marxistes défend une thèse engagée et univoque: le projet du Tiers monde a échoué d’après lui parce que les classes sociales dominantes des sociétés décolonisées l’ont confisqué à leur profit et vidé de sa substance, puis l’ont abandonné purement et simplement en associant leurs pays à la mondialisation libérale des années 1980. Le projet du Tiers monde aurait donc échoué pour être demeuré au stade de révolution inachevée, ou d’ébauche de révolution:
« Le projet était vicié dès le départ. La lutte contre les forces coloniales et impériales avait exigé l’unité des divers partis politiques et classes sociales. Les formations politiques et les mouvements sociaux qui avaient libéré les nouvelles nations et conquis le pouvoir bénéficiaient alors d’un large soutien populaire. Une fois en place, l’unité jusque là préservée coûte que coûte devint problématique. La classe ouvrière et la paysannerie favorable à ces mouvements avaient généralement accepté de faire alliance avec les propriétaites terriens et les élites industrielles émergentes. Le peuple enfin maitre de la nouvelle nation attendait que l’Etat mette en place un programme socialiste. C’est en fait un compromis idéologique qu’il obtint – tantôt nommé socialisme arabe, socialisme africain, Sarvodaya ou NASAKOM -, combinant promesses d’égalité et maintien de la hiérarchie sociale. Au lieu de se donner les moyens d’édifier une société entièrement nouvelle, ces régimes protégeaient les élites des ancienne classes sociales tout en créant des programmes sociaux pour le peuple. Une fois au pouvoir, les anciennes classes sociales s’imposèrent, soit par le biais des instances militaires, soit par le biais du parti populaire ayant conduit à la victoire. […] Dans les années 1970, les nouvelles nations n’étaient plus si nouvelles. Elles aveint accumulé les échecs. Les revendications populaires – terre, pain , paix – avaient été ignorées au bénéfice des classes dominantes et de leurs besoins. Les luttes intestines, le manque de contrôle sur les prix des matières premières, l’asphyxie financière impossible à éviter et d’autres facteurs expliquent l’apparition d’une crise budgétaire dans bien des pays du tiers monde. Les banques commerciales ne consentaient de prêts que si les Etats acceptaient de signer un contrat « d’ajustement structurel » avec le FMI et la Banque Mondiale. L’assassinat du tiers monde a rongé l’aptitude de l’Etat à agir au nom de la population, a mis fin à l’espoir d’un nouvel ordre économique international, a poussé au reniement des idéaux socialistes. Les classes dominantes, autrefois attachées au projet du tiers monde, coupaient maintenant les ponts. Elles ne se voyaient plus comme partie prenante du projet, mais comme des élites – le patriotisme du bénéfice net supplantait la solidarité obligatoire. Le projet du tiers monde s’effrondra, laissant place à l’essor d’un nationalisme culturel dans les nations obscures ».
Un livre engagé et polémique, donc. Il postule que le cœur du projet tiers-mondiste était la construction d’une nouvelle société, une sorte de révolution sociale dont la révolution politique constituée par l’indépendance des nouveaux États n’aurait été que l’amorce (« L’absence de révolution sociale eut pour conséquence importante la persistance d’une hiérarchie, sous diverses formes, au sein des nouvelles nations. L’inculcation du sexisme, la stratification inégalitaire fondée sur le clan, la caste ou la tribu, entravèrent le projet politique du Tiers monde », p 27): le projet de Tiers monde qu’il définit comme référence est pur, cohérent, idéal, et pour tout dire idéaliste. Or, l’auteur lui-même le rappelle à de nombreuses reprises, ce projet a été bâti et défini par des hommes aux horizons politiques différents, qui pouvaient être aussi bien nationalistes que communistes, alliés aux Occidentaux ou aux Soviétiques, religieux ou laïcs, démocrates ou autocrates. Le Tiers monde était un projet progressiste, mais il était aussi multiple, foisonnant, pétri de contradictions, et par là même capable de transcender les clivages politiques et idéologiques classiques: par essence, il était donc un compromis et n’avait pas nécessairement la cohésion idéologique que Vijay Prashad lui prête.
