Des indépendances aux belges d’origine…et d’ascendance noires

2010, départ des jubilés des indépendances des territoires occupés par la Belgique. L’occasion de revenir sur l’histoire de la colonisation et ses prolongements dans l’histoire présente.

Bien sûr, la décolonisation officielle du Congo en 1960 suivie de celles du Burundi et du Rwanda en 1962 vont induire un certain nombre de changements. Des transformations majeures d’ordre institutionnel et de gestion puisque l’émergence des « jeunes » Etats indépendants va voir apparaître de nouveaux régimes. Le développement de nouveaux types de rapports allant de l’assistance technique à la coopération au développement. Des bifurcations de trajectoire tant pour les ressortissants des anciennes colonies – étudiants pour la plupart – présents sur le territoire belge que dans le chef des ex agents coloniaux. Autant de changements s’opérant sur fond de continuité. Des changements, pas des recommencements, gardant de fortes filiations avec les périodes précédentes.

Ces changements ont longtemps continué et continuent encore aujourd’hui à nourrir des rapports ambigus entre les différentes composantes de la société belge. Forçant à considérer qu’avec les indépendances survivent de fortes dépendances symboliques à la colonisation et une série de frustrations postcoloniales. Le jubilé des indépendances, moment à honorer. Mais dans quel sens?

Nous craignons de voir les célébrations des indépendances s’entourer de discours et de festivités officiels, aux caractères convenus et commémoratifs uniquement. Cela avec le danger de faire basculer l’Histoire dans un passé déconnecté de ce qui se passe aujourd’hui. Il semble, au contraire, indispensable de donner une épaisseur, voire des épaisseurs à la décolonisation qui est trop souvent présentée comme un point de rupture dans l’Histoire.

Il sera donc proposé d’évoquer les indépendances non pas dans un brouhaha mêlant tous azimuts commémorations d’événements historiques isolés et valorisation du folklore, mais en revenant sur les épaisseurs tant spatiale que temporelle qui font de la (dé)colonisation un sujet toujours actuel. Ce qui nécessitera sûrement de briser toute une série de non-dits pesant lourdement sur le passé-présent colonial et d’aller fouiner dans des savoirs et connaissances occultés ou, à tout le moins, négligés.

Épaissir ce point de l’Histoire reviendra notamment à voir comment celui-ci déborde dans le passé autant que dans le présent. C’est-à-dire, appréhender les indépendances comme un processus, en substituant à l’Histoire polarisée colonisation/décolonisation une histoire en dents de scie où les événements cruciaux sont plus nombreux, plus divers et plus étalés dans le temps que ne le laisse entendre l’Histoire officielle.

À travers quatre rencontres, nous souhaitons mettre en perspective une pluralité de récits abordant, chacun à leur manière, différentes questions tournant autour du "passé-présent" colonial: des récits contemporains autant que des récits d’époque relatant des événements historiques occultés par l’Histoire officielle mais aussi des vécus personnels.

Activités

Organisation de quatre rencontres d’échanges et de réflexions autour d’une série de questionnements aux contours plus ou moins déjà définis (voir ci-dessous). L’idée étant de restituer ces échanges en tant que production d’idées, de sentis et de ressentis capables d’interpréter l’expérience de la (dé)colonisation. Sont invitées à participer à ces rencontres des personnes dont l’expérience (de recherche, artistique, de vie associative, de migration …) a permis de forger des lignes de réflexion ou d’action autour de ces questions. Sont également invitées à participer à ces rencontres toutes les personnes se sentant concernées/intéressées.

Les discussions se dérouleront sous formes d’échanges spontanés en partant des expériences, des trajectoires de vie comme point d’appui. Un ou deux animateurs veilleront à relever les mouvements, les formes et les points forts des réflexions qui animeront les rencontres.

