« L’histoire de groupes sociaux subalternes est nécessairement fragmentée et épisodique. Il est hors de doute que, dans l’activité historique de ces groupes, il y a une tendance à l’unification, fut-ce à des niveaux provisoires, mais cette tendance est continuellement brisée par l’initiative des groupes dominants et ne peut être démontrée qu’après l’achèvement du cycle historique, si celui-ci se conclut par un succès. Les groupes subalternes subissent toujours l’initiative des groupes dominants même quand ils se rebellent et se soulèvent : seule la victoire « permanente » brise, et pas immédiatement, la subordination. En réalité, même quand ils paraissent triomphants, les groupes subalternes sont seulement en état de défense et d’alerte. Toute trace d’initiative autonome de la part de groupe subalternes devrait donc être d’une valeur inestimable pour l’historien intégral ; il résulte de cela qu’une telle histoire ne peut être traitée que par monographie et que chaque monographie demande une somme considérable de matériaux souvent difficile à rassembler [...] Souvent les groupes sociaux subalternes sont d’une autre race (autre culture et autre religion) que les groupes dominants et souvent ils sont un mélange de races diverses, comme dans le cas des esclaves. [...] Les classes subalternes, par définition, ne sont pas unifiées et ne peuvent s'unifier tant qu'elles ne peuvent pas devenir « État » : aussi leur histoire est-elle mêlée à celle de la société civile, c'est une fonction « fragmentée » et discontinue de l'histoire de la société civile et, par ce biais, de l'histoire des États ou des groupes d’États. Il faut donc étudier : 1. la formation objective des groupes sociaux subalternes à cause du développement et des changements qui se produisent dans le monde de la production économique, leur diffusion quantitative et leur origine dans des groupes sociaux préexistants, dont ils conservent pendant un certain temps la mentalité, l'idéologie et les buts; 2. leur adhésion active ou passive aux formations politiques dominantes, leur tentative d’influer sur les programmes de ces formations, pour imposer leurs propres revendications et les conséquences qu'ont eues ces tentatives dans la détermination de processus de décomposition et de renouveau ou de néoformation; 3. la naissance de nouveau partis des groupes dominants pour maintenir le consensus et le contrôle des groupes subalternes; 4. les formations propres de groupes subalternes pour des revendications de caractère restreint et partiel; 5. les nouvelles formations qui affirment le caractère d'autonomie des groupes subalternes mais dans les cadres anciens; 6. les formations qui affirment l'autonomie intégrale... »
(Gramsci, Cahiers de prison)
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