Les sources qu’utilise l’auteur ne sont pas sans incidence, de ce point de vue. Sa synthèse s’appuie d’une part sur une impressionnante bibliographie, d’autre part sur des sources primaires qui sont essentiellement des ouvrages, discours ou propos des grandes figures historiques du Tiers monde, figures politiques (Nasser, Nehru, Nkrumah, Sukarno, Che Guevara, etc), économiques (l’économiste argentin Raul Prebisch), culturelles ou intellectuelles (Fanon, Césaire, Senghor…) dont le discours tend naturellement à gommer les aspérités et les contradictions du Tiers monde. Dans cette histoire « populaire » du Tiers monde, on n’entend en fait que rarement la voix des « peuples », du moins de manière directe. Par contre, dans la rhétorique tiers-mondiste qu’épouse le livre, on a volontiers tendance à parler au nom des « peuples ». S’il ne fait certes aucun doute que le projet du Tiers monde a été soutenu de manière massive et enthousiaste par les populations décolonisées, l’histoire que fait Vijay Prashad est avant tout celle du discours du Tiers monde et des politiques suivies par ses États. L’histoire assez classique d’un projet politique, finalement moins hors des sentiers battus que son titre ne le laisse penser.
Aussi le livre n’est-il pas exempt de manichéisme dans sa manière de tracer une ligne de séparation stricte entre ceux qui soutiennent le projet socialiste du Tiers monde (les « peuples ») et ceux qui le mineraient de concert avec le monde occidental (les « classes dominantes » ou « élites traditionnelles »). Le Tiers monde n’est évidemment pas à équidistance entre les deux autres, puisqu’il s’est construit en réaction au colonialisme occidental, et avec la contribution des mouvements communistes: si le premier monde se voit reprocher son « impérialisme », le second (le monde communiste) se voie juste reprocher son manque de soutien et son désintérêt pour le projet tiers-mondiste. Opinion pertinente, mais émaillée parfois d’affirmations douteuses: on lit par exemple avec perplexité que la guerre de Corée serait une « agression américaine » (p 44), que « la participation de l’URSS à la tradition des coups d’État est en fait remarquablement limitée » (p 186), ou encore que les États-Unis et le dollars auraient été in fine les grands bénéficiaires des chocs pétroliers des années 1970 (p 241-242).
Ces quelques réserves émises, il reste que l’ouvrage de Vijay Prashad brille par son extraordinaire érudition et sa remarquable capacité de synthèse. Le développement, appuyé par de nombreuses et abondantes notes de bas de page, fournit non seulement une histoire globale du Tiers monde mais aussi des éclaircissements utiles sur l’histoire particulière de certains États le composant. La progression du livre, d’abord déroutante, contribue à restituer la diversité du Tiers monde: chaque chapitre porte le nom d’un lieu emblématique du Tiers monde, et à partir de ce point de départ traite à la fois d’un thème et d’un pays sur lequel un coup de projecteur se trouve donné. De cette manière, chaque chapitre aborde un aspect ou un problème nouveau du projet tiers-mondiste (« imaginer une économie », « cultiver un imaginaire », « Danger: Etat autoritaire ») tout en brossant le tableau d’un pays et de son histoire politique parfois connue (Cuba, Algérie, Inde), et parfois méconnue (Bolivie, Tanzanie, Jamaïque).
Dans une première partie intitulée « la quête », le livre relate la genèse d’un projet multiforme.
Si l’invention du concept de Tiers monde vise à différencier le pays décolonisés du monde occidental comme du monde communiste, ses racines sont antérieures au conflit est-ouest et à la seconde guerre mondiale. L’acte de naissance du Tiers monde scellé à la conférence de Bandung (1955) couronne un processus de rapprochement entre les mouvements indépendantistes entamé dès les années 1920. Le premier rassemblement d’ampleur a lieu à Bruxelles en 1928 lors de la Ligue contre l’impérialisme: les dirigeants de mouvement anticoloniaux ou anti-impérialistes, parmi lesquels figurent de futurs leaders du Tiers monde (Nkrumah, Sukarno), s’y livrent à une critique acerbe du colonialisme et jettent les bases d’une plateforme politique commune, ce que Vijay Prashad appelle un « nationalisme anticolonial » et « internationaliste » (par opposition au nationalisme agressif et impérialiste des Occidentaux). Ce rassemblement résulte lui-même de rapprochements régionaux, projets panaméricains, panafricains ou panasiatiques, qui ne seront d’ailleurs guère suivis d’effets. En dépit de ses maigres résultats dans les années qui suivent, cette Ligue contre l’impérialisme préfigure très nettement les orientations données au projet tiers-mondiste à la conférence de Bandung.
