Jérusalem-Est ou l'urbanisme de la barbarie

« Il existe bel et bien une stratégie qui vise à vider la partie Est de la ville de ses habitants palestiniens et d’occuper progressivement toute la terre. Pourtant, les lois internationales stipulent que les statuts de la ville ne peuvent être modifiés. Si nos constructions sont illégales comme l’affirme Israël, celles des colons le sont également » (Adnan Husseini, gouverneur palestinien de Jérusalem)

Alors que les autorités israéliennes confisquent de plus en plus de terrains à Jérusalem-Est afin d’y construire des quartiers juifs, les habitants palestiniens ont les pires difficultés à obtenir un permis de construire sur leurs propres terres. Ceux qui en font la demande sont contraints à des démarches administratives épuisantes et coûteuses – voire hors de portée pour une population dont la situation économique est très dégradée. En plus des frais en vigueur dans l’ensemble de la ville, ils doivent en payer d’autres qui sont spécifiques à leurs quartiers. De toute évidence, c’est un exemple flagrant de discrimination, dont le but est de limiter les constructions légales des Palestiniens et de restreindre la croissance des quartiers arabes face aux quartiers juifs, qui bénéficient, eux, d’investissements considérables.

Ali Jumaa vit au Jabal ­Al-Mukabbir [à Jérusalem-Est] avec les douze membres de sa famille. Son logement vient d’être détruit pour la troisième fois. “Depuis des années, nous étions à l’étroit dans notre ancienne maison. J’ai donc adressé une demande de permis de construire à la municipalité. Après le feu vert de deux commissions locales, j’ai commencé les travaux. Mais, ensuite, l’instance supérieure a refusé le plan et m’a interdit de construire sur mon propre terrain, sous prétexte d’un projet de route reliant deux colonies israéliennes, explique-t-il. J’ai quand même fini le chantier, puis j’ai emménagé dans la nouvelle maison. Nous y avons habité pendant trois années. Puis, il y a deux ans, les autorités l’ont détruite et m’ont condamné à une amende de 32 000 shekels [5 800 euros]. Une association nous a aidés en érigeant deux pièces, mais les autorités les ont déclarées illégales. Mon appel a été rejeté et il a fallu les démolir. Nous vivons donc dans une tente offerte par la Croix-Rouge. La politique israélienne veut nous pousser à partir, mais nous ne quitterons jamais notre terre, même s’il faut vivre dans une tente.”

Par des rues défoncées, sans signalisations et aux trottoirs dépourvus de revêtement, nous nous rendons à l’ancienne oliveraie d’Ahmed Eid. “Les autorités n’ont reculé devant rien pour y attirer les colons”, s’exclame celui-ci. Là où on lui avait interdit de construire son propre logement se dresse aujourd’hui une colonie de cent quatre-vingts appartements, reliée au réseau d’eau et dotée de parcs publics.

Partout, la réalité dépasse l’imagination. Le mur de séparation divise des familles et sépare même parfois les morts de leurs tombes, des cadavres ayant été incinérés ou déplacés ailleurs, sans que les descendants sachent où. Les infrastructures datent du mandat britannique, et aucun projet de modernisation n’a été entrepris depuis l’occupation, en 1967, bien qu’Israël considère Jérusalem-Est comme partie intégrante de sa “capitale éternelle et unifiée”. A Haïfa, une association de défense des droits des citoyens indique qu’Israël a exproprié 24 500 dounams [2 450 hectares] de terres privées depuis l’annexion de Jérusalem-Est. De même, jusqu’à fin 2007, 50 197 logements ont été construits pour les habitants juifs, mais aucun pour les Palestiniens. En revanche, rien que depuis le début de l’année 2009, la municipalité a détruit dix-sept maisons palestiniennes. L’association a demandé à la municipalité d’y remédier. Les documents administratifs sont en hébreu. L’administration israélienne a récemment donné son accord pour traduire les documents en arabe, mais cette promesse est restée lettre morte.

La poste est pratiquement absente de l’est de la Ville sainte. Il n’y a que sept bureaux pour plus de 250 000 habitants palestiniens, contre plus de ­cinquante pour 500 000 habitants ­israéliens à Jérusalerm-Ouest. Rien d’étonnant donc à ce que la majeure partie du courrier ne parvienne pas à destination en temps et en heure, voire n’arrive pas du tout. Même constat pour l’école. Selon les estimations de l’association de défense des droits des citoyens, il manquerait 1 500 salles de classe, chiffre qui pourrait atteindre 1 900 d’ici à 2010. Ainsi, seulement la moitié des enfants en âge d’être scolarisés vont à l’école publique, dans des établissements sous-équipés. L’école primaire pour filles à Chaafat, par exemple, se situe au bout d’un chemin rocailleux : l’entrée fait penser à une prison, et dans une salle minuscule s’entassent trente-six élèves, à trois par banc. Même les toilettes ont été transformées en classe. Selon le président des parents d’élèves, Abdelkarim Lafi, un ancien local d’élevage de chèvres et de moutons ferait mieux l’affaire.

Pour les habitants vivant au nord de la ville et les Palestiniens disposant d’une autorisation à se rendre en Israël, le point de passage d’Atarot (ou ­Qalandia, en arabe) constitue le seul accès au centre-ville. Ils l’utilisent quotidiennement pour aller au travail, à l’école ou à l’hôpital. L’association de défense des droits des citoyens explique qu’en plus des restrictions de la liberté de mouvement, des heures d’attente et des humiliations qu’ils y subissent les gens se plaignent de la violence physique et verbale, notamment de la part des membres de sociétés de sécurité privées qui les gèrent désormais.

Inass Mourih


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