Obama, le nouveau logo de la marque Amérique

Soirée électorale US à la TV : Emmanuel Cassandre Todd est invité à commenter à chaud l’élection de Barack Obama. Et là, on apprécie l’autisme médiatique. Dés que Todd tente de sortir de l’obamania ronronnante, le grondeur Bourdin (BFMTV) adopte aussitôt un regard vitreux, fixe et vide ; il ponctue toute analyse objective de Todd sur la déliquescence des USA par des "oui, oui, oui" automatiques et boudeurs. Quand décidément le récalcitrant Todd peine à entrer dans la communion obamaesque exigée de lui, un exaspéré "Mais vous n’êtes pas anti-américain ?" est lancé. Excédé, Bourdin interroge le correspondant à Washington : "Avez-vous un sentiment d’irrationnel dans cette victoire ?" Alors le correspondant, d’un air inspiré : "Non, ici dominait surtout l’émotion"... l’ingénu ! Et cela a continué sur Europe 1 où le journaliste, frappé d’extase, annonce, trémolos à l’appui, que le temps est exceptionnellement beau pour cet embrasement électoral.


Il ne manquait plus à ce touchant tableau médiatique qu’une colombe descendant du ciel, et le monde tenait son nouveau messie porté sur les électoraux fonts baptismaux.

Obama-Pepsi versus McCain-Coca

L’électoral affrontement Obama/McCain a vite donné l’impression diffuse d’être devant une vaste publicité mondiale rappelant étrangement les publicités des jumelles boissons sirupeuses mais ennemies que sont Coca-Cola et Pepsi Cola.

Visuellement, le rouge incarnat républicain de McCain rappelle le rouge vermillon de Coca-Cola, tout comme le bleu démocrate d’Obama, le bleu de Pepsi. Historiquement, ces deux boissons sudistes interchangeables se sont démarquées l’une de l’autre par leurs univers symboliques, les références inconscientes et mythiques qu’elles ont construites dans leurs publicités respectives. Toutes deux racontent une certaine Amérique.

Dès son origine, Coca a été la boisson familiale et traditionnelle : ses publicités ont mis en scène une Amérique prospère, rurale, blanche et innocente, car sûre de son bon droit. A contrario, Pepsi est très vite devenu la boisson des pauvres blancs et des Noirs (évidemment pauvres) pendant la grande dépression post-1929. Ses publicités étaient plus tournées vers la "street" culture, noire et jeune, mettant en scène des célébrités noires. Obama-Pepsi porte en lui ces mêmes attributs de cette Amérique urbaine, métissée et post-crise, tout comme McCain-Coca a représenté le versant blanc, conservateur et riche.

De même, Coca a rapidement pensé global, avec une stratégie offensive, s’alliant dans une synergie culturelle totalisante avec d’autres marques purement américaine comme Disney, Mc Donald. Elle laissait donc peu de place aux traditions et structures locales. Aussi, le parallélisme avec McCain-Coca est-il frappant. En effet, McCain a vite donné l’impression de continuer la politique intrusive, unilatérale et globalisante de George Bush. À l’inverse, Pepsi a évité de s’affirmer comme un produit purement américain et a su développer les partenariats locaux, comme par exemple, en France, avec le très gaulois Parc Astérix. Or, qu’attend le monde d’Obama-Pepsi si ce n’est d’adopter cette même politique en apparence respectueuse des particularités locales ? Le multilatéralisme, en somme.

Enfin, Coca s’est entièrement consacré à la production de sodas classiques, refusant même longtemps de céder aux sirènes du light. A l’inverse, Pepsi s’est diversifié dans l’agro-alimentaire et a été le premier à lancer son soft-drink. Sur cette même idée, McCain-Coca représente ainsi la version monomaniaque de l’Amérique guerrière, toute tournée vers le hard power ou puissance lourde et dure, comminatoire et destructrice. À l’inverse, l’illusion a gagné que Obama-Pepsi sera la version soft ou light power ou puissance douce et multiple ; une Amérique qui ne se limiterait plus à la seule guerre comme moyen d’intervention internationale mais qui s’investirait aussi dans l’écologie, l’économie, la culture.

Et le 4 novembre 2008, c’est la version Pepsi de l’Amérique qui a gagné les élections...

Obama, le premier homme global

Devant cette victoire, sont revenus à l’esprit les mots de Régis Debray : "Que peut la réalité face aux représentations ?"... Pas grand-chose visiblement.

Avec Obama, on nous a vendu un nouveau concept de l’Amérique : celui de l’homme global, universel, pour un Empire qui doute et perd de son universalité, de sa puissance totale. Obama est le "rainbow man" : l’aurait-on créé de toute pièce qu’on n’aurait pas fait mieux. Voyez plutôt...

