Des clochers en "Pays musulman" : le cas de l'Algérie

En Algérie, alors que la population musulmane était sept fois supérieure à celle venue d'Europe, on comptait, il y a à peine une cinquantaine d'années, plus d'églises que de mosquées. Aujourd'hui, en France, les choses n'ont pas beaucoup évolué. Au moment où le premier ministre, M. François Fillon, indiquait, lors du colloque "Qu'est-ce qu'être français ?", organisé dernièrement par l'Institut Montaigne, qu'il préférait "les mosquées ouvertes aux caves obscures", force est de constater qu'il n'existe, pour la pratique de l'islam, que deux mille lieux de culte sur le territoire français. Ce chiffre, auquel il faut ajouter une poignée de minarets, est dérisoire par rapport aux cinq millions de musulmans qui y vivent.

A l'époque de la colonisation, qui dura cent trente-deux ans, la plupart des villages et des communes possédaient une église, en vraie pierre, avec un parvis et un autel de belle facture. A Oran où je suis né, j'ai toujours entendu sonner librement les cloches. Le décorum était souvent fastueux. Dominant la ville, la chapelle de Santa-Cruz est toujours là, sur la colline du Murdjadjo. Elle fut édifiée, tout près du fort espagnol, en hommage à la Vierge qui, en 1849, sauva Oran, dit la légende, de la sécheresse et du choléra. En souvenir du roi Saint-Louis mort, lui, de la peste à Tunis, une cathédrale portant son nom fut, dix ans plus tôt, construite dans le quartier de la Marine. Derrière l'ancienne Maison du Colon, que Camus comparait à une énorme pâtisserie, il y a aussi celle de style néo-byzantin avec ses grandes arches et ses orgues fabriqués à Lyon. En face, brillant de mille feux devant mes yeux d'enfant, se dressait la statue équestre de Jeanne d'Arc, brandissant une épée dorée à l'or fin qui fut volée en 2000 à Caen où elle avait été transférée.

Traversant la Méditerranée, le cardinal Lavigerie placera la conquête de l'Algérie sous le signe du sabre et du goupillon. II fonda notamment, en 1868, la Société des missionnaires d'Afrique chargée, avec l'aide des Pères blancs et des Sœurs blanches, d'évangéliser ceux qu'on appelait les indigènes. Inhumé à Carthage, il fut l'un des quatre cardinaux formés, à Paris, au petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Francisco Jiménez de Cisneros, un autre cardinal, celui-là espagnol, prit Oran, qui restera catholique durant deux siècles et demi. Un été, dans la province de Madrid, je visitais, à Alcalà de Henares, la maison natale de Miguel de Cervantès de Saavedra qui séjourna au fort de Santa-Cruz. Je vis aussi les grosses cloches de l'université fondée par le cardinal. Elles furent fabriquées à partir des canons ramenés à Alcalà après le départ définitif des troupes ibériques, suite à un violent tremblement de terre qui ravagea la ville, en 1790.

Chaque dimanche, j'attendais avec impatience la séance de cinéma qui avait lieu au patronage de Maraval où j'habitais. Un jour, étant sans le sou, l'une des sœurs m'avait demandé, si je voulais voir le film, d'assister à la messe. Ce que je fis en toute innocence, ému par la cérémonie qui se déroulait devant mes yeux, avec ses cierges qui coulaient abondamment alors que ma mère faisait des économies de bougie pour éclairer la pièce où nous vivions à cinq. Cette pièce, où elle faisait la cuisine et lavait le linge, était un peu plus grande que celle qui servait d'école coranique à une poignée de gamins dont j'étais. Nous avions un maître qui ne semblait pas très bien connaître le Coran.

Il m'arrivait aussi d'aller au Don Bosco, le patronage d'Eckmülh pour voir les matches de handball de la fameuse équipe des Spartiates parrainée par les curés. Un coin de la cour abritait, comme celui de Maraval, une crèche richement décorée. De l'autre côté de la rue se trouvait le grand séminaire qui a accueilli des dizaines de futurs prêtres. Ici aussi, nous avions droit à une sortie à la plage, à un goûter et, une fois encore, à un film, pour entendre, entre autres, Joselito, "l'enfant à la voix d'or", une gloire du 7e art franquiste tout à sa célébration du Caudillo et du Christ-roi.

