Eric Besson a donc demandé aux préfets, y compris ceux de l’Outre-mer, d’organiser ce qu’il appelle « le Grand Débat sur l’Identité Nationale ». Toutes sortes de critiques ont aussitôt fusé de part et d’autre de l’échiquier politique : « diversion à la veille des élections régionales », « néo-pétainisme », « volonté de reconquérir un électorat de Droite déboussolé par les récentes « affaires » Frédéric Mitterand et Jean Sarkozy etc…En fait, l’exemple des Antillais suffit à lui tout seul à démontrer l’inanité d’un tel débat et à réduire à néant les propositions de l’ancien socialiste, devenu ministre des expulsions d’immigrés. Ecoutons, en effet, un passage-clef de sa proposition : « Mettre en place un contrat avec la Nation, passant par un entretien d’assimilation permettant de s’assurer un meilleur niveau de pratique de la langue française et des connaissances des valeurs de la république »
Décortiquons cette proposition de vue antillais et commençons par « le contrat avec la Nation ». Les Antilles appartiennent à la France depuis 1635 c’est-à-dire bientôt quatre siècles, avant donc la Savoie, le comté de Nice ou encore la Corse (et bien sûr avant la Hongrie ou l’Arménie, soit dit en plaisantant). Pendant deux siècles et demi y a sévi un système ignoble fondé sur l’exploitation d’esclaves noirs par des maîtres blancs. Le « commerce triangulaire » et le sucre de canne, on le sait, ont fortement contribué au XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècle, à enrichir la France, lui permettant de devenir l’une des premières puissances mondiales. L’esclavage aboli en 1848, de simples bêtes de somme qu’ils étaient, les Antillais sont devenus des citoyens français, juridiquement du moins. Aussitôt ceux-ci n’ont eu de cesse de payer ce que leurs élites appelèrent « l’impôt du sang ». Autrement dit de prouver leur adhésion à la Nation française et la reconnaissance éternelle qu’ils vouaient à cette dernière en montant au front chaque fois qu’éclatait une guerre. Et cela même quand ils n’étaient pas mobilisables comme lors de la guerre du Mexique de Napoléon III (1862) où « des volontaires » profitèrent de l’escale de la flotte française à Fort-de-France pour se faire enrôler ou lors de la première guerre mondiale dans laquelle s’illustra le fameux « bataillon créole ». Après, il y a eu la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle près de 8.000 Antillais quittèrent clandestinement la Martinique et la Guadeloupe, alors dirigées par des gouverneurs pétainistes, pour rejoindre, à partir des îles anglaises voisines les, F.F.L. et le général De Gaulle. Puis, il y eut la guerre d’Indochine, d’Algérie, le Tchad et plus tard, l’Afghanistan. Jamais les Antillais n’ont manqué à l’appel de la Nation, pour employer une expression convenue. Jamais ils n’ont hésité à verser leur sang. Les Antilles sont couvertes de monuments aux morts de toutes ces guerres. Autrement dit -et pour en revenir à E. Besson - elles ont passé un contrat avec la Nation » et quel contrat ! Celui du sang. Or, qu’ont-elles gagné en retour ? Est-ce que le demi-million d’Antillais qui vit en France a bénéficié d’une quelconque reconnaissance ? Est-ce que les Antillais des Antilles ont jamais été traités comme des Français normaux ? Laissons la réponse à Aimé Césaire : « Nous ne sommes pas des Français à part entière, mais des Français entièrement à part ! ».
