Appréhendé de l'extérieur à la sacro-sainte France, le «débat» sur la dite «identité nationale» se révèle stérile, nauséeux, infâme... bête. Nous ne crierons pas au scandale, non. L’atmosphère irrespirable que déploient les subjectivités sarkozyennes ne demande que cela, droguées qu’elles sont aux totalités imaginaires, aveugles à force de ne pas fermer les paupières.
Toutefois, je voudrais ici, sereinement, crier notre incompréhension voire notre exaspération, notre répulsion voire notre dégoût, notre tristesse finalement, par rapport à ce qui se passe… ou plutôt ne se passe pas et ne passe pas dans ce qu’il se passe. Tonalité affective douloureuse qui peut cependant se transformer en joie, en désir de créer de l’ intelligence collective qui renverrait à son innocuité méritée de telles absences de pensée. Nos propres défauts de pensée. Et ce, même et surtout parce que, comme disait G.Deleuze, «la bêtise a toujours raison».
Le mot de «débat» est déjà en lui-même biaisé, dès le départ. Nous nous devons de l’affirmer haut et fort.
Celui-ci pose en effet un voile sur les contextes (économiques, sociaux, psychiques, étho-écologiques,... plutôt misérables) qui le déterminent relativement. Chape de plomb oblitérant les ressorts qui font (ré)agir les initiateurs, leurs pulsions de maîtrise, leur absence d'intelligence (non pas au sens moral mais au sens étymologique- interlegere: interrelier), leur peste émotionnelle, leur bassesse, leur absence d'attention. Et ce, sous prétexte de se «décomplexer», d' «écouter le peuple».
Le peuple? Lequel? Les légitimations populistes, sont foncièrement ambigües, à plusieurs tranchants. En l’état, nous sommes face à des gouvernants ventriloques, attribuant leurs seuls choix à la fiction pseudo-statistique d'une «opinion publique».
Décomplexée, oui cette droite populiste le devient, en biffant d'un droit trait la complexité du monde, précisément, la puissance de rétention d'où naît la prise en considération commune des nombreuses questions enchevêtrées, passionnantes et dangereuses, qu'il nous incombe de poser urgemment. Ce droit trait est une ligne molle, faisant appel au «bon sens», à la «laïcité», à la «République», cette tiédeur abstractive, usant de concepts gros comme des dents creuses, niant le politique.
En annihilant toute forme de retenue pulsionnelle qui permet de poser les problèmes dans leur complexité, en utilisant de vulgaire mots d’ordre supposés consensuels, cette atmosphère devient de plus en plus asphyxiante. Nous? Oui, même les petits blancs, occidentaux, adultes, mâles. Majoritaires nous suffoquons dans leur sphère immunitaire-sécuritaire. Qu'est ce que cela doit être pour ceux qui dévient de l'Etalon!
En appeler au mot d'ordre du «pétainisme transcendantal» (cf. A.Badiou), à une forme de néofascisme leur rendrait la tâche trop aisée. L'accusation de «Fascisme» est beaucoup trop usitée dans certains milieux, et son inflation contribue à en atténuer la possible force explicative. Utilisée en tant que «microfascisme», moléculaire, comme Deleuze et Guattari, cette appellation serait néanmoins éminemment efficace pour décrire ce processus que je n'hésiterais pas à qualifier de «barbare». Une barbarie d'autant plus effective qu'elle se drape des oripeaux de la civilisation.
Le fragile verni de civilisation est dénié par les tenants de La Civilisation qui ne voit les pulsions de mort que chez ces soi-disant ennemis en les déniant chez eux-mêmes. Pauvre Edgar Morin.
Les tenants réactifs de grandes paroles sur «la civilisation» tiennent en réalité un discours extrêmement pervers qui consiste à récupérer, à détourner pour des motifs immuno-sécuritaires, la nécessité authentique devant laquelle nous sommes aujourd’hui de faire attention, dans un monde en pleine mutation.
Non, nous ne crierons pas au fascisme car, en un sens, ce qui se passe est beaucoup plus grave et difficile à diagnostiquer. Avez-vous vu l'affligeant clip des jeunesses populaires UMP? Celui-ci révèle, si cela était encore nécessaire, combien nous avons changé d'époque, résolument. Les politiciens dont devenus cools, dansants, colorés, pop'ositif, festifs, récréatiques, dégoulinants de bonnes intentions, édulcorés, allégés... décomplexés. Ils veulent «changer le monde», le poing levé.
La droite est devenue «révolutionnaire». Le capitalisme l’a toujours été.
La droite populiste: vitrine de magasin polie et policée tentant à coup d’effets d’annonce et de spots publicitaires de faire oublier l'arrière-boutique, plus ou moins délocalisée.
Leur ressentiment confus face aux immenses problèmes que recèle notre époque, mis en forme sans aspérité, sourit...