En 1955, alors que le processus de décolonisation est entamé mais non encore achevé, il s’agit pour les pays présents à Bandung de proclamer la fin du colonialisme « officiel » et de poursuivre l’élan en continuant la lutte contre l’impérialisme sous toutes ses formes. Vijay Prashad consacre plusieurs chapitres aux différentes façades du projet, dont certaines sont assez méconnues. Le résultat le plus visible et finalement le plus durable de Bandung, est l’intrusion d’un nouveau pôle sur la scène internationale: regroupement des pays décolonisés à l’ONU, création en son sein d’organisme ciblés sur les problèmes de développement (CNUCED), création du mouvement des non-alignés à la conférence de Belgrade en 1961.
Sur le plan économique émerge dès les années 1940 en Amérique latine puis dans l’ensemble du Tiers monde, une réflexion sur la notion de développement: comment ces pays peuvent-ils se développer sans en passer par une sujétion vis à vis des puissances économiques dominantes occidentales, que ce soient les États-Unis ou les anciens colonisateurs européens? Les économistes du développement comme l’argentin Paul Prebisch, critiquant la théorie des avantages comparatifs, ne voient de possibilité de développement qu’en dehors du capitalisme libéral, ou du moins dans un libéralisme très organisé: système de cartels pour garantir des prix corrects à l’exportation, protectionnisme tempéré et substitution aux importations pour protéger les industries naissante de la concurrence du monde occidental, planification et rôle directeur de l’État pour assurer l’investissement indispensable au démarrage d’une économie de type industriel. Faute de quoi, les pays du Tiers monde resteraient des exportateurs de matière première prisonniers des économies développées qui étoufferaient tout développement industriel de leur part. Par la création d’organismes au sein de l’ONU (CNUCED) ou en dehors d’elle (groupements régionaux), il s’agissait d’ « unifier le pouvoir économique et politique du Tiers monde, en vue d’élaborer de nouveaux types d’échange et d’ainsi réduire les effets néfastes de l’exploitation impérialiste » (p 96) dont étaient porteurs le système FMI-GATT du point de vue des théoriciens du développement. Mais au-delà des échanges, le problème était aussi d’avoir le capital nécessaire pour investir dans ces économies: les capitaux d’origine occidentale étant suspectés de véhiculer l’impérialisme néo-colonial, la seule solution était un transfert de ressources justifié par la dette économique et morale des anciens colonisateurs: « Si les nations obscures se trouvaient appauvries par le régime colonial, l’Europe et les Etats-Unis s’en étaient pour leur part approprié les richesses pour effectuer leur grand bond en avant. […] Puisqu’ils avaient profité du régime colonial, ils devaient en assumer les responsabilités: le premier monde se devait d’octroyer des subventions sans condition au Tiers monde (on parlerait par la suite de « réparations »). Il serait moralement reprochable de contraindre les peuples du Tiers monde à se sacrifier encore au nom du développement » (p 91-92).
En outre, pour un certain nombre de penseurs du Tiers monde, l’indépendance politique et économique nécessitait un substrat culturel: « cultiver un imaginaire ». Passant en revue les analyses de Césaire (et son fameux concept de négritude), Fanon, Neruda ou Senghor, Vijay Prashad consacre à cette question un des chapitre les plus intéressants du livre, mais aussi un des plus révélateurs des contradictions potentielles du Tiers monde. Pour se dégager de l’emprise culturelle occidentale, il convenait pour les nouveaux États de bâtir une identité nationale à partir des cultures antérieures au colonialisme en dépassant le clivage culture coloniale/culture « indigène », mais sans encourager un traditionalisme à bien des égards contraire au contenu politique et social du projet tiers-mondiste: « Les artisans de la culture fidèles à une vision dichotomique n’aidaient pas à la nécessaire critique des stéréotypes coloniaux, les endossant souvent non pour les vilipender, mais pour les célébrer. Les tribus, les paysans, symbolisaient la nation sans pour autant l’habiter. Ils en restaient à l’extérieur, soit confinés, soit convertis, sans en être considérés comme des citoyens à part entière. […] [Selon Césaire], c’est seulement dans la tourmente d’un grand mouvement social, à l’image d’une lutte anticoloniale, que les sociétés colonisées peuvent reprendre vie et s’ouvrir au changement. Les nouveaux États épousaient une vision multinationale, sachant très bien que leurs pays abritaient une réelle diversité culturelle. Il s’agissait d’une mesure pratique, ,puisque nombre d’entre eux naissaient de sociétés culturellement diversifiées et difficiles à unifier. […] Pour ses adeptes, le multinationalisme était une croyance idéaliste. Ils souhaitaient que les peuples se respectent mutuellement (diversité) et, puisque leurs mondes culturels se chevauchaient déjà, tolèrent leurs différences (culture composite). Mais la visée du projet national allait plus loin, gageant sur l’édification de marchés et d’institutions scolaires pour empêcher les différences de dominer la vie sociale. Une unité d’ensemble (une identité nationale) allait supplanter (mais non renverser) les autres identités sociales, l’identification au projet national s’avérant plus importante que l’adhésion aux identités héritées du passé. Aussi ce projet progressiste autrement valable renfermait-il un vice caché: celui d’être majoritariste » (p 115-117). Il s’agissait en somme de bâtir des identités nationales porteuses d’émancipation sociale (y compris pour les femmes, à qui le livre consacre un chapitre) sans qu’elles dégénèrent en nationalisme, problème toujours actuel dans un certain nombre d’États de l’ancien Tiers monde.