Un père noir africain, musulman. Une mère WASP, avec des racines anglaises, françaises, écossaises et irlandaises. Voilà d’un seul coup un double ancrage à la fois religieux et géographique, l’Afrique et l’Europe-Amérique liées en lui, tout comme l’islam et le christianisme.

Mais ce n’est pas fini... Des racines cherokees, voilà pour l’autochtone ; une épouse afro-américaine : voilà pour les Noirs d’Amérique. Sans compter qu’en lui, se réconcilierait blanc, noir, indien, transcendant l’histoire d’une Amérique exterminatrice et férocement esclavagiste.

Mais ce n’est toujours pas fini... une enfance en Indonésie, auprès d’un beau-père javaniste (branche locale de l’islam) : voilà pour une implantation asiatique, dans le plus grand pays musulman. Ensuite, une conversion au protestantisme, une scolarité à Harvard, de hautes fonctions précoces : voilà ce qui concilie à la fois l’american-dream et le pur produit de l’establishment américain classique.

Enfin ses prénoms, claquant comme une accroche de pub : Barack qui signifie, à la fois en hébreu et en arabe, "le Béni", et Hussein, en arabe-persan, le "Bon", du nom de ce descendant d’Ali, gendre du prophète Mohamed vénéré par les chiîtes.

Donc, résumons : des ancrages en Afrique noire, en Europe, en Asie, dans l’Amérique des Indiens, des Noirs et des Pelgrims. Un ancrage dans la chrétienté, tout en ayant un possible écho auprès de l’islam sunnite, chiite et javaniste. Des prénoms juif, arabe et perse. Se serait-il trouvé une gentille babouchka (grand-mère) russe orthodoxe, et la dimension universelle était totale. Mais peut-être n’est-ce pas très utile à une époque de regain impériale russe...

Obama est une véritable chimère, du nom de ce monstre composite de l’Antiquité, entièrement fait de pièces rapportées. Toute la question est de savoir s’il est également une chimère-mirage...

Obama est-il la continuation des guerres de Bush par d’autres moyens ?

Voici l’homme...universel. Un homme qui s’apparenterait presque au Christ, fils de l’Homme, en qui toutes les nations doivent se réconcilier. Seulement, si le Christ est une figure sacrificielle, bouc-émissaire des péchés du monde, Barack Obama est apparu comme une figure compensatoire, bouc-récipiendaire de tous les espoirs du monde. Cet emprunt à l’univers religieux n’est pas accidentel ; en effet, cette élection, mondiale cérémonie cathartique, fait politique universel, semble résoudre de façon magique les questions sur le devenir de l’Amérique et du monde. Une ferveur religieuse a accueilli son élection : les gens avaient les yeux extatiques levés non pas au ciel, mais vers les écrans de télévision, souvent une bougie à la main, la larme d’espoir ondoyant les joues...

En effet, la puissance des USA est crépusculaire : toutes les données objectives le montrent. L’élection d’Obama illumine facticement, dans un dernier soubresaut, ce nadir impérial.

Et cette élection a été une formidable pulsion spectaculaire, théâtralisée, ayant pour fonction de remplir ce vide angoissant de la chute finale. Car les USA, ivres de leur puissance impotente, ont, à l’instar de Noé, par trop découvert leur réelle nudité stratégique et économique dans de désastreuses guerres et dans une crise économique mondiale dont ils sont l’épicentre.

Cette élection jette sur cette réalité un voile chatoyant. Les habits neufs de l’Empire donc...

L’élection d’Obama couvre d’abord les crises internes. En effet, aux USA, l’inégalité économique est quasi abyssale. De plus, la société américaine reste clivée par l’idée de race : les mariages mixtes y sont rares, un quart des Noirs vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 8% pour les Blancs), la moitié de la population carcérale est noire.

La crise des subprimes a touché de plein fouet les classes populaires, surtout non blanches, qui avaient vu dans leur maison leur american dream à eux. Ce sont celles-là même qui ont voté en masse Obama. Et pourtant, des milliards ont été et seront débloqués pour sauver un système avide quand le projet de sécurité sociale n’a jamais abouti.

L’élection d’Obama a servi d’extincteur et de catalyseur à une possible colère sociale légitime en la transformant facticement en un creux regain d’espoir. Le coup de génie est d’avoir donné l’illusion d’une résolution du clivage racial horizontal blancs/non blancs par l’élection d’un métis afin de mieux faire oublier le clivage vertical riches/pauvres. Ainsi en racialisant ad nauseum l’élection, on a pu évacuer aisément les questions économiques de partage des richesses. Ou plutôt, en semblant dépasser le clivage racial, on a donné l’illusion d’avoir aussi résolu, dans le même mouvement, le clivage économique.

