Que faire du concept de culture nationale ?

Quel usage pouvons-nous faire aujourd’hui du concept de culture nationale ? Que peut-il devenir, passé au crible des Postcolonial Studies ? Car si l’on admet avec Homi Bhabha que toute culture est hybride, si aucune n'est pure, que désigner dans l’emploi de ce terme, qui permette d’en valider l’usage commun, celui d’une totalité culturelle déterminée nationalement et qu’il serait possible à loisir non seulement de décrire, mais de discriminer et d’évaluer identitairement ?

L’énoncé «toute culture est hybride», balaie un espace intellectuel très vaste, entre la borne de l'hybridité et celle de l’identité. Et cet énoncé commande bien évidemment que l’on ne puisse rabattre son contenu ni sur l’une, ni sur l’autre des positions proposées. Si bien qu’il pourrait s’avérer inopérant, s’il n’ouvrait pour le coup à la seule interrogation intéressante, qui est celle de la question des opérations d'identification et de discrimination à l’œuvre au sein de ce que nous nommons culture. Question dont on aurait alors tôt fait de découvrir le vrai contexte d’énonciation : politique et non culturel.

La rhétorique des cultures, largement inefficace, rappelait le théoricien des cultures Stefan Nowotny lorsqu’il se penchait précisément sur cette problématique, largement inefficace donc dans sa confrontation aux culturalismes néo-racistes, ne l’est ainsi peut-être que parce que sous ce mot de culture, les opérations les plus louches sont menées. Dont celles qui, au cœur des constructions culturelles, relèvent de ces fameuses «négociation»s (le terme et le procès qu’il désigne relève de la problématique de l’hybridation construite par Bhabha), constitutives de toute démarche culturelle, orientant pour des raisons souvent extra-culturelles vers tel segment identitaire plutôt que tel autre, le tout selon une intentionnalité encore une fois plus politique que culturelle. Opérations qui ont pour effet de déguiser des mécanismes d’exclusion en choix culturels.

En fin de compte, le concept de "culture" semble bien ne plus pouvoir être compris que comme l'effet de pratiques discriminatoires, visant uniquement la production de différentiations culturelles «en tant que signe d'autorité» (Edith Butler). Sa seule fonction serait ainsi de «créer des marques de pouvoir, qui ne sont autre chose que les symptômes d'une société qui ne veut pas trouver d'issues politiques à ses problèmes», ainsi que l’affirmait Stefan Nowotny, dans sa communication faite sur ce sujet à l’université de Stuttgart, en 2002. Une communication que l’on pourrait relire aujourd’hui en l’élargissant, même si l’exercice pourra paraître grossier, au problème de la création artistique dans son ensemble, affirmant sous des discours d’apparence anodine -l’art du métier-, rien d’autre que la production de signes d’autorité renforçant culturellement un ordre politique qui conduit à l'exclusion juridique des non-citoyens de l'Etat-Nation - les émigrés par exemple, les Rroms, voire toute minorité «culturellement» disqualifiable…

Reste tout de même que si l’emploi du terme de culture est devenu non sans raison problématique, sa disqualification ne satisfait pas, quand bien même il s’apparenterait à ses termes fourre-tout dont le flou assure une rentabilité épistémologique indéniable. Mais peut-être au fond que cette problématisation récente, nécessaire, finira par ouvrir droit à une conception du fait culturel éloignée de ces signes d’autorité dont la culture contemporaine se montre par trop friande.

Joël Jégouzo

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