Un mois de retard au démarrage. Nicolas Sarkozy, si prompt à s’envoler aux quatre coins du monde pour faire semblant d’éteindre tous les incendies, aurait-il été gagné par la paresse quand il s’est agi du conflit social à la Guadeloupe ? Pas si sûr ! Ce retard peut s’expliquer par le simple fait que les D.O.M. ne sont pas dignes de son intérêt et encore moins de l’intérêt des membres du gouvernement rivalisant d’imagination pour distribuer des cadeaux fiscaux aux riches de la Métropole. Pour preuve, un mois après le début des grèves, et alors que le mouvement enregistrait sa première victime par balle, la ministre de l’Intérieur et des Collectivités territoriales qui avait tant bataillé pour ajouter à sa tutelle l’Outre-Mer avant de se dévouer aux questions canines, n’était même pas capable de se souvenir du nom du collectif à l’origine de ce mouvement. Michèle Alliot-Marie a ainsi parlé du LPK au lieu du LKP (Liyannaj kont pwofitasyon). Ce désintérêt aura atteint son comble avec l’absence de représentants de l’Etat à l’enterrement de Jacques Bino. La victime aurait mieux fait de tomber à Kaboul « au service de [n]otre patrie ». Elle aurait ainsi suscité l’émotion nationale et gagné une médaille de quoi consoler sa famille. Parce que cette absence ne suffit pas à humilier encore plus les Guadeloupéens, les membres de l’UMP ont accusé Olivier Besancenot et Ségolène Royal de jeter de l’huile sur le feu en se rendant sur l’île pour marquer leur solidarité avec la famille du défunt et sa population[1]. C’est là une manière de prendre les Guadeloupéens pour des enfants qui ne sont pas en mesure d’avoir une pensée autonome : l’intensité du mouvement de grève dépendrait-elle de la visite ou de l’absence d’un politique – blanc – de la Métropole ? Mais le mépris ne commence pas là.
L’ombre du vocabulaire colonialiste plane toujours quand il s’agit de manifestations urbaines ou organisées par des « noirs ». David Pujadas, sur France 2, a parlé d’« émeutiers » ; un euphémisme comparé à certains autres médias, comme l'agence Reuters, qui ont parlé des « forces de l’ordre qui ont affronté toute la nuit des bandes de jeunes casseurs à l’aide de gaz lacrymogène. » La Palme de la propagande idéologique revient au quotidien France-Antilles – dont le titre ne fait pas du tout penser à la Françafrique – qui parle d’« incendies volontaires, tirs sur les gendarmes : les bandes de jeunes ne reculent plus devant des manifestations de violence extrême, qui s’ajoutent aux jets de pierres et voitures calcinées. » Ce décor apocalyptique est le fait, comme cela va de soi, de « jeunes voyous », – de « jeunes barbares » aurait-on dit il y a de cela quelques années. En revanche, le système pillard mis en place pour la gestion économique et financière des territoires d’Outre-Mer n’a rien d’un système de « voyous ». La droite et la gauche ont été surpris – si cette surprise est feinte, c’est mesquin ; si elle est réelle, alors que tous deux se succèdent à la direction du pays, elle l’est encore plus – d’apprendre le surcoût des produits à la consommation, un surcoût estimé à 40 % par rapport aux prix appliqués en Hexagone, alors que les salaires sont de 30 % inférieurs sur les îles. On nous explique de-ci de-là ce surcoût par le transport des produits de consommation dont il faut payer le prix. Mais bien sûr, sommes-nous bêtes de n’y avoir pas pensé ! Puis, bêtes que nous sommes, nous continuons quand même à nous interroger : « Mais pourquoi alors les fameuses bananes martiniquaises – qui sont par définition produites en Martinique – coûtent-elles moins cher à Paris qu’à Fort-de-France comme le remarque une auditrice sur le répondeur de Là-bas si j’y suis ? » La distance entre l’Hexagone et les D.O.M. varierait-elle selon qu’on part de la Métropole ou de la Martinique ? Même question au sujet des carburants pourtant raffinés en Martinique… Enfin, dernière question, la balle qui a assassiné Jacques Bino est-elle une balle surtaxée ?
