Le soutien des Etats-unis à Israel est-il rationnel?


Le soutien de Washington à Israël est bien rationnel. Il date de 1967, quand les Etats-Unis ont pris le relais de la France. Un conflit opposait à l’époque deux forces du monde arabe : le fondamentalisme musulman, que les Etats-Unis soutenaient, et le nationalisme laïque, considéré comme l’ennemi principal des puissances occidentales. En gros, l’Arabie saoudite contre Nasser. Or Israël a détruit le nationalisme laïque, soutenu et conforté le fondamentalisme musulman allié des Etats-Unis. Washington a appuyé militairement Israël ; l’Etat hébreu est devenu plus ou moins sacré, ce qui n’était pas le cas auparavant.

En 1970, autre cadeau important. Conformément aux souhaits des Etats-Unis et d’Israël, la Jordanie écrase la résistance palestinienne au cours de ce qu’on a appelé septembre noir. La Syrie avait fait savoir qu’elle pourrait intervenir pour défendre les Palestiniens. Or les Etats-Unis étaient encore embourbés dans le Sud-Est asiatique. Ils firent donc appel à Israël, lui demandant de mobiliser ses troupes pour empêcher la Syrie d’intervenir aux côtés des Palestiniens. La Syrie recula. Le royaume hachémite, allié des Etats-Unis, fut consolidé et l’Arabie saoudite aussi. L’aide américaine à Israël fut alors multipliée par quatre. Et tout continua de la sorte.

Le cadre stratégique américain, appelé « alliance périphérique », s’appuie sur des dirigeants arabes, des dictateurs, contrôlant leur pays et le pétrole. Ils doivent être protégés de leur propre population. Pour y parvenir, Washington recourt à une « périphérie de gendarme s », de préférence non arabes car plus performants quand il s’agit de tuer des Arabes. La périphérie était d’abord constituée par l’Iran, alors gouverné par le chah, la Turquie et le Pakistan. Au début des années 1970, Israël se joignit à ce groupe, devenant ainsi membre de la gendarmerie. Nixon les appelait les « flics en patrouille » (« cops on the beat »). Des commissaires locaux, un siège de la police à Washington : voilà la structure qui devait contrôler la région.

En 1979, le chah est renversé ; l’Iran est « perdu ». Le rôle d’Israël s’accroît à nouveau. A cette époque, l’Etat hébreu rendait divers services à travers le monde. Le Congrès américain empêchait le soutien direct de Washington à un terrorisme d’Etat au pouvoir au Guatemala, en Afrique du Sud et en d’autres endroits. Les Etats-Unis firent donc appel à un réseau de pays amis comprenant Taïwan, Israël, le Royaume-Uni (et probablement la France) pour faire le sale boulot, en quelque sorte.

Sur ce plan, Israël est très efficace. Société industrielle riche, dotée de techniques de pointe, d’une main-d’œuvre très qualifiée, l’Etat hébreu attire les investissements des entreprises américaines de haute technologie. Certaines industries militaires israéliennes ont noué des liens étroits avec les Etats-Unis, où elles ont transféré une partie de leur logistique ; les services de renseignement des deux pays travaillent en bonne intelligence depuis les années 1950. Pour l’industrie militaire américaine, Israël constitue une manne financière : lorsque les Etats-Unis dépensent des milliards de dollars par an pour aider Tel-Aviv, Lockheed Martin en empoche une partie. Et, quand cette entreprise vend des avions militaires du dernier cri à Israël, l’Arabie saoudite rapplique pour dire : « Nous aussi, nous en voulons. » Lockheed Martin vend alors des équipements de moindre qualité à l’Arabie saoudite, qui ne sait pas toujours s’en servir mais qui en achète des tonnes. Double bénéfice en somme.

Et qu’est-ce que les Palestiniens peuvent offrir aux Etats-Unis ? Ils sont faibles, dispersés, ne disposent d’aucune ressource et quasiment d’aucun appui dans le monde arabe. Les droits sont proportionnels au pouvoir. Israël est un pays puissant, cela lui confère des avantages ; donc il a des droits. Les Palestiniens sont faibles, n’ont aucun allié ; ils n’ont donc pas de droits. Soutenir les puissants dans son propre intérêt relève d’une politique parfaitement rationnelle. On peut objecter que le soutien apporté à Israël provoque des oppositions, des manifestations dans les pays arabes, mais cela n’a jamais été considéré comme un problème. Nous comptons sur les dictatures pour écraser les populations et nous leur fournissons les armes pour réaliser cet objectif. Vous pouvez faire valoir que ce n’est pas la bonne décision, mais vous ne pouvez pas dire qu’elle est irrationnelle. Elle est d’ailleurs en cohérence parfaite avec les politiques qui ont été menées ailleurs, en Amérique latine, dans le Sud-Est asiatique et dans d’autres parties du monde. Parfois, cela tourne mal, la planification impérialiste n’est pas parfaite.

Les choses sont un peu différentes aujourd’hui, non pas à cause d’Obama, mais parce qu’Israël a viré très à droite. Il y souffle un vent de paranoïa, d’ultranationalisme, d’hystérie, etc., qui contribue à banaliser les actes destructeurs, irrationnels. Or les Etats-Unis ont désormais des armées sur le terrain, en Irak, en Afghanistan. Elles sont mises en danger à cause de l’irrationalité des actions israéliennes. Le général David Petraeus vient d’alerter contre le risque que l’intransigeance israélienne fait peser sur les troupes américaines. On ne peut plus exclure un revirement de la politique américaine. Les Etats-Unis sont un pays très chauvin où quand quelqu’un s’avise de faire du mal à nos braves soldats, on est assez disposé à s’en débarrasser. Israël joue donc un jeu très dangereux.

Noam Chomsky

1 commentaire:

Anonyme a dit…

alors... quoi de 9? t'as pas un nouveau texte à mettre, je suis plus sur fb...