Mais s’il dépeint les différentes facettes du projet tiers-mondistes avec beaucoup (trop?) de cohérence, l’auteur ne cache pas que ce projet présentait des faiblesses dès le départ, essentiellement parce que l’unité du Tiers monde était largement artificielle. Pour des États dont le positionnement politique allait du communisme à l’alliance avec les États-Unis, le non alignement ne faisait pas l’unanimité. L’insertion économique du Tiers monde dans les échanges internationaux et la politique du développement voyaient s’affronter des politiques largement antagonistes. A Bandung, le seul domaine où se dégagea une réelle entente fut la coopération culturelle. Last but not least, non seulement les États du Tiers monde étaient initialement en désaccord sur la stratégie à suivre envers l’Occident, mais cette fracture ne fit que s’élargir par la suite. Alors que pour certains la constitution du Tiers monde devait assurer l’indépendance des nouveaux États en les tenant à l’écart du conflit est-ouest (Nehru, Nasser, Sukarno, U Nu), d’autres (Castro, Che Guevara, Nkrumah, Cabral) y voyaient au contraire le fer de lance de la guerre révolutionnaire à mener contre l’impérialisme occidental et rejetaient la coexistence pacifique. Dans le climat contestataire des années 1960 et de la guerre du Vietnam, ces derniers proposèrent à la conférence tricontinentale de la Havane (1966) de raviver la lutte armée non seulement en tant que lutte anticolonialiste mais en tant que stratégie en soi: « Des cortèges de militants et d’organisations de libération nationale affluèrent dans cette période aux rencontres du Tiers monde, réclamant une action armée contre l’impérialisme. Ils aimaient provoquer les délégués soviétiques, et balayaient toute considération sur les limites éventuelles du sentiment populaire anti-impérialiste dans les pays qu’il fallait libérer par les armes. Certains militants, reprenant la critique de la théorie des deux camps, soutenaient que la seule force à même d’opposer l’impérialisme des États-Unis comme de l’URSS était celle d’une libération nationale par les armes. On s’attelait à copier la méthode révolutionnaire cubaine ou chinoise sans chercher à saisir les raisons particulières de leur succès. […] Les militants rejetaient théorie et débats au profit d’une tactique insurrectionnelle visant à prendre et à maintenir le pouvoir par la lutte armée. Les considérations pour le combat des masses ou le rôle crucial du parti ne devaient pas freiner l’avancement de la guerre révolutionnaire. […] [A la conférence de la Havane] certains ayant un faible pour les forces progressistes souhaitaient suivre la voie de la coexistence pacifique et mettre en place les institutions onusiennes. D’autres prônaient d’entrée le militantisme, appelant à défier l’impérialisme sur le champ de bataille et par de petits actes révolutionnaires ou de terrorisme. Le Vietnam était au cœur des débats » (p 144-145). Cette fuite en avant du tiers-mondisme dans les années 1960 et 1970 était paradoxalement le prélude à son essoufflement, car le projet du Tiers monde s’est rapidement trouvé confronté à un certain nombre d’impasses.
La deuxième partie de l’ouvrage, « Ecueils », dresse le tableau des apories et des dérives du projet tiers-mondiste à l’épreuve de la réalité dans les années 1960 et 1970, que l’on peut imputer soit à la dénaturation du projet, soit aux mirages qu’il contenait.
