Lutter contre l’islamophobie et pour la Palestine : un même combat politique

Lutter contre l’islamophobie ne consiste pas seulement en une dénonciation des actes racistes qui frappent de plus en plus et de plus en plus violemment les musulmans, aussi ferme, tranchée, intransigeante et subversive soit-elle. Certes, on doit dénoncer les institutions et les autorités publiques qui, tout en feignant de dénoncer ponctuellement ces actes agressifs alors même qu’elles en sont les principaux vecteurs, engendrent ce racisme et cette islamophobie structurels. Cette démarche suppose un engagement réel dans l’espace public et une implication politique totale et assumée, qui s’émancipe des fonctions qu’on veut nous voir tenir : expert fanfaron qui vient cautionner des mesures racistes à notre encontre, musulman de service chargé de contrôler la communauté ou autre Oncle Tom musulman à la solde de l’ordre établi. Si nous voulons voir l’islamophobie reculer, nous n’avons d’autre alternative que celle qui conduit sur le terrain politique. Mais, au-delà d’un seul discours centré sur des revendications spécifiques liées à une problématique islamique, l’implication en politique doit être globale.

Il est certes nécessaire de porter le combat contre l’islamophobie mais se contenter de cette seule dimension est insuffisant. Lutter contre l’islamophobie, c’est imposer la présence des musulmans, une présence non pas seulement sociale, médiatique et économique, mais une présence politique, sans que cette dernière ne soit sujette à une quelconque compromission car, comme l’écrit Abdelmalek Sayad, « exister, c’est exister politiquement ». Les musulmans, comme n’importe quel autre citoyen ou résident soucieux de s’occuper des affaires publiques, doivent se saisir de toutes les questions sans se cantonner aux problèmes qu’on nous attribue d’office et en prenant en charge même celles qui sont dites sensibles et qu’on voudrait précisément nous voir abandonner. Et à ce titre, la question palestinienne est déterminante.

Alors que Gaza en janvier 2009 subissait l’atrocité des attaques et résistait dans la plus grande dignité, des foules immenses, constituées pour l’essentiel d’arabes et de musulmans, ont déferlé dans les rues des grandes villes. Ce soutien au peuple palestinien et à sa résistance n’est en aucun cas le reflet d’une solidarité confessionnelle : c’est une solidarité éminemment politique sur des critères historiques. La connaissance de notre histoire nous impose cette solidarité. On sait que les musulmans, issus de l’immigration post-coloniale, sont l’objet de regards et pratiques déterminés notamment mais de façon marquante par l’histoire coloniale de la France et c’est cette même expérience de résistance face au colonialisme et au post-colonialisme que partagent musulmans en France et palestiniens. Evidemment, les effets ne se réalisent pas de la même manière ni dans les mêmes degrés, toutefois, la conscience de notre historicité et la compréhension de cette histoire commune de libération face à l’oppression coloniale explique cette solidarité avec la lutte palestinienne, consubstantielle à nos luttes intrinsèques. Cette histoire coloniale qui continue de s’écrire sous les noms d’assimilation, de discrimination, de stigmatisation : qu’il s’agisse de résister à la dépossession identitaire, et à son lot d’acculturation et de dépersonnalisation tragiques, ou à la dépossession territoriale, c’est un même combat.

Islamophobie, choc des civilisations et sionisme, dans un cas comme dans un autre, il s’agit d’un colonialisme polymorphe. L’hostilité générale qui a accueilli ces manifestations témoigne à la fois d’un consensus en faveur de l’entité sioniste mais aussi d’une islamophobie arrogante à l’égard de ces musulmans qui se font visibles et politiques pour soutenir des résistances et contester des injustices. Les commentaires douteux et méprisants stigmatisant cette foule en la qualifiant de communautaire et d’islamiste révèlent que c’est encore une fois ce processus de diabolisation de l’Islam et des musulmans qui est à l’œuvre pour disqualifier des luttes politiques. Ce même procédé qui est utilisé lorsqu’il s’agit d’écraser la résistance palestinienne : « … vous dites que, si les Palestiniens arabes s’opposent à l’installation et à l’occupation de leurs terres par les Israéliens, ce n’est rien d’autre que le « retour de l’islam » » (E. W. Said , L’Orientalisme). Tout se passe comme s’il suffisait d’attribuer la caractéristique d’ « islamique » ou pire d’ « islamiste » à un militant , un mouvement ou un événement politique pour qu’aussitôt il soit touché de suspicion, de défiance et de discrédit ; et l’exemple des bagagistes de Roissy est révélateur en ce sens. Ainsi, à la lumière de ce processus, les raisons pour lesquelles le Hamas et le Hezbollah sont la cible de toutes les attaques de la part des régimes occidentaux paraissent évidentes : ils résistent et luttent contre l’injustice, on les affuble alors de stigmates islamiques disqualifiant pour essayer de les neutraliser. On perçoit d’autant mieux l’utilisation de ce prisme déformant, et qui est d’une efficacité redoutable dans les médias et l’opinion publique, quand on compare le traitement réservé aux différents régimes du Moyen-Orient selon la règle de la géométrie variable : quand des musulmans choisissent de résister, ils sont diabolisés ; quand des musulmans font allégeance, ils deviennent alors fréquentables et courtisés, comme c’est le cas des régimes corrompus, soumis et serviles. La diabolisation, véritable carburant de l’islamophobie, frappe délibérément la catégorie de l’Islam et des musulmans qui résiste à l’oppression. Et les répercussions sur les musulmans en France sont immédiates.

L’instrumentalisation et la diabolisation de l’Islam visent à nous faire taire. On ne peut pas, sous prétexte d’être mieux entendu ou mieux accepté, faire l’économie de la dénonciation de la diabolisation de l’Islam à des fins coloniales, qu’elle soit à l’échelle nationale ou internationale, comme en Afghanistan ou en Palestine, qu’elle s’appelle islamophobie ou choc des civilisations. Le risque étant de devenir, ad vitam aeternam, des sous-citoyens ou des individus de seconde zone toujours en proie aux discriminations quotidiennes et autres humiliations. Il est impératif de s’affranchir de ce cadre discursif fondé sur une espèce de chantage tacite à la respectabilité et qui nous impose, comme condition de notre recevabilité, de nous détacher d’une part de notre identité, de nous désolidariser des mouvements de résistance et d’abandonner la Palestine. Et sans redouter d’être rabroué, disqualifié et renvoyé au statut illégitime qu’on voudrait nous voir porter en permanence.

La Palestine a toujours été un catalyseur de conscience politique et d’engagement militant dans l’immigration post-coloniale, et ce qu’elle nous dit aujourd’hui, c’est qu’oublier la Palestine, c’est se nier soi-même. Etre capable de revendiquer haut et fort, sans complexe et sans concession, la libération totale de la Palestine c’est, aussi, lutter contre l’islamophobie.

Nadika (de la Coordination contre la Racisme et l'Islamophobie)

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