Ainsi donc ce fameux « contrat avec la Nation » proposé aujourd’hui par Besson aux immigrés africains, arabes ou asiatiques, nous autres, Antillais, nous sommes mieux placés que quiconque pour savoir - et cela depuis un siècle et demi - qu’il ne s’agit que d’un leurre visant à masquer le racisme qui gangrène, hélas, une grande partie de la société française. ASSIMILATION
Continuons… « Un contrat avec la Nation, passant par un entretien d’assimilation permettant de s’assurer un meilleur niveau de pratique de la langue française » écrit E. Besson. Fort bien ! Mais, il faut savoir que ce mot « assimilation » existe dans le vocabulaire politique antillais depuis la fin du…XIXe siècle. Les élites mulâtres d’abord, puis nègres, au XXe siècle, n’ont eu de cesse de réclamer l’assimilation totale de nos îles à « la métropole » (« la mère-patrie »). Cette requête a finalement abouti à l’adoption de la loi de 1946 qui a transformé les Antilles et la Guyane en « Départements d’Outre-mer », loi dite tantôt de départementalisation tantôt d’assimilation. Les Antillais ont payé cette assimilation au prix de la négation de leur langue et de leur culture propres, langues et cultures créoles, vouant un culte quasi-exclusif à la langue et à la culture françaises, notamment par le biais de l’école. Descendants majoritairement d’Africains et d’Indiens, les Antillais n’ont jamais eu peur de réciter « Nos ancêtres, les Gaulois… ». Bien que dénoncés par la Négritude, puis par F. Fanon, E. Glissant et enfin les tenants de la Créolité, cette idéologie assimilationniste n’en continue pas moins à régner imperturbablement sur les esprits et, au moment où une consultation référendaire (le 17 janvier prochain) a été fixée sur une éventuelle autonomie de la Martinique et de la Guyane, les vieux réflexes assimilationnistes ont resurgi pour diaboliser cette évolution statutaire. Donc, l’assimilation, cher monsieur Besson, nous, Antillais, on connait et depuis belle lurette ! Quant au maniement de la langue française, nous n’avons guère de leçons à recevoir à ce niveau, chacun en conviendra.
Or, cette assimilation revendiquée depuis un siècle et demi, assumée, quasi-sanctifiée, nous a servi à quoi ? Est-ce qu’un Antillais (e) qui travaille au tri postal de Montparnasse, qui est fille de salle à la Pitié-Salpétrière, employé dans le bâtiment ou en usine, est mieux considéré qu’un Africain ou un Arabe ? Est-ce que la candidature d’un jeune Antillais, dument diplômé, qui postule dans une entreprise est examinée avec la même impartialité que celle d’un jeune Gaulois ? Est-ce que pour la location d’un appartement ou, plus banalement, pour l’entrée en boite de nuit, nous jouissons d’un quelconque avantage sur ces Français de fraîche date que sont les Beurs et les Franco-africains ? Absolument pas ! Nous avons beau nous réclamer d’ancêtres gaulois et utiliser l’imparfait du subjonctif, nous ne sommes jamais que des négros ou des bicots (s’agissant des Antillais métissés) pour nombre de Français.
VALEURS DE LA REPUBLIQUE
Enfin, E. Besson évoque une « meilleure connaissance des valeurs de la République ». Nous, Antillais, qui avons été à l’école de cette république n’ignorons pas qu’elle a été fondée sur la négation des identités locales au nom de la lutte contre l’obscurantisme. Nous qui vénérons l’Abbé Grégoire, membre éminent de la « Société des Amis des Noirs » qui lutta en faveur de l’abolition de l’esclavage, n’en oublions pas pour autant que ce fut le même que les révolutionnaires de 1789 chargèrent d’élaborer une « enquête sur les patois de France et les moyens de les éradiquer », politique qui fut mise en œuvre durant deux siècles jusqu’à l’éradication totale de ces idiomes. Nous n’ignorons pas la devise de la République - Liberté-Egalité-Fraternité - et nous savons ce qu’elle recouvre d’abstraction jacobine. Liberté ? En 1848, les esclaves antillais sont libérés (et se libèrent) mais ils se retrouvent sans rien : les Békés conservent l’intégralité des terres. Les « nouveaux libres » antillais étaient donc libres de se faire réembaucher sur les mêmes plantations où ils avaient été esclaves, cela pour un salaire de misère ! L’égalité ? Les lois de la République (Sécurité sociale, allocation-chômage, environnement etc…) n’ont jamais été automatiquement appliquées dans les départements d’Outre-mer. Il a fallu des luttes farouches, menées souvent par les communistes, pour arracher leur application et une fois cette dernière actée, on nous a fait comprendre qu’il s’agissait d’un geste de charité (« solidarité nationale » en langage technocratique). Aujourd’hui encore, notamment en matière de protection de l’environnement, certains textes ne sont toujours pas appliqués chez nous. Fraternité ? Cette « valeur », pour employer l’expression d’E. Besson, est encore plus abstraite que les deux précédentes. Il semble que même au niveau des Français de l’Hexagone, elle n’est jamais eu de traduction concrète, allez donc voir auprès des « Français d’Outre-mer » !