Trouvez le serpent
Les Guadeloupéens se caractérisent par leur barbarie. Il suffit de brosser un portrait rapide du symbole de la grève, « Domota, l’homme qui veut mettre le feu à la Guadeloupe », « ce syndicaliste [qui] s’est métamorphosé en leader adulé d’un mouvement qui fait chavirer la Guadeloupe entière ». A la barbarie de nos « compatriotes d’Outre-mer », dixit le président de la République, des « ultramarins », d’après Yves Jégo, il faut ajouter la fainéantise et la paresse, deux qualités propres aux Noirs adeptes des politiques de l’assistanat. M. Jacques Myard, député UMP des Yvelines, a ainsi déclaré, un sourire républicain condescendant aux lèvres, qu’« en Guadeloupe, les grèves durent parce que ça permet de participer à un côté manifestif ». Autre cliché colonialiste – pour ne dire que cela –, les Noirs, « … leur infériorité étant liée à une essence…[2] », ne font que chanter et danser. Ces rétifs à la Civilisation promue par le pays des Droits de l’Homme et de l’impérialisme colonialiste jouent au ballon rond aussi. Lorsque la crise a atteint son paroxysme, les chaînes de télévision française n’ont trouvé aucune autre personne mieux indiquée que Lilian Thuram pour expliquer les origines de la crise aux Français du Continent. Malgré l’engagement politique de l’ex-joueur de l’équipe nationale, un historien ou un sociologue auraient sans doute été plus légitimes pour parler d’un tel conflit…
La mue discursive
« … l’Asie reste “mystérieuse et éternelle”, le Chinois est “travailleur et ne se mêle pas de politique”, l’Arabe est “fanatique”, etc. : long serait le florilège de ce qui, dans le discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés durant la période coloniale[3]. » Et il n’y a qu’à lire Yves Jégo pour le vérifier.
Devant la gravité de la situation, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer s’est fendu d’une longue tribune parue dans Le Figaro où il a voulu redresser notre vision du conflit social de la Guadeloupe et de la Martinique. M. Yves Jégo n’a-t-il donc plus le droit de parler depuis que deux Missionnaires lui tiennent la main et négocient à sa place avec les grévistes ? En tout cas, sa lettre est, comme le discours de Nicolas Sarkozy, très révélatrice sur une autre vision, celle de nos politiques sur les D.O.M. L’auteur commence par se montrer circonspect : « Mais ne nous méprenons pas : finir la grève, ce n’est pas en finir avec la crise. Notre politique n’est pas d’acheter, comme ce fut tant de fois le cas auparavant, une illusoire paix provisoire. » En d’autres termes, une paix des braves proposées à d’autres populations sous d’autres cieux et en d’autres temps. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat effectue lui-même ces parallèles avec les politiques coloniales : « Au fil du temps, d’une logique d’investissement, nous sommes passés à une logique de rente. » Ce passage a une explication : l’investissement n’avait et n’a d’autre objectif que de maintenir une classe rentière sur les îles mais aussi aggraver la dépendance de ces territoires à la Mère-Patrie hexagonale. « Un de mes interlocuteurs, se souvient le même secrétaire d’Etat, me disait la semaine passée à Basse-Terre “nous sommes passés de la plantation à la consommation puis à l’hyperconsommation”. » Une progression qui n’est pas nouvelle. On connaît les fameux « laits suisses » en Algérie française. Ces petits laits, doux et sucrés, entraient dans un projet machiavélique qui voulait anéantir les petits échanges commerciaux locaux encore autonomes, ayant survécu aux destructions colonialistes notamment dans le monde rural, et rendre enfin les « indigènes » complètement dépendants de la Métropole. Ces produits ne coûtant pas cher, les bergers ont cédé à la facilité. A quoi bon passer ses hivers dans les champs quand on peut avoir plus de lait – un lait sucré en plus ! – pour pas cher ? Cette politique veut maintenir la domination économique et commerciale sur les pays colonisés – l’école s’occupait de la déculturation des esprits –, exactement le même objectif que la politique actuelle qui fait vivre les îles des exportations hexagonales uniquement.