Mirage de l’indépendance, tout d’abord. Ce que Vijay Prashad appelle un « nationalisme anticolonial », faisant l’unité du Tiers monde contre le monde occidental, s’est vite doublé de nationalismes plus classiques qui dressait certains États les uns contre les autres, en dépit de toutes leurs professions de foi internationalistes. La courte guerre de 1962 entre les deux poids lourds du Tiers monde, la Chine et l’Inde, a marqué une césure à cet égard: « Les Etats postcoloniaux, concernant les frontières, adoptèrent alors une conception bien plus « européenne » du nationalisme que celle qu’ils validaient auparavant en tant que forces anticoloniales. L’idée de nationalisme défendue par les mouvements anticoloniaux allait être remise en question par le processus même de formation des Etats: […] l’adhésion à une vision mystique du nationalisme, étrangère aux mouvements coloniaux » (p 216).
Sur le plan économique également, le système alternatif proposé par les économistes du développement pour assurer l’indépendance du Tiers monde vis à vis de ses anciens maitres s’avéra un trompe-l’oeil: les rares cartels qui purent voir le jour profitèrent essentiellement à une poignée de pays, même si la rhétorique tiers-mondiste demeurait. L’OPEP, créée en 1960, en fut l’exemple le plus emblématique, les intérêts des États pris séparément s’avérant beaucoup plus déterminants que l’intérêt général des pays en développement claironné dans les déclarations publiques : « Malgré ses origines politiques, l’OPEP était devenue un cartel commercial qui s’en tenait grosso modo à défendre les prix du pétrole. […] Bien que les membres radicaux de l’OPEP, comme la Libye au début des années 1970, aient appelé à imposer différents prix aux diverses nations du monde, la vision strictement économique de l’OPEP fit avorter tout arrangement politique de ce type. Dans l’ensemble, les cartels de matières premières n’aidaient pas forcément les pays du Tiers monde et ne lésaient pas forcément les pays industriels avancés » (p 240-243).
Surtout, à l’intérieur des Etats, le consensus politique national s’est effrité rapidement, chaque courant suspectant l’autre de vouloir récupérer à son seul profit les fruits du tiers-mondisme. Les adversaires des nationalistes les soupçonnaient de cacher sous la rhétorique de l’indépendance leur conservatisme social et politique; les adversaires des marxistes voyaient d’un mauvais œil leurs accointances avec les puissances communistes, et craignaient qu’ils soient finalement un ferment d’instabilité politique et sociale dans États encore en construction. En dépit de leurs contribution aux mouvements indépendantistes puis à la construction des nouveaux États, les mouvements communistes furent réprimés et éliminés dans de nombreux pays dans les années 1960, sous le regard indifférent et avec parfois l’accord tacite de l’URSS et de la Chine, qui cherchaient à renforcer leur influence dans le Tiers monde, fût-ce en sacrifiant les mouvements communistes autochtones. Outre le bilan humain de ces répressions (pour l’élimination du PKI indonésien en 1965-66, les estimations varient de 100 000 à 2 millions de morts), l’affaiblissement des forces de gauche dans un certain nombre de pays a marqué pour Prashad un premier reniement du Tiers monde: « L’anéantissement de la gauche eut un impact énorme sur le Tiers monde. Les classes sociales les plus conservatrices, voire réactionnaires, l’emportèrent sur la plate-forme élaborée à Bandung. Subordonnées aux régimes militaires, les forces politiques émergentes rejetaient le nationalisme œcuménique et anticolonial des sympathisants de gauche et des libéraux au profit d’un sauvage nationalisme culturel qui valorisait le racialisme, la religion et la hiérarchie. Elles se protégeaient derrière une vision fabriquée de la « tradition » – prétendant être les véritables porte-paroles de leur culture d’origine, par opposition aux forces progressistes de gauche qui exerçaient une influence « moderne » et « occidentale ». Toutes ces interprétations de la tradition qu’étaient les mythes du paradis balinais, du puritanisme arabe, du hiérarchisme hindou ou encore du tribalisme africain naissaient de la vengeance des anciennes classes sociales qui combattaient la gauche et, une fois celle-ci écartée, se proclamaient l’unique représentant de leur civilisation » (p 211).
