« L'autre 11 septembre » et « l’École française »

C’est un bien curieux savoir-faire que la France a exporté dans les années 1960 et 1970 en Amérique du Sud : techniques d’interrogation des prisonniers, torture, quadrillage de la population. Ce que les officiers français avaient appris sur le terrain, pendant la guerre d’Algérie, ils l’ont transmis aux militaires argentins, brésiliens et chiliens chargés de la lutte contre la "subversion". Le rôle des instructeurs nord-américains, en particulier ceux de l’Ecole des Amériques, installée dans la zone du canal de Panama, a souvent été raconté. Celui, peut-être aussi important, de leurs homologues français était resté dans l’ombre.


"Nous avons tout appris des Français", explique le général Albano Harguindeguy, qui fut en Argentine le ministre de l’intérieur de la junte militaire dirigée par le général Videla. Le modèle sans cesse cité est celui de la bataille d’Alger (janvier-septembre 1957) menée par les parachutistes français contre le FLN. On retrouve à chaque pas le général Aussaresses, spécialiste des interrogatoires et des exécutions sommaires. Celui-ci a notamment été attaché militaire au Brésil, en 1973. Le général Manuel Contreras, qui fut le chef de la police secrète de Pinochet, révèle que de nombreux officiers chiliens, en stage au Brésil, ont reçu l’"enseignement" d’Aussaresses. On sait que ce dernier avait érigé, quasiment en doctrine, l’idée qu’il fallait se débarrasser des prisonniers qui avaient été torturés. Il avait fait bénéficier de sa riche expérience dans ce domaine, dès 1961, à Fort Bragg, aux Etats-Unis, des officiers américains, qui s’en sont inspirés par la suite au Vietnam.

Les militaires argentins qui ont systématiquement jeté à la mer les corps des personnes qu’ils avaient enlevées et torturées ont suivi les leçons de leurs instructeurs français, qui avaient fait de même dans la baie d’Alger. L’idée centrale transmise par ces professeurs d’un genre bien particulier est que la guerre contre la subversion ne peut être menée avec des méthodes "classiques". Le plus extraordinaire, dans cette affaire, est que l’Etat français était parfaitement au courant du type d’enseignement dispensé par ces officiers ainsi envoyés en Amérique du Sud.

Dominique Dhombres


1 commentaire:

Cyril a dit…

L'universalisme français, je saisis enfin..
Moi qui ne croyais en rien en la possibilité de l'Universel, me voici désormais à court d'argument.
Merci la France...