Tout va bien, disent-ils. N'est-ce pas les réactionnaires?! Toute mise en scène des conflits, du polemos qui devrait être le coeur vibrant de la démocratie, se voit taxée par eux d'archaïque ou de manichéenne.
Plutôt que de crier au scandale, en se drapant des oripeaux d’une gauche trop bien-pensante, il s'agit bien plutôt de dramatiser la question: où, quand, comment, pourquoi, qui, d'où, vers qui, vers quoi etc. En évitant autant que faire se peut les catégories morales, dont la gauche politicienne est si friande. Difficile à dire, mais ce débat aux relents nauséabonds est avant tout un symptôme de la faiblesse projective de la gauche de gouvernement, de l’absence de visée à long terme, d’incapacité à prendre à bras le corps les problématiques. Entre torpeur et cynisme, jusqu'à l'inévitable retour de bâton réactionnaire.
Nous qui nous sentons encore de gauche malgré tout, nous croyions en avoir fini avec le concept d'«Identité»... nous avions eu tort. La gauche politicienne se sépare à cet égard entre deux camps qui s’alimentent l’un l’autre. Mais, pourquoi plutôt que de se diviser entre les «belles âmes» qui crient au scandale et ceux qui «comprennent la nécessité du débat», n’élaborent-ils pas un discours cohérent qui, dans un même mouvement, accueillerait d’abord la réelle crainte d’une certaine population exophobique dans un monde en perpétuel mouvement, et enverrait cependant le débat ailleurs, radicalement ?
Ni faire la blanche colombe par rapport aux choses graves qui sont en train de se passer, ni «participer» de manière servile à un soi-disant débat dont les termes furent déterminés par une infime minorité. Les termes du débat importent. Ils conditionnent absolument les positions qui s’affirmeront à partir celui-ci.
Pourquoi, par exemple, ne pas substituer au concept d’«identité», bien trop exclusif, fermé et restreint, le concept de «singularité» ou de «processus d’identification»: mots ouverts, tendus vers l’avenir, nécessitant la pensée et l’action à même le monde contemporain, informé de son passé etc? (Vous rétorquez que ce sont des mots barbares? Pas moins que celui d’«Identité» et de «Nation»)
Aucune création ne naît de rien. «LaFrance», indéfinissable et infinie, grâce à ses nombreux apports, dispose de ressources extraordinaires.
Oui, problématisons ce que peuvent être les composants hétérogènes participant à la singularité de la France et ce qu’elle peut devenir si nous oeuvrons ensemble. Un «ensemble» qui ne soit ni la fusion, ni le face à face -ni le nous, ni le vous- au profit de ce qui se passe entre les êtres humains sur ce territoire France. Qu’est-ce qui pourrait rassembler chacun, en tant que singularité, dans un monde commun toujours à construire, autour de projets ambitieux? Lesquels projets offriraient un plan à partir duquel les différents acteurs, peu importe leur provenance et leur religion, pourraient travailler ensemble dans un mouvement qualitatif: tension permanente entre passé et avenir, dans le devenir présent d’une mémoire active?
Cette droite veut battre à la course le train de la mondialisation en se recroquevillant sur le vélo France, comme le Surmâle de A.Jarry, mort depuis longtemps mais continuant sur sa folle lancée.Cette France ubuesque, autophagique, nous désole.
Mais nous ne nous apitoierons pas… Nous ferons en sorte que de telles humiliations nous agissent, deviennent motrices d'autres modes d'existences, moins squelettiques et frileux.
On voudrait nous cantonner à l'opposition entre identité dissoute d'une mondialité anomique et l'identité agressive et monovalente des particularismes égoïstes?
Hé bien, nous affirmerons une infinité de manière d’exister. Celles qui éviteront autant l'uniformisation capitaliste et étatique que les nationalismes identitaires monolithiques qu'elle suscite en réaction:
Comme disait Félix Guattari, nous avons tous, quelque part, à devenir immigrés. C’est-à-dire à construire, à partir d’«identités» disparates et hétérogènes, ce qui fera la singularité d’un territoire, en perpétuel échange avec son dehors, d’où ce dernier émane aussi pour s’affirmer légitimement en tant que force active.
Ainsi, peut-être, nous commencerons à poser les problèmes, par le milieu, à même le milieu. Nous le pouvons, nous le devons, urgemment… parce que nous aimons non pas «La France», mais bien les virtualités que pourraient bien charrier ce nom propre. Nous sommes habités par ce que cette consistance «France» (en rapport avec l’Europe, le Monde, traversés par tant de flux, construite par tellement d’apports,…), peut devenir si nous oeuvrons en commun, si nous l’alimentons d’affects tendus vers l’à-venir, connectée avec une multitude de dimensions enchevêtrées.
Ce pseudo débat est un cache-misère. Celle, d’abord, de notre propre aphasie…
Emmanuel de Ruz
1 commentaire:
Contact:
http://intercession.over-blog.org/
Merci au bougnoulosophe
Enregistrer un commentaire