La Guadeloupe, les Antilles et la Martinique ne sont donc que des territoires pour une plus grande « pwofitasyon ». Pour s’en assurer, il faut considérer encore une fois le texte d’Yves Jégo. Lorsqu’il « élargi[t] son champ de vision pour voir la réalité » qui se limite étonnamment aux bénéfices que représentent les « ultramarins » pour « la France », ignorant complètement les rapports inverses faits de pertes et de pertes pour les territoires d’Outre-mer. M. Jégo considère « le défi de la diversité », sans préciser de quelle diversité il s’agit puisque l’adjectif « culturelle » ne sied pas à ces populations, « pour notre République qui doit sans cesse réapprendre à lier l'idéal de liberté et d'égalité avec le respect des différences. Nous avons beaucoup à apprendre des sociétés ultramarines, qui sont autant de creusets d'une France diverse par nature et autant d'expressions de l'ouverture au monde et de l'universalisme français[4]. Or la France a eu trop tendance, ces dernières années, à négliger sa propre diversité… ». Ces dernières années seulement ? Le breton, qui fait partie des langues en voie d’extinction, a sans doute une autre estimation à donner. Rappelons à cet effet que la France refuse toujours de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Mais M. Jégo aurait pu marquer un bon point en parlant de « la diversité ». Il aurait pu mais il a raté son tir. En effet, « le défi de la diversité » est le dernier à compter aux yeux du secrétaire d’Etat. Avant d’y référer, il a mis au jour deux défis autrement plus importants pour la grandeur de la France qu’ils placent « aux avant-postes des grands défis du XXIe siècle ». Il est question du « défi écologique, « parce que ces territoires […] détiennent 80 % du patrimoine national en matière de biodiversité », et du « défi maritime […] parce que le sort de l'humanité se joue dans la capacité à préserver et à mettre en valeur les ressources des mers. L'enjeu est stratégique pour la France qui, par l'outre-mer, est la deuxième puissance maritime au monde, derrière les États-Unis. » Les deux défis ont leur intérêt pour l’image de la France comme l’une des premières puissances mondiales, variation historique des discours colonialistes. Il ne s’agit plus d’avoir le plus grand territoire mais d’être au-devant de la scène internationale pour défier le reste du monde.
On comprend que le « défi de la diversité » soit relégué en dernière position. Tout cela Edward W. Said l’a expliqué dans Culture et Impérialisme : « les territoires de l’empire sont là à la manière utilitaire, anonyme et collective des populations marginalisées de migrants, travailleurs à temps partiel et saisonniers […]. Leur existence est toujours importante, mais leurs noms et leurs personnalités ne comptent pas. Ils sont très commodes, mais pas vraiment là. C’est un équivalent littéraire de ce qu’Eric Wolf, un peu pour s’autoglorifier, a nommé les « gens sans histoire » – ceux sur lesquels repose la vie économique et politique alimentée par l’empire, mais dont l’existence concrète n’a pas retenu l’attention, ni historiquement ni culturellement»[5].
Pour que ces forces attirent l’attention sur leur misère, il leur faut danser pour le bon plaisir du maître ou s’exprimer dans la violence. En effet, un mois de manifestations pacifiques et d’appels au dialogue sur des bases honnêtes, d’égal à égal, n’a rien donné. Enfin presque rien puisque la Guadeloupe a vu débarquer des centaines de gendarmes et de militaires pour asséner quelques coups de matraques aux manifestants et faire pleurer les cocotiers arrosés de gaz lacrymaux. Pour nos dirigeants politiques, les violences des rues de Pointe-à-Pitre n’ont rien à voir avec les propos racistes proférés par des forces de l’ordre provocatrices. Ce doit avoir un lien, encore une fois, avec la barbarie de ces populations. Cela explique ce cours de civisme gratuitement et aimablement murmuré par le sieur Nicolas Sarkozy sur les ondes de RFO : « Nous avons la chance de vivre dans une démocratie. Ce n’est pas si fréquent dans le monde. Et dans une démocratie on peut s’exprimer, on peut se faire entendre, on peut manifester, sans avoir besoin de recourir à la violence. » Le grand orateur de Dakar ajoute : « Mon devoir c’est de faire respecter les lois de la République et je les ferai respecter parce que je ne veux pas que demain d’autres familles aient à pleurer un père, une mère ou un enfant. » Mais de quelles familles parle-t-il ? D’après Le Canard enchaîné, dans un article intitulé « Les notes qui ont réveillé l’Elysée » paru le 18 février 2009, c’est la crainte d’aggraver « une situation latente explosive », comme l’évoque une « synthèse » des Renseignements Généraux (RG), qui a fait sortir les dirigeants politiques de l’ornière, avec en prime cette dernière note citée : « On sent à présent poindre et s’installer une hostilité envers les Blancs, non seulement dans les manifestations, mais aussi dans la vie courante. » Notre omni-président devait craindre une autre RDC à sa porte.