Pour rester encore dans cette enfance coloniale, je me souviens que la première fille que j'ai aimée, j'avais huit ou neuf ans, se prénommait Madeleine. Le jour de sa communion, j'avais guetté sa sortie de l'église et je l'ai trouvée encore plus belle.

J'ai souvent résidé en Bigorre, particulièrement à Lourdes, qui reçoit, chaque année, six millions de pèlerins, soit presque trois fois plus qu'à La Mecque. J'ai visité la maison natale de Bernadette Soubirous pour laquelle j'éprouve de la tendresse et la grotte de Massabielle où j'ai salué la Vierge Marie, le seul prénom féminin cité dans le Coran. J'ai assisté à plusieurs processions, vu des membres du Don Bosco d'Eckmülh défiler avec leur bannière bleue et jaune. J'ai écris, entre autres, sur le porc noir et sur le cri du cochon, un concours international qui se tient, près de Tarbes, à Trie-sur-Baïse.

J'ai pénétré dans des dizaines d'églises, de cathédrales, d'abbayes et de basiliques. Musulman non pratiquant comme la majorité de ceux qui vivent en France, je n'ai jamais ressenti devant elles de la crainte ou la peur de perdre mon âme.

J'ai visité aussi de nombreux cimetières, comme celui où repose Albert Camus. Camus, dont on veut transférer la dépouille au Panthéon, trouvait les cimetières arabes simples, beaux et tranquilles. A Lourmarin, sa tombe ressemble à celles des miens.

J'ai vécu ainsi dans un environnement où la place de l'Eglise était importante. Les processions de l'Ascension, les baptêmes, le Noël fêté à l'école se succédaient régulièrement, dans un rituel immuable. Pour nous, les moments privilégiés étaient le ramadan et l'Aïd el-Kébir, hélas, plus connu, aujourd'hui, à cause de la polémique sur l'abattage du mouton.

Durant ces longues années, rien n'était fait pour encourager vraiment l'islam ou instruire, d'une façon large et conséquente, les autochtones dans la langue française. L'enseignement de l'arabe et du berbère était quasiment inexistant. A l'école, où on apprenait que nos ancêtres étaient des Gaulois, j'ai chanté la Marseillaise. Enfants de pauvres, nous n'étions pas nombreux sur les bancs. Il y a à peine cinquante ans, à la veille de l'indépendance, il y avait plus de 90 % d'analphabètes en Algérie. Ce qui ne pouvait que favoriser l'ignorance, les manipulations, les ressentiments et, plus tard, l'intégrisme. C'est pourquoi je me méfie de tous les ayatollahs laïques ou religieux de tous bords, barbus ou rasés de frais, en costume ou en kamiss qui jouent avec des allumettes ou des briquets en or.

En racontant cela, dans mes livres ou dans cette tribune, je ne cherche nullement à me délivrer un certificat de baptême ou un brevet de bonne conduite envers toutes les religions que je respecte. Je voudrais seulement rappeler ce qu'était, sous la colonisation, la vie d'un enfant, coupé de ses racines, et qui aimait le cinéma, la petite Madeleine et la langue française.

Djemaï Abdelkader

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ceci dit il me semble qu'Oran était la seule ville ou le nombre de colons était supérieur à celui des indigènes. Alors rien de plus naturel que de tomber amoureux de la petite Mado...
Finalement c'était sympa la colonisation.

Vendredi a dit…

On en reprendrait... D'ailleurs, on (nous, les "indigènes") est venu vous faire gouter à ces joies là, comme on dit chez François de souche...

gilgamesch a dit…

Bonsoir
Faites un effort, il y a de belles photos de la cathédrale d'Oran, aujourd'hui elle est la plus grande bibliothèque, avec peu de livres, on y étouffe, ce n'est pas la bib d'Alexandrie bien sûr, j'aurais bien réquisitionné le grand hôtel qui nargue les Oranais et où la tchitchi oranaise se trémoussent et en faire un lieu de savoir et de drague...dommage je ne connais aucun général ni fille de général assez cultivé pour marcher dans mon envie...le texte de Kader.D est pas mal, il faut pas déconner les mecs, comme lui, j'ai toute mon enfance et ma jeunesse j'ai entendu les cloches sonner, durant 18 ans...je crois mêm qu'il m'a volé cette phrase que j'ai publié dans mon blog le 2/12...
bien à vous