Gramsci and the beatbox in Tunisia



Dans City of Quartz, Mike Davis se demandait si  les rappeurs ne constituaient pas, à Los Angeles, une sorte « d’intelligentsia organique » susceptible de rassembler un « bloc historique de toutes les oppositions », et bien pour la Tunisie d’aujourd’hui cela ne fait pas de doute…

Depuis la Tunisie, Malek Khemiri rappelle d'un autre numéro, raccroche deux fois car, dans le taxiphone, des policiers le "regardent". Puis il demande à être rappelé et parle, "stressé", prêt à "affronter" le fait d'être cité dans cet article. Il se sent surveillé. Malek Khemiri n'est pas un opposant politique ni un syndicaliste. Il est rappeur. Dans ce pays qui connaît depuis la mi-décembre une contestation sociale inédite, les rappeurs apparaissent comme une cible du régime.

Jeudi 6 janvier, Hamada Ben Amor, 22 ans, est arrêté puis relâché trois jours après. Dans un clip diffusé sur Internet, il interpellait le chef de l'Etat, Zine El-Abidine Ben Ali : "Président, ton peuple est mort."

"Le rap est le porte-parole de la jeunesse tunisienne", explique Malek Khemiri. Un "rap conscient" qu'il transmet avec son groupe Armada Bizerta, à Bizerte, dans le nord de la Tunisie. Style musical populaire chez les jeunes et largement implanté dans le pays, le rap est par essence contestataire, selon le chanteur et étudiant de 23 ans. Diffusée sur les réseaux sociaux comme Facebook, cette musique se partage rapidement et parvient à contourner les canaux de la parole officielle.

Dans ses textes, en arabe, où se glissent quelques passages en français, Malek Khemiri veut dénoncer les "inégalités dans la distribution des richesses", mais aussi "la pauvreté, l'injustice (...), la corruption". Lak3y, rappeur également, qui appartient (comme Armada Bizerta) au collectif SounD Of FreeDom, vient de lancer son studio de musique car, malgré un diplôme d'infographiste, il est au chômage depuis trois ans. "On travaille, on étudie mais on reste des chômeurs. Sans piston, on est au chômage. La situation morale est trop grave." Dans un morceau intitulé ironiquement "La Tunisie va bien", il évoque en arabe "le peuple endormi", "au chômage", les "bus [qui] transportent cinquante personnes quand deux cents restent à la station".

Si ces rappeurs expriment leur peur du chômage et du déclassement, ils manifestent surtout leur besoin de liberté. "Je veux être libre dans mes mouvements, mes expressions. Je veux être libre sans avoir peur car, si tu me donnes ma liberté, je retrouverai ma valeur et mon honneur", rappe Lak3y dans une chanson au titre évocateur, "Besoin d'expression". Un besoin que Lak3y explique avec verve : "Je suis jeune, j'ai 24 ans, j'ai rien vécu de ma vie. Je veux voyager, mais je peux rien faire ici ! (...) On crève ici !"

Au besoin d'expression, Malek, d'Armada Bizerta, oppose "la culture de la peur" qui est "incrustée chez les Tunisiens". "On ne parle pas de politique dans les cafés", explique le jeune rappeur. Pas de politique dans les cafés, ni dans les chansons de son groupe. A l'instar du risque couru s'il dénonçait clairement le régime, le rappeur insiste dans un morceau : "Je ne suis pas contre le système mais je suis contre l'oppression."

Le rappeur a pourtant écrit une chanson pour réagir à l'immolation par le feu d'un jeune marchand de légumes le 17 décembre. Un épisode à l'origine du mouvement de contestation. Dans la chanson, intitulée "Music of the revolution", le groupe évoque en arabe "la mauvaise situation économique", "l'atmosphère électrique" et insuffle en anglais : "Mec, ne t'arrête pas, bats-toi pour tes droits. Ne t'arrête pas, et tu pourras voir la lumière." Pour Malek, ce défi a en partie été relevé par la population : "Le peuple tunisien a avancé, on peut parler, on a su gagner une part de liberté perdue."

Cette liberté conquise, criée par les rappeurs, reste pourtant sous surveillance. Lak3y, dont la page de fans sur Facebook et le profil Skyrock avaient été censurés il y a quelques mois, a reçu un nouvel avertissement récemment. "La police est venue me voir et ils m'ont dit : 'Es-tu assez courageux pour faire ça ? Fais gaffe à toi.'" Face à ces tentatives de museler sa liberté d'expression, il détaille avec vigueur son plan d'action : "Il faut que je rappe, et rappe, et rappe encore."


Flora Genoux

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je kiffe! merci Bou! bravo à Malek pour son courage... ils sont besoin de nous pour contourner la censure, nous le peuple des internautes... même si la révolution ne se fera pas devant la tv ou n'importe quel écran ;-), les réseaux internet doivent nous servir à contourner cette censure et les soutenir. Soyons sans crainte, les crises que nous traversons ne peuvent qu'être bénéfiques pour les changements, lorsque je vois noir, je relis ce message qu'un ami m'a envoyé, je trouve cette métaphore excellente pour illustrer ce qui arrive en ce moment..."tu as dû voir dans ta vie , des sacrifices de moutons, l'animal est égorgé, il cherche une respiration , gémit , puis un long moment bouge trés peu , jusqu'à ce qu'il sente son Ame sur le point de quitter son corps , alors il sursaute de toutes ses forces...voila ce qui arrive à ceux qui nous tyranise,... c'est juste le début des tremblements"