Le mirage de l’indépendance renvoyait donc au mirage de l’État: un État que les théoriciens de l’utopie tiers-mondiste avaient voulu juste, démocratique, et capable d’une transformation prométhéenne des sociétés du Tiers monde. C’était compter sans le fait qu’un État fort pouvait également être l’instrument d’un régime dictatorial et conservateur. Dans les faits, la démocratie promise s’est avérée dans de nombreux pays du Tiers monde soit absente, soit éphémère, et ce dès l’époque de Bandung, comme le montre le cas de l’Egypte nassérienne. De l’émergence d’États forts dans le Tiers monde résultaient deux dérives possibles et liées: la « bureaucratisation » (que l’auteur explore longuement à travers le cas algérien) et le poids excessif de l’armée (en termes économique et politique) conduisant à des dictatures militaires. Par-delà la diversité des situations (dérive dictatoriale algérienne avec l’éviction de Ben Bella, putschs militaires sud-américains, rôle politique de l’armée dans les États d’Asie du sud-est, régimes arabes autoritaires, guerres civiles africaines…), Vijay Prashad dresse un scénario archétypal de cette dérive. L’État, initialement garant de l’indépendance et/ou hérité des mouvements indépendantistes, tend à se considérer comme seul apte à assurer la transformation politique et sociale des sociétés décolonisées, repoussant toujours pour plus tard la démocratie sociale promise (« La liste des réforme importe moins que la nature de la gouvernance: l’État allait-il déléguer le pouvoir au peuple, l’intégrer à son action, ou bien allait-il démobiliser le mouvement de libération nationale et créer le changement par la voie bureaucratique? Dans ce cas, l’État dictait ses ordres au peuple qui, pourtant, rêvait pendant la lutte de participer à la construction nationale. […] Le projet de libération nationale adhérait volontiers à une vision naturaliste des droits politiques: si l’on supprime le pouvoir colonial, si l’on confie l’État aux forces de libération nationales, si ces forces mettent en place un modèle économique convenable, alors le peuple sera libre », p 167-168). En se coupant de la population, il est de plus en plus instrumentalisé par les forces sociales « conservatrices » de la société, qui cherchent à maintenir l’ordre social en l’état. L’armée, dont le poids économique et politique croit à mesure que les antagonismes entre États du Tiers monde deviennent plus évident derrière la rhétorique tiers-mondiste, est instrumentalisée dans le même sens et peut alors soit prendre le pouvoir (putsch militaire), soit éliminer à la demande des gouvernants les forces politiques contestataires. Le régime autoritaire ainsi établi promeut derrière la rhétorique unitaire un nationalisme agressif qui justifie les dépenses engagées dans le domaine militaire (plutôt que dans le domaine social), dépenses militaires qui ne font que renforcer le poids de l’armée comme soutien du régime, bouclant le cercle vicieux de l’autoritarisme.
L’auteur n’en oublie cependant pas l’autoritarisme dans sa version de gauche, le socialisme constituant lui aussi un des mirages du Tiers monde. Approfondissant l’exemple de la Tanzanie de Julius Nyerere, il montre comment le projet tiers-mondiste a aussi échoué faute de remplir sa propre exigence de démocratie : « Pressé d’agir par le pays industriels avancés, par l’aristocratie rurale et par les classes commerçantes en émergence, le nouvel Etat devait faire vite. Il fallait que ça change. Mais le socialisme requiert de l’imagination et du temps, il ne peut sa bâtir à la va-vite. Fondant ainsi le socialisme à la hâte, sans l’appui des masses et sans institutions aptes à canaliser cet appui, de nombreux Etats du Tiers monde allaient courir au désastre. […] L’État parlait du peuple tout en s’en dissociant. Il omit d’identifier des partenaires privilégiés dans les classes de la paysannerie, et omit de fonder des institutions permettant à ces acteurs de promouvoir le changement social. Sans même avoir de plan précis pour donner force à ses idées, l’État se postait au-dessus du peuple, lui disait quoi faire, prêchait le ’socialisme par en haut’ » (p 244-248). Dans son programme d’Arusha de 1967, Nyrere postulait que la modernisation agricole devait servir de socle au développement industriel, et donc que la construction du socialisme se jouerait dans les campagnes, où il fallait briser au préalable les instruments de domination traditionnelle et imposer l’État comme matrice du changement. Pour cela, son gouvernement élabora la notion de « village socialiste », sorte de mixte entre une vision mythique de l’agriculture traditionnelle et le modèle agricole soviétique. Faute de structures adéquates et d’explications suffisantes, c’est de manière autoritaire que ce remodelage rural fut effectué, aboutissant au déplacement forcé de trois millions de personnes, soit 20% de la population du pays. L’expérience tanzanienne fut à la fois un échec (car peu efficace) et un désastre (car elle désorganisa le pays), emblématique du « socialisme précipité du Tiers monde qui devenait alors non démocratique et autoritaire »: « La plupart des Etats se sont empressés de construire des usines et des barrages, de déboiser des forêts, de déplacer des populations. Ce travail répondait à plusieurs besoins, avant tout celui d’accroitre au plus vite la capacité de production des nouvelles nations, de faire un grand bond en avant pendant que la prospérité était là et avant que ne s’épuise le capital politique des mouvements de libération. Si les intentions des dirigeants n’étaient certainement pas malveillantes, ce rêve moderniste – régir la nature et la société, ériger une infrastructure industrielle sans pour autant créer de structure démocratique de gouvernance ou mettre à profit une population mobilisée – allait conduire aux pires excès de directivisme et de bureaucratisme » (p 251).