En réalité, ce Grand Débat sur l’Identité Nationale n’est qu’un moyen grossier (mais plus c’est gros, plus ça marche !) de masquer le Grand Retour de la Lutte des Classes en France et en Outre-mer. Un moyen de faire oublier les fermetures d’usine, les délocalisations, le harcèlement au travail et son cortège de suicides de salariés, la « pwofitasion » des Békés et patrons aux Antilles. Une ruse pour empêcher la nécessaire alliance des travailleurs français et des travailleurs immigrés. On a envie de défiler et de chanter :
« Besson, Sarkozy, vous êtes foutus, Karl Marx est dans la rue ! »
Raphael Confiant
Décortiquons cette proposition de vue antillais et commençons par « le contrat avec la Nation ». Les Antilles appartiennent à la France depuis 1635 c’est-à-dire bientôt quatre siècles, avant donc la Savoie, le comté de Nice ou encore la Corse (et bien sûr avant la Hongrie ou l’Arménie, soit dit en plaisantant). Pendant deux siècles et demi y a sévi un système ignoble fondé sur l’exploitation d’esclaves noirs par des maîtres blancs. Le « commerce triangulaire » et le sucre de canne, on le sait, ont fortement contribué au XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècle, à enrichir la France, lui permettant de devenir l’une des premières puissances mondiales. L’esclavage aboli en 1848, de simples bêtes de somme qu’ils étaient, les Antillais sont devenus des citoyens français, juridiquement du moins. Aussitôt ceux-ci n’ont eu de cesse de payer ce que leurs élites appelèrent « l’impôt du sang ». Autrement dit de prouver leur adhésion à la Nation française et la reconnaissance éternelle qu’ils vouaient à cette dernière en montant au front chaque fois qu’éclatait une guerre. Et cela même quand ils n’étaient pas mobilisables comme lors de la guerre du Mexique de Napoléon III (1862) où « des volontaires » profitèrent de l’escale de la flotte française à Fort-de-France pour se faire enrôler ou lors de la première guerre mondiale dans laquelle s’illustra le fameux « bataillon créole ». Après, il y a eu la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle près de 8.000 Antillais quittèrent clandestinement la Martinique et la Guadeloupe, alors dirigées par des gouverneurs pétainistes, pour rejoindre, à partir des îles anglaises voisines les, F.F.L. et le général De Gaulle. Puis, il y eut la guerre d’Indochine, d’Algérie, le Tchad et plus tard, l’Afghanistan. Jamais les Antillais n’ont manqué à l’appel de la Nation, pour employer une expression convenue. Jamais ils n’ont hésité à verser leur sang. Les Antilles sont couvertes de monuments aux morts de toutes ces guerres. Autrement dit -et pour en revenir à E. Besson - elles ont passé un contrat avec la Nation » et quel contrat ! Celui du sang. Or, qu’ont-elles gagné en retour ? Est-ce que le demi-million d’Antillais qui vit en France a bénéficié d’une quelconque reconnaissance ? Est-ce que les Antillais des Antilles ont jamais été traités comme des Français normaux ? Laissons la réponse à Aimé Césaire : « Nous ne sommes pas des Français à part entière, mais des Français entièrement à part ! ».
Ainsi donc ce fameux « contrat avec la Nation » proposé aujourd’hui par Besson aux immigrés africains, arabes ou asiatiques, nous autres, Antillais, nous sommes mieux placés que quiconque pour savoir - et cela depuis un siècle et demi - qu’il ne s’agit que d’un leurre visant à masquer le racisme qui gangrène, hélas, une grande partie de la société française. ASSIMILATION
Continuons… « Un contrat avec la Nation, passant par un entretien d’assimilation permettant de s’assurer un meilleur niveau de pratique de la langue française » écrit E. Besson. Fort bien ! Mais, il faut savoir que ce mot « assimilation » existe dans le vocabulaire politique antillais depuis la fin du…XIXe siècle. Les élites mulâtres d’abord, puis nègres, au XXe siècle, n’ont eu de cesse de réclamer l’assimilation totale de nos îles à « la métropole » (« la mère-patrie »). Cette requête a finalement abouti à l’adoption de la loi de 1946 qui a transformé les Antilles et la Guyane en « Départements d’Outre-mer », loi dite tantôt de départementalisation tantôt d’assimilation. Les Antillais ont payé cette assimilation au prix de la négation de leur langue et de leur culture propres, langues et cultures créoles, vouant un culte quasi-exclusif à la langue et à la culture françaises, notamment par le biais de l’école. Descendants majoritairement d’Africains et d’Indiens, les Antillais n’ont jamais eu peur de réciter « Nos ancêtres, les Gaulois… ». Bien que dénoncés par la Négritude, puis par F. Fanon, E. Glissant et enfin les tenants de la Créolité, cette idéologie assimilationniste n’en continue pas moins à régner imperturbablement sur les esprits et, au moment où une consultation référendaire (le 17 janvier prochain) a été fixée sur une éventuelle autonomie de la Martinique et de la Guyane, les vieux réflexes assimilationnistes ont resurgi pour diaboliser cette évolution statutaire. Donc, l’assimilation, cher monsieur Besson, nous, Antillais, on connait et depuis belle lurette ! Quant au maniement de la langue française, nous n’avons guère de leçons à recevoir à ce niveau, chacun en conviendra.