Sur le plan international, cette élection permet aux USA de reconquérir ce rôle d’Empire bienveillant, rôle sévèrement entamé par Bush fils. En effet, les USA ont construit leur politique internationale sur l’idée que leurs motivations sont pures quand bien même leurs mains seraient sanglantes. De même, ils se sont érigés en Empire du sens, celui par qui le monde prend une direction et une signification. Le problème est qu’ils sont clairement devenus l’empire du non-sens.

Obama a pour mission de reconquérir ce leadership moral. Cependant, là encore, il s’agit d’un voile pudique couvrant d’autres réalités. En effet, les USA ont démontré leur incapacité stratégique totale quand leur volonté guerrière s’est heurtée à des réalités incontournables sur le terrain des guerres. Il ne reste plus à l’Empire que de sur-investir l’emprise symbolique sur le sens du monde pour mieux compenser sa perte de contrôle. L’Empire raconte (et se la raconte) à défaut d’être encore...

Obama donne l’illusion d’en finir avec l’image de cet erratique empire tanguant sous l’hubris de sa puissance. Son slogan même, "Yes, we can", semble la réponse nette à des doutes internes et internationaux informulés. Au travers de ce slogan incantatoire, on entend surtout "Yes, we still can", nous pouvons toujours...

Enfin, cette élection permet à ceux qui ont soutenu les guerres bushiennes de ne plus avoir trop honte. Cela est particulièrement vrai en France où l’intelligentsia la plus pro-guerre peut tranquillement déclarer que ce Bush qu’elle avait pourtant ardemment soutenu n’est au final que l’accidentel et monstrueux rejeton d’une Amérique re-moralisée qu’elle s’aime d’aimer à nouveau.

Au-delà des postures, des symboles, le problème est qu’Obama donne tous les signes objectifs d’une volonté de pérenniser la fondamentale pulsion impériale des USA. Ses déclarations plus confidentielles que l’hypnotique "Yes, we can" augurent d’une volonté impériale réaffirmée. Voyez plutôt sa déclaration à la revue référence des stratèges mondiaux, Foreign Affairs, en juillet 2007 : "Je construirai une armée du 21ème siècle et un partenariat aussi puissant que l’alliance anticommuniste qui a remporté la guerre froide, afin que nous demeurions partout à l’offensive, de Djibouti à Kandahar".

Que de choses dites en peu de mots. Reconstruire l’armée ? Le budget militaire est déja faramineux, mais avec Obama, voilà le complexe militaro-industriel rassuré. Et cette référence à la guerre froide et à l’OTAN ? Pas étonnant que la Russie ait froidement félicité Obama, elle qui voit ses anciens satellites frontaliers tomber dans l’escarcelle OTAN. De Djibouti à Kandahar ? Pourquoi pas de Berlin à Londres ? Les pays du tiers-monde, et notamment le Pakistan et l’Iran, vont-ils devenir le nouveau terrain de jeu préféré de cette nouvelle alliance offensive occidentale ?

En peu de mots bien sentis, Obama dessine une future alliance USA-Europe, avec pour police planétaire l’OTAN. Cette alliance sera offensive partout donc.... "Yes we can !"

La construction de son équipe valide cette hypothèse de maintien coûte que coûte de l’Empire : des faucons notoires ont été nommés, des membres de l’équipe martiale de Bush ont été reconduits. Seulement, Obama est autrement plus glamour que Bush et son métissage universel occultera au mieux le tropisme occidentalo-centré de sa future politique.

Obama : le nouveau logo de la marque impériale USA

Devant le spectacle de l’élection d’Obama, est revenue à l’esprit l’hypothèse de Baudrillard selon laquelle le simulacre de la première guerre du golfe a précédé le conflit réel. Les simulations télévisées, l’hyper-réalité médiatique d’un conflit dont les seules traces étaient, pour la majorité, cathodiques auraient créé et construit la réalité de cette guerre en temps réel. Le reflet médiatique a ainsi décidé des contours de l’évènement médiatisé, la copie a décidé et précédé l’original. Baudrillard estimait que la fiction, l’hyper-réalité médiatique qui n’est somme toute qu’un hyper-simulacre, avaient pris le pas sur le réel qui se plierait ainsi à une scénarisation en amont.

Tout est alors inversé dans cette étrange miroir : l’image reflétée est première par rapport à la chose refletée et c’est ce reflet ou simulacre qui donne sa substance à la réalité. Dès lors la fiction donne naissance à la réalité.