Néanmoins, par un curieux déni de sa propre démonstration, Vijay Prashad conclue que « le capital politique du Tiers monde subsistait, et le projet aurait pu surmonter ses propres écueils s’il n’avait dû faire face à un nouvel assaut frontal dans les années 1970 » (p 260). La dernière partie, « Assassinats », ne se départie jamais de cette ambiguïté: elle dresse un réquisitoire sans concession envers les « assassins » du projet tiers-mondiste (pays occidentaux et capitalisme libéral d’un côté, et leurs soutiens dans le Tiers monde de l’autre), mais à la lumière de la partie précédente, on a plutôt l’impression du crépuscule d’un projet moribond, auquel le renouveau libéral des années 1980 n’aurait fait que porter le coup de grâce.
C’est que le projet tiers-mondiste connait d’abord un renouveau trompeur dans les années 1970: les pays de l’OPEP exercent une forte pression sur les pays occidentaux, qui acceptent de négocier un nouvel ordre économique mondial (NOEI, revendication du Tiers monde jusqu’ici restée lettre morte), le système monétaire de Bretton Woods implose, le GATT semble s’essouffler, et le communisme connait une série de succès dans le Tiers monde au milieu des années 1970. Bref, les Occidentaux semblent devoir lâcher du lest face aux revendications des anciens pays décolonisés, englués dans une crise économique qui menace de se transformer en crise idéologique. Mais le Tiers monde ne saura rien faire de cette position de force en raison de ses propres faiblesses.
D’abord, le Tiers monde reste divisé. Au courant marxiste des non alignés, pour qui le problème principal est le capitalisme inégalitaire, s’oppose un courant libéral qui prône la croissance par l’insertion dans ce système économique et commercial mondial. Prashad consacre un chapitre à Singapour (« La tentation asiatique », p 307-324), fer de lance de ce dernier courant et vitrine d’un nouveau modèle de développement économique pour le Tiers monde, porté pour l’auteur par les nouvelles bourgeoisies nationale au détriment du projet tiers-mondiste: « Les figures intellectuelles qui appartenaient à cette classe fréquentaient les institutions internationales (comme le FMI et la Banque mondiale), observant là le passage du modèle keynésien de développement (l’État stimule la demande au moyen des programmes de sécurité sociale et des politiques salariales) au modèle d’accumulation monétariste (retrait de l’État, dont le rôle se borne à gérer la masse monétaire et à maintenir bas le taux d’inflation). [...] Cet apport de compétences et cet esprit d’entreprise enchantaient la bourgeoisie émergente des nations obscures, qui voyait l’avenir dans leurs yeux et non par la lorgnette du projet du Tiers monde. Peu intéressée à servir de mandataire commercial aux puissances atlantiques, cette classe avait foi en ses capacités et souhaitait se donner les moyens de réussir » (p 268). Prashad identifie la réunion des non alignés en 1983 (« New Dehli: la notice nécrologique du Tiers monde », p 263-280) comme le moment où le rapport de force s’est renversé en faveur du courant libéral au sein du tiers monde. Au-delà de la divergence idéologique, c’est aussi des fissures économiques de plus en plus grandes qui divisent le tiers monde: les pays de l’OPEP profitent des hausses pétrolières pénalisant la plupart des autres pays, et le décollage économique de ceux qu’on appellera par la suite les émergents accroit considérablement les écarts au sein du Tiers monde.