Or, cette assimilation revendiquée depuis un siècle et demi, assumée, quasi-sanctifiée, nous a servi à quoi ? Est-ce qu’un Antillais (e) qui travaille au tri postal de Montparnasse, qui est fille de salle à la Pitié-Salpétrière, employé dans le bâtiment ou en usine, est mieux considéré qu’un Africain ou un Arabe ? Est-ce que la candidature d’un jeune Antillais, dument diplômé, qui postule dans une entreprise est examinée avec la même impartialité que celle d’un jeune Gaulois ? Est-ce que pour la location d’un appartement ou, plus banalement, pour l’entrée en boite de nuit, nous jouissons d’un quelconque avantage sur ces Français de fraîche date que sont les Beurs et les Franco-africains ? Absolument pas ! Nous avons beau nous réclamer d’ancêtres gaulois et utiliser l’imparfait du subjonctif, nous ne sommes jamais que des négros ou des bicots (s’agissant des Antillais métissés) pour nombre de Français.
VALEURS DE LA REPUBLIQUE
Enfin, E. Besson évoque une « meilleure connaissance des valeurs de la République ». Nous, Antillais, qui avons été à l’école de cette république n’ignorons pas qu’elle a été fondée sur la négation des identités locales au nom de la lutte contre l’obscurantisme. Nous qui vénérons l’Abbé Grégoire, membre éminent de la « Société des Amis des Noirs » qui lutta en faveur de l’abolition de l’esclavage, n’en oublions pas pour autant que ce fut le même que les révolutionnaires de 1789 chargèrent d’élaborer une « enquête sur les patois de France et les moyens de les éradiquer », politique qui fut mise en œuvre durant deux siècles jusqu’à l’éradication totale de ces idiomes. Nous n’ignorons pas la devise de la République - Liberté-Egalité-Fraternité - et nous savons ce qu’elle recouvre d’abstraction jacobine. Liberté ? En 1848, les esclaves antillais sont libérés (et se libèrent) mais ils se retrouvent sans rien : les Békés conservent l’intégralité des terres. Les « nouveaux libres » antillais étaient donc libres de se faire réembaucher sur les mêmes plantations où ils avaient été esclaves, cela pour un salaire de misère ! L’égalité ? Les lois de la République (Sécurité sociale, allocation-chômage, environnement etc…) n’ont jamais été automatiquement appliquées dans les départements d’Outre-mer. Il a fallu des luttes farouches, menées souvent par les communistes, pour arracher leur application et une fois cette dernière actée, on nous a fait comprendre qu’il s’agissait d’un geste de charité (« solidarité nationale » en langage technocratique). Aujourd’hui encore, notamment en matière de protection de l’environnement, certains textes ne sont toujours pas appliqués chez nous. Fraternité ? Cette « valeur », pour employer l’expression d’E. Besson, est encore plus abstraite que les deux précédentes. Il semble que même au niveau des Français de l’Hexagone, elle n’est jamais eu de traduction concrète, allez donc voir auprès des « Français d’Outre-mer » !
En réalité, ce Grand Débat sur l’Identité Nationale n’est qu’un moyen grossier (mais plus c’est gros, plus ça marche !) de masquer le Grand Retour de la Lutte des Classes en France et en Outre-mer. Un moyen de faire oublier les fermetures d’usine, les délocalisations, le harcèlement au travail et son cortège de suicides de salariés, la « pwofitasion » des Békés et patrons aux Antilles. Une ruse pour empêcher la nécessaire alliance des travailleurs français et des travailleurs immigrés. On a envie de défiler et de chanter :
« Besson, Sarkozy, vous êtes foutus, Karl Marx est dans la rue ! »
Raphael Confiant
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