Karl Rove, conseiller occulte de Bush, disait : "Nous sommes un empire désormais ; nous créons notre propre réalité". Ce même Karl Rove avait forgé le concept de "stratégie de Shéhérazade". Ce concept suppose de scénariser le monde par des histoires pour moduler au mieux la perception de la réalité, donc sa substance même... "When the legend becomes facts, print the legend." (John Ford, "L’homme qui tua Liberty Valance").

Tout comme Shéhérazade racontait, pour échapper à la mort, l’histoire racontée par l’élection d’Obama doit repousser sans cesse l’idée même de fin de l’empire américain. Il s’agit ainsi d’un processus quasi incantatoire de "dissuasion du réel par le virtuel." (Baudrillard)

Cette élection serait-elle un mondial simulacre ? L’élection d’Obama a-t-elle réellement eu lieu ? Bien sûr, Obama a bien été élu... mais la question est de savoir si cette élection ne participe pas de cette stratégie de construction du réel par le fictionnel.

Est-elle aussi un simulacre, tel que Baudrillard l’a défini, cette "vérité qui cache le fait qu’il n’y en a aucune". Obama annoncerait-il un renouveau de l’empire qui cacherait le fait qu’il n’y a bientôt plus d’empire : un regain de puissance pour cacher l’impuissance, un regain de volonté et d’espoir pour cacher le dramatique de la situation ?

Les USA, avec Obama, se tournent-ils résolument vers cette séduction, qui, toujours selon Baudrillard, représente la maîtrise de l’univers symbolique parce que justement ce pays n’a plus cette puissance qui, elle seule, résume la maitrise de l’univers réel ? L’empire américain serait-il devenu une fiction qui ne demeurerait opérante que si on y adhère ? Dès lors, le rôle d’Obama, par sa mythification médiatique, serait ainsi de créer cette adhésion.

Et le scénario de la réalité Obama est-il l’écho du scénario de la série au succès phénoménal "24h chrono" ? On pouvait y découvrir un président noir, David Palmer, dont la ressemblance avec Obama est troublante. Même charisme, même voix profonde, même humanisme porté en bandoulière, même appartenance au parti démocrate. La boucle serait alors bouclée : la fiction ne copierait plus la réalité mais l’annoncerait et cette réalité se plierait aux injonctions d’un scénario pré-écrit. Obama serait dès lors le premier président de la télé-réalité où la vérité, la spontanéité sont simulées et où le réel naît de ce simulacre.

Les écrits de Naomi Klein, tout comme ceux de Baudrillard, peuvent aider à comprendre l’élection d’Obama. Dans son livre, No Logo, elle décrit comment la publicité, le marketing ont structuré jusqu’aux modes de production mondiales. Elle explique que le "branding" (ou marketing des marques) a totalement inversé les choses : désormais le produit est secondaire par rapport à sa signification, laquelle est construite par la publicité. Les grandes marques ne fabriquent pas un produit mais des symboles : elles sont moins productrices que "courtiers en signification". On pourrait résumer cela par un jeu de mots anglais : a brand new president for a new president brand (un tout nouveau président pour une nouvelle marque de président)...

Dès lors, le "branding" structure la division internationale des tâches : au Nord, le travail de concept, de symbolisation marketing ; au sud celui de la fabrication du produit qui n’est que secondaire et ne sert qu’à matérialiser la marque. Klein écrit : "Ce que produisent les entreprises, ce n’est pas des objets mais des images de leurs marques. Le véritable travail n’est pas la fabrication mais le marketing".

Sur la même idée, c’est en ce sens qu’Obama est le nouveau logo du produit Amérique qui doit cacher ce que ce produit a d’inefficace, d’inutile, voire de dangereux. Son élection aura été un immense écran publicitaire pour lancer le nouveau logo.

Dès lors, sur la même idée de la division internationale des tâches "branding" au nord/production au sud, sommes-nous également conduit vers une division internationale des tâches stratégiques ? Les USA s’accapareraient le travail d’impulsion et de décision. À l’Europe, le travail de suppléance disciplinée économique et militaire. Le Sud fournirait les matières premières et la main-d’oeuvre. Et la Chine et la Russie, potentiels rivaux impériaux, n’auraient d’autre choix, dans cette division des tâches, que de taire leurs aspirations ou de devenir l’objet de représailles.

Et ce nouvel ordre mondial que les États-unis veulent coûte que coûte assoire, doit être, selon Baudrillard, "consensuel et télévisuel". Obama, par sa figure globale, charismatique, sert à créer ce consensus par son image, universellement portée par la télévision.

L’empire ne veut pas mourir. Et le mot d’Obama, "change", rappelle ceux de Lampedusa (le Guépard) : "Il faut que tout change pour que rien ne change et que nous restions les maîtres"... Yes, he can !

Hassina Mechaï

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