D’autre part, la crise économique des années 1970 révèle le talon d’Achille du modèle de développement adopté : l’endettement. Alors que les cours et les débouchés de leurs exportations chutent ou stagnent (exception faite du pétrole), les États du Tiers monde doivent supporter le fardeau de plus en plus lourd de la dette, cercle vicieux qui amène finalement la plupart à conclure avec le FMI de léonins « Plans d’ajustement structurels », avec ses corollaires biens connus: coupes dans les dépenses de l’État, dérégulation, ouverture commerciale, que Prashad étudie dans un chapitre détaillé sur le cas de la Jamaïque (« Kingston: la globalisation pilotée par le FMI », p 281-306). « La crise de la dette, conclue-t-il, c’était le cheval de Troie dans l’assaut mené sur le projet de construction d’une souveraineté sur le Tiers monde, désormais ajourné » (p 291).
Dans les années 1980, la globalisation libérale est incontestablement la fossoyeuse du projet tiers-mondiste, mais encore faut-il savoir ce qu’englobe le terme: dans son récit, Vijay Prashad amalgame allègrement les États-Unis, leurs alliés occidentaux, le G7, le FMI, les multinationales, les « élites » et « bourgeoisies nationales » du Tiers monde comme autant de pièces d’une stratégie concertée, si bien qu’on finit par ne plus savoir de quoi il est précisément question quand il parle des « forces abstraites » qui dominent le monde économique (p 306) et imposent des choix au Tiers monde. L’étude montre pourtant dans le détail quelque chose de moins manichéen: l’abandon du projet tiers-mondiste au profit d’un modèle libéral (dont la légitimité croît avec la fin de la guerre froide) ne relève pas seulement d’une contrainte exercée depuis l’extérieur mais d’une transformation d’ensemble du Tiers monde et d’un choix opéré dans un certain nombre d’États.
Dans son dernier chapitre (« La Mecque: quand la culture se fait cruelle », p 325-342), l’auteur explique d’ailleurs que l’affaiblissement du projet du Tiers monde est passé par des courants traditionnels et conservateurs du Tiers monde, au moins autant que par le modèle libéral importé d’Occident: « La globalisation pilotée par le FMI mit à terre les piliers de l’État souverain. Tandis qu’elle s’opposait au nationalisme, certaines forces sociales conservatrices et d’autres classes sociales tout aussi puissantes décidaient de s’unir pour présenter une définition autre du patriotisme, du nationalisme en vérité. Le nationalisme laïque et socialiste du tiers monde s’atrophiait devant l’essor d’un nationalisme culturel, la religion et autres particularités ataviques du même type » (p 341). A partir de l’exemple de l’islam wahhabite (et de ses vecteurs, la Ligue islamique mondiale puis l’Organisation de la conférence islamique), il montre comment l’enterrement du projet tiers-mondiste correspond à une exacerbation des replis nationalistes dans les anciens pays décolonisés à partir des années 1970. Menant à un éclatement du Tiers monde, elle explique pour l’auteur l’absence de projet politique héritier du tiers-mondisme, même s’il l’appelle de ses vœux en épilogue.
Au-delà de la définition étroite – et donc discutable – proposée du Tiers monde dans cet ouvrage, on ferme le livre en ressassant une question omniprésente mais jamais explicitement posée : les choses auraient-elles pu se passer différemment, et le Tiers monde aurait-il pu rester uni ? Si on considère l’histoire du Tiers monde comme l’histoire d’une utopie, on peut considérer, sur le ton fataliste de l’auteur, que son exigence était trop haute face à la persistance des résistances internes et externes. Si on la considère maintenant comme l’histoire d’un mouvement politique, il faut admettre qu’il était d’emblée pluriel, divisé et pétri de contradictions, et correspondant à un moment historique éphémère. Ce qui est mort, comme le montre l’épilogue de l’ouvrage sur les deux dernières décennies, ce ne sont pas les idées portées par le projet tiers-mondiste, mais l’idée que les anciens colonisés puissent s’organiser en un ensemble organique et cohérent apte à façonner un nouveau système mondial. Mais le lien essentiel entre ces pays étant l’héritage colonial, n’était-il pas inévitable que ce lien se distende ?
Cet ouvrage, malgré les réponses qu’il apporte, laisse donc ouvertes un certain nombre de questions, et s’impose de ce fait comme une lecture stimulante, autant par ses parti-pris que par la mine d’informations qu’il constitue.
Noël Bonhomme
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