Dans son allocution, Nicolas Sarkozy promet « La réforme du système de fixation des prix du carburant indispensable permettra que la baisse des cours du pétrole soit plus rapidement et plus complètement répercutée dans le prix à la pompe. » Nous savons que « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » mais reconnaissons ici à notre chef d’Etat d’avoir levé le voile sur une injustice que personne n’a jugé bon de relever avant lui : la baisse des prix du pétrole n’est donc répercutée que tardivement et partiellement sur les îles ! Un peu plus loi dans l'allocution, outre les cadeaux fiscaux que notre néo-libéral dirigeant file au passage au patronat dont les charges sociales seront baissées en échange d’une petite augmentation, Nicolas Sarkozy annonce, sans grincement de guitare, sa décision « de porter le nombre de jeunes formés par le service militaire adapté de 3 000 à 6 000 par an pour améliorer le taux d’insertion professionnelle des jeunes parce que c’est d’eux dont dépend l’avenir. » Pour améliorer le taux d’insertion professionnelle des jeunes, on ouvre des lycées, on appuie l’effort des universités et, le cas échéant, on crée des centres de formation. Mais ce sont là quelques privilèges encore réservés à la Métropole. Ce n’est pas en apprenant à saluer un étendard tous les jours à l’aube qu’on réussit sa vie professionnelle ! Cette décision, en tout cas, répond à une tradition de la République coloniale qui a fait de l’Eglise, l’école et l’armée les trois autorités de maintien de l’ordre social dans ses colonies. Les deux premières étant déjà présentes sur les lieux, il ne reste qu’à renforcer la dernière.
Enfin, Nicolas Sarkozy, dans un élan gaulliste, envisage la possibilité d'une plus grande autonomie pour les D.O.M. : « La crise actuelle nous pousse à nous interroger sur le modèle d’organisation que nous devons adopter dans nos territoires et bien je suis prêt à ouvrir aussi ce débat. En tout état de cause, la décision vous reviendra le moment venu à l’occasion de la consultation qui sera organisée dans les départements qui le demanderont, ce sont les règles de la Constitution. » Cette audace est-elle sincère ou un simple effet d’annonce ? Laissons à l’allocutaire le bénéfice du doute même si l'on pense plus à une manœuvre politique pour isoler Elie Domota dont les velléités indépendantistes ne correspondent pas à l'opinion majoritaire de ses concitoyens.
En attendant un déblocage – momentané – de la situation, après Rama Yade qui veut donner des « preuves d’amour » à son président, après Valérie Pécresse qui déclare son « amour » aux professeurs chercheurs, voici la ministre en charge des Vieilles Colonies, se souvenant que « L’amour [a été] au fondement du lien entre métropole et colonies[6] », les assurer de son « affection ». C’est de l’angélisme au même titre que les quelques 580 millions d’euros promis par le gouvernement aux Guadeloupéens et aux Martiniquais. Ce sera le « rôle positif » de ces manifestations : le rapport de l’Etat français avec les D.O.M. aura enregistré une progression passant du paternalisme à l’angélisme. Et tant pis si l’on reste toujours dans le registre de la tyrannie.
[1] Cela explique donc le mutisme de Brice Hortefeux, l’ex-ministre des expulsions et des centres de rétention fraîchement élu citoyen béninois et muté au ministère du Travail, des Relations sociales, de la famille, de la Solidarité et de la Ville.
[2]Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, François Vergès, La République Coloniale, Pluriel, Albin Michel, 2003, p. 96.
[3]Ibid., p. 143-144.
[4]Remarquons ici la juxtaposition oxymorique, « universalisme français », insignifiante en soi mais qui nous rappelle tout de même que « Le vocabulaire réitéré du discours de la mission civilisatrice se retrouve dans l’idée d’une France pays unique dans le monde… », La République Coloniale, op. cit., p. 130.
[5]Edward W. Said, Culture et Impérialisme, trad. Paul Chemla, Paris, Fayard-Le Monde diplomatique, 2000, p. 115.
[6]La République Coloniale, op. cit., p. 46.
Ali Chibani
« Serpent qui change de peau est toujours serpent »
Publié par Le Bougnoulosophe à 3/17/2009
Libellés : POSTCOLONIE
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6 commentaires:
Hum, en tout cas, Martinquaises, Martiniquais, sortez vos tondeuses!
http://www.montraykreyol.org/spip.php?article2197
Tin' j'aimerais bien savoir ce qu'il en pense le Bougnoulosophe?
A l'anonyme,
Pourquoi parler de tondeuse?
Un très beau texte qui proclame avec jubiliation la victoire du peuple de Guadeloupe !
Ah effectivement le lien ne convient plus, ils ont du le virer du site...
C'était un article intitulé "Liste des Petits Martiniquais Associés Aux Békés dans "Tous Créoles" ".
Une jolie petite liste avec noms et adresses des collabos.
Enfin,les bonnes vieilles méthodes comme au bon temps!
Comme au bon vieux temps.... des colonies !
Je voyais un peu moins loin, c'est en fait même encore utilisé par des groupes comme RedWatch...(je te laisse chercher ce que c'est tout seul comme un grand!)
Vive la Guadeloupe !
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