Pratiquement

Les rencontres auront lieu à l’espace Matongé durant les mois de mai et juin (les dates doivent encore être précisées). Les modalités de la restitution sont encore à réfléchir et à définir (probable utilisation de la vidéo, affichage d’extrait de discussion, …).

Synopsis des quatre rencontres

"Afroeuropéanité" ?

Poser abruptement la question de l’"afroeuropéanité". Notion qui revêt peu d’intérêt, mais qui ouvre des brèches, des questions. Notamment sur ce qu’on pourrait appeler très mal aisément, dans un premier temps, des appartenances mixtes (la pertinence du niveau européen ? le passage par la référence au terme afro ? …). Aujourd’hui, tapez "afroeuropéanité" sur un moteur de recherche Internet et vous trouvez des tas de conseils cosmétiques sur les produits de beauté occidentaux qui existent étant donnés les soins que nécessitent la peau, les cheveux de type africain.

Comment une réalité ‘noire américaine’ a réussi à émerger ? Voilà une histoire plus intéressante. Des histoires, plutôt, avec des luttes sensiblement différentes sur les visions entre Dubois et Booker Washington, Malcom X et M. Luther King.

Mise en place d’organisations communautaires, processus d’affirmation, luttes pour la reconnaissance de la contribution à l’Histoire d’une nation, ….Finalement, toutes des batailles menées depuis des positions minoritaires sur un territoire pour éviter à tout prix assignation, assimilation, oppression.

Mixité, fusion, production. Les mélanges d’origines sont des réalités de fait ET des attitudes. Il y a de la marge entre les tentatives du ‘faire comme’ (‘les évolués’ du Congo belge), l’identité par simple addition d’origine et de nationalité (franco-sénégalais par exemple) ou encore la mise en valeur d’origines en mosaïque (à la Tiger Wood se définissant comme "Cablinasian").

Mais ce sont aussi des mouvements très lents de formation et de transformation comme ceux qu’on sent dans toute l’histoire du jazz. Des styles ou des modes d’existence qui se construisent dans et par les positions minoritaires qu’ils occupent mais en suivant des voies obliques, pas celles qui sont attendues. "Afroaméricanité" comporte alors toutes l’histoire des rapports de race mais rejouée.

Colonisation et histoires de migration

Peu de savoir circule sur l’histoire des migrations africaines noires en Belgique. A part quelques rares travaux sur les migrations congolaises, rien sur les migrations directement coloniales et postcoloniales. De fait, qu’il s’agisse de savoirs universitaires ou ordinaires, la production est pauvre. Comme si, même dans les familles concernées, on ne relayait pas les récits des prédécesseurs qui déjà à leur manière façonnaient l’économie des échanges entre noirs et blancs. Que fut la carrière des étudiants africains arrivés en Belgique entre les années ’60 et ’70 pour obtenir un diplôme universitaire ? Comment se positionne (politiquement, socialement, …), la génération ‘mulâtre’ du Congo belge éduquée dans des pensionnats ? Depuis quelles années peut-on parler d'une ou d'une pluralité de communautés noires en Belgique ? Que sont devenus les soldats congolais après avoir combattus lors des deux guerres mondiales ?

Sans doute, les réponses comptent moins que le rapprochement de ces questions (et beaucoup d’autres) autour d’un même spectre, un même esprit.

Reconnaître les rapports basiques qui font qu’entre situations migratoires différentes il y a des liens, parfois très forts. Rapports basiques de similitude, d’évocation, de concurrence, de force ou encore de filiation.

Bref, donner de la perspective aux présences noires en Belgique. Ne pas mutiler les histoires de trajectoire. Rétablir les rapports : entre vagues migratoires, entre générations, entre émigration et immigration, entre société d’accueil et société d’origine et, également, entre migration d'Afrique noire vers la Belgique et migration belge vers l'Afrique noire.

Mémoires et histoires coloniales

Parlons colonisation. Parlons mémoires collectives. Depuis quelques années, on observe comme un basculement progressif d’une histoire coloniale (les hauts-faits de la métropole) à une histoire de la colonisation (les relations colonisateurs-colonisés). À l’origine, plusieurs événements déterminants : l’enquête parlementaire sur la mort de Lumumba, la commission d’enquête parlementaire sur l’implication de la Belgique dans le génocide rwandais, la transformation du musée de Tervuren, … Tous des moments forts, comme un seul et même mouvement.

Mais en Belgique, la construction des mémoires se fait plutôt tous azimuts avec nuances ou excès. Sans débats centralisés comme en France mais avec des gros antagonismes. Les anciens coloniaux, dans l’ombre mais très actifs, alimentant un sentiment nostalgique. Les postures critiques et accusatrices d’Adam Hochschild et de Peter Bate (entre autres). Les travaux très fouillés d’historiens belges et congolais (histoires léopoldienne, de la gestion coloniale, des mentalités, …) dont l’audience reste fort limitées.

Entre ces différents courants parfois houleux, les mémoires doivent se frayer un chemin. Pas facile d’autant que le rôle de l’enseignement officiel et des médias est pauvre. Ce n’est rien sinon que l’analyse critique reste l’affaire quasi de tous les jours.

Au-delà de ces lignes de fragmentation, certaines visions se perpétuent sans cesse, indémontables. La vision d’une rupture quasi radicale venant avec l’indépendance. La vision d'une relation belgo-congolaise exclusive n’interpellant jamais aucun autre intervenant de l'histoire (post)coloniale. La vision d'une (dé)colonisation événementielle où rien de déterminant ni de crucial ne se passe en dehors de la chronologie politique de l'histoire officielle.

Des visions figées, comme s'il n'y avait pas moyen de décoloniser l'histoire de la colonisation. La faire passer dans une histoire-monde, celle des colonisations ou dans des histoires très, localisées impliquant aussi les trajectoires de vie.

Partenariat

Constat : depuis bon nombre d’années, différentes associations africaines subsahariennes se donnent des missions voulant répondre à des réalités que rencontre le continent africain (pauvreté endémique, accès aux soins et à l’éducation, maladies, enfants soldats, excision, problèmes sanitaires, …). Et pourtant force est de constater que ni leur mission ni les actions qui en découlent ne sont reconnues ou ne trouvent écho auprès des publics susceptibles d’être concernés (pouvoirs subsidiant, générations issues de ces migrations, la société civile, …).

Si certaines de ces structures associatives bénéficient bien d’aides publiques, il semblerait toutefois que le mode d’organisation de ces structures ne correspond pas aux standards exigés. En tout cas, pas suffisamment pour accéder à certains fonds propres aux institutions liées à la coopération et au développement.

Par ailleurs, on pourrait également s’étonner de l’absence de débats publics portant sur les formes diverses et possibles que la coopération au développement pourrait prendre, les types d’acteurs susceptibles d’y participer, …Il semblerait que les discussions sur les définitions à donner à la coopération se font par le haut, en aparté.

Au-delà des questions que pose l’aide publique à la coopération, se pose aussi la question du rôle des associations africaines subsahariennes au sein même de leur pays d’accueil. Leur rôle en tant qu’acteur susceptible de concevoir le ‘développement’ ici. Mais celles-ci semblent essentiellement tournées vers l’extérieur. Comme s’il était évident et attendu de s’investir d’abord là-bas avant de s’investir ici. Plane en effet dans l’air des injonctions de rétrocession (dette morale) se transmettant de générations en générations. On peut se demander si ces messages diffus n’empêchent pas l’établissement d’assises dans le pays d’accueil. Assises qui permettraient par ailleurs d’infléchir l’orientation à donner aux politiques de développement. Mais on en est loin…. vu les lacunes en termes de débats publics qui prendraient en compte les voix et les compétences des populations migrantes sur les questions d’aides au développement.

Collectif Présences Noires

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