Des analogies et de leurs limites

« Le problème de l’islam comme force politique est un problème essentiel pour notre époque et pour les années qui vont venir. La première condition pour l’aborder avec tant soit peu d’intelligence, c’est de ne pas commencer par y mettre de la haine. » (Michel Foucault).

En novembre 2007, jeune résident à Beyrouth, j’eus l’occasion d’assister à un concert du chanteur Sami Hawwat, un proche du Parti communiste libanais (PCL). Le public regroupait deux générations « de gauche » : celle qui avait fait ses premières armes en 1968, et avait survécu à la guerre civile libanaise ; celle, plus jeune, née dans cette même guerre civile, mais qui apprenait elle la politique dans un cadre post-guerre civile. C’est bien cette deuxième génération militante estampillée PCL qui descendait sur la scène pour danser. Dans les gradins, nous fûmes plusieurs à remarquer une jeune fille voilée, elle-même menant la fameuse danse traditionnelle que l’on trouve au Liban et au Moyen-Orient, la « Dabkeh ». Il y avait là quelque chose de singulier, puisque la norme convenue n’y était pas : pour les intégristes islamiques les plus durs, une fille ne danse pas, qui plus est si elle porte le voile. Un regard « occidental » et « orientaliste » pouvait s’en trouver aussi bien déstabilisé, puisque là-aussi, danse, libération du corps, mixité et voile ne devraient théoriquement pas se marier. « Trouble dans le genre », donc.
En janvier 2008, j’assistais au camp de Chatila, à la lisière de la banlieue sud de Beyrouth, aux funérailles symboliques de Georges Habache. Leader historique de la gauche palestinienne et du Front populaire pour a libération de la Palestine (FPLP), Georges Habache, surnommé « al Hakim », était décédé des suites d’une longue maladie à Amman, en Jordanie. Au camp de Chatila, tout comme dans l’ensemble des camps de réfugiés palestiniens du Moyen-Orient, un cercueil vide fut porté dans les ruelles étroites. Cet enterrement symbolique du symbole de la gauche palestinienne donnait à voir là-aussi quelque chose de singulier : les vieilles femmes voilées du camp entourait le cercueil en scandant de manière répétée « la ilaha illallah, al-Hakim Habib Allah » (Il n’y a de Dieu que Dieu, al-Hakim est l’aimé de Dieu). Le marxiste de confession grec-orthodoxe qu’était Georges Habache se voyait donc gratifié d’un dernier hommage en mode musulmane traditionnelle.
Ces « scènes de vie » et anecdotes, quotidiennes ou pas, ont leur intérêt lorsqu’on les réinscrit dans un débat plus purement français. De la loi sur le voile à « l’affaire Ilham », médias, commentateurs politiques et pourquoi pas militants de gauche et d’extrême-gauche, subitement tous devenus spécialistes de l’islam et des mondes musulmans, semblent toujours
vouloir comparer le « voile d’Ilham », ou le « voile d’Alma et Lila » (les deux jeunes filles renvoyés d’un Lycée d’Aubervilliers en 2003) aux « voiles » de Casablanca, Gaza ou Téhéran. Or, deux problèmes subsistent ans cette démarche analogique et comparative.
Premièrement, renvoyer le « voile » d’un pays à un autre, qui tous vivent des contextes politiques, historiques et sociaux différents affaiblit l’analyse et construit une sorte « d’universel musulman » désincarné. Deuxièmement, ces analogies faisant du voile un signe universel désincarné méconnaissent en général les dynamiques internes des pays qu’elles citent. Or, il s’avère que ces sociétés et ces espaces avec lesquels on pratique l’analogie sont plus complexes.
En Turquie, depuis les années 1990, de jeunes femmes membres du Parti islamique AKP remettent en cause le pouvoir masculin au sein de leur organisation, et contestent le rôle traditionnel attribué aux femmes par les vieux cadres du mouvement ; au Maroc, un champ politique marqué par des représentants politiques, de la gauche à la droite, exclusivement masculins, s’est retrouvé bousculé depuis une dizaine d’année par la figure féminine et islamique d’une Nadia Yacine, « républicaine » affirmée contestant tout à la fois la monarchie et le pouvoir patriarcal… au nom de l’islam.
En novembre 2007, Mohammad Hussein Fadllalah, principale autorité religieuse de la communauté chiite au Liban, publie une Fatwa ne condamnant pas seulement la violence faite aux femmes, mais justifiant religieusement le droit des femmes à se défendre par la force et « l’auto-défense » contre la violence masculine.
Ces exemples sont rarement cités en occident : c’est le voile du silence orientaliste. L’émergence d’une « affirmation féministe » chez de jeunes musulmanes politisées des nords et des suds n’est plus un phénomène marginal, d’où les débats sur le « féminisme islamique ». Au moins faudrait il entendre et laisser parler ces voix subalternes qui inscrivent aujourd’hui leurs pratiques féminines (et féministes ?) dans un cadre de référence pour parti islamique. Et parfois même anticapitaliste. Et donc : laisser parler Ilham (Moussaïd).
Nicolas X membre de la Commission Moyen-Orient Palestine (NPA)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà pourquoi je ne voterai pas NPA.
Combien d'entre les lecteurs de ce blog connaissent Avignon ? Pas Avignon des remparts ou du festival, non non plutôt celui des quartiers,où il ne fait pas bon être une femme, ni même une petite fille. Là bas tout est "hlam ?", croquer des bonbons ou manger durant le ramadan quand on a 9 ans. Et les mecs paradent en tenue de prière, et vous lorgnent d'un mauvais oeil si vous êtes habillée trop près "du corps" lorsque vous n'êtes pas blonde et blanche. La révolution ce n'est pas une femme voilée sur une liste, c'est la concorde entre croyants et non croyants.
La seule image qui vaut la peine d'être vue est la dernière.

Bilboquet a dit…

Et avec une aussi belle maitrise de l'arabe et ce flot de lieux communs, j'ai bien l'impression que vous êtes "blonde et blanche"... (lol) "La révolution ce n'est pas une femme voilée sur une liste, c'est la concorde entre croyants et non croyants".
Ce qui est sûr c'est que la révolution ne passera pas par vous, car de la concorde chez vous il n'y en a point !