Alors que la Guadeloupe et la Martinique connaissent une grève générale quasi insurrectionnelle depuis plus d'un mois, voilà un livre qui tombe à pic. «La France a-t-elle aboli l'esclavage ? (Guadeloupe-Martinique-Guyane, 1830-1935)» de Nelly Schmidt (1), chercheuse au CNRS, démonte la légende dorée d'une France assimilatrice qui, à compter de 1848, aurait tiré un trait sur son passé esclavagiste.
BibliObs.- Vous sortez un livre au titre provocant, « La France a-t-elle aboli l'esclavage ? (Guadeloupe-Martinique-Guyane, 1830-1935) ». C'est une question plutôt polémique, qui présuppose qu'elle ne l'a pas vraiment fait...
Nelly Schmidt.- En histoire, certaine questions sont plus révélatrices que d'autres ; ce sont elles qui permettent à la recherche historique de se renouveler. La France a-t-elle aboli l'esclavage ? Juridiquement, oui. Et même deux fois. En 1794 et 1848. Dans les deux cas, sous la pression conjuguée d'événements révolutionnaires en France et de rébellions d'esclaves dans les colonies. Mais l'abolition de 1848 intervient alors que pendant la première partie du XIXe siècle, on a remis le « Code noir » au goût du jour et que les antiabolitionnistes sont plus actifs que jamais.
BibliObs.- Qui sont ces antiabolitionnistes?
Nelly Schmidt.- Pour schématiser: les lobbies de planteurs, de négociants-armateurs des grands ports et le gouvernement. Lequel se montre très à l'écoute des planteurs parce qu'il sait que s'il abolit l'esclavage, il aura à les indemniser.
BibliObs.- Et l'opinion publique dans tout cela?
Nelly Schmidt.- Elle n'est ni favorable, ni défavorable. Elle n'est surtout pas informée. La lutte pour l'abolition est le fait d'une élite. La France est, à cet égard, très en retard. Notamment si on la compare à l'Angleterre, où l'on voit se développer un véritable mouvement populaire en faveur de l'abolition. Ce dernier va organiser par exemple le boycott des produits fabriqués par des esclaves et signer des milliers de pétitions contre l'esclavage.
BibliObs.- En 1848, la loi d'abolition de l'esclavage présentée par la Commission que préside Schœlcher est votée...
Nelly Schmidt.- Elle n'est pas votée! Le Gouvernement provisoire la fait passer par décret. Ce sera d'ailleurs l'un des grands arguments des antiabolitionnistes. Mais même Schœlcher a reconnu que c'était mieux ainsi. Soumise au vote, elle ne serait jamais passée.
BibliObs.- Vous écrivez que la situation économique des colonies concernées a eu plutôt tendance à empirer après 1848. Pourquoi ?
Nelly Schmidt.- En 1848, la commission d'abolition elle-même a recommandé la poursuite de la monoculture sucrière. C'était une erreur économique. On savait dès cette époque que la production de betterave à sucre suffisait à satisfaire la consommation européenne. Mais les délégués des planteurs se sont imaginé qu'ils parviendraient à faire interdire le sucre de betterave! Ils n'y sont pas arrivés, bien entendu. Toute l'économie des colonies françaises des Caraïbes a donc reposé pendant encore plus d'un siècle sur une activité qui était condamnée à terme.
Et ce renforcement de la monoculture n'a fait qu'accroître la dépendance de l'économie et de la population vis-à-vis des groupes de planteurs et de grandes sociétés anonymes. Ceux-ci ne se sont pas privés de faire jouer la concurrence. Sous la pression des planteurs, le gouvernement organisa le recrutement, en Afrique et en Asie, d'une main-d'œuvre sous payée, engagée sur contrats, dénuée de tout droit. En accédant à la citoyenneté française, les anciens esclaves étaient devenus trop chers aux yeux des planteurs. Une partie non négligeable d'entre eux s'est donc retrouvée au chômage et s'est appauvrie.
Plus généralement, ces « nouveaux libres », comme on les appelait alors, étaient aux prises avec des structures d'encadrement économique et social qui tendaient à maintenir une réglementation du travail - on disait alors « police du travail »... - que beaucoup de contemporains dénoncèrent comme trop proche de l'esclavage.
BibliObs.-A vous lire, il y a eu et il y a encore de la part de la République française une entreprise d'occultation de la réalité historique aux Antilles. Je vous cite : « une mythologie des « anciennes » colonies et de leur « attachement » à la « mère-patrie » fut « forgée et régulièrement utilisée. »
Nelly Schmidt.- Trois mots d'ordre ont accompagné l'abolition de 1848 : « maintien de l'ordre », « maintien du travail » et « oubli du passé ». Et je dois admettre que ce dernier mot d'ordre s'est avéré très efficace. Les historiens eux-mêmes ont emboîté le pas de la propagande républicaine et fabriqué un passé qui relève davantage du mythe que de la réalité. Longtemps, cette occultation a été à peu près complète. L'histoire restait univoque, n'adoptant qu'un seul point de vue: celui des colons et du gouvernement. Il a fallu attendre les années 1960 pour que des chercheurs, notamment anglo-saxons, réagissent à cette historiographie officielle, commencent à étudier d'autres sources et mettent en lumière, par exemple, le fonctionnement économique, financier de la traite négrière, de l'esclavage, les lacunes de nos connaissances quant aux conséquences à long terme de ces phénomènes, et enfin, l'importance déterminante des mouvements de résistance.
Aujourd'hui la recherche universitaire a fait de réels progrès. Le problème, c'est que ces avancées dans la compréhension du phénomène colonial ont encore trop peu de répercussions dans les manuels scolaires et dans les médias.
BibliObs.- Pourquoi avoir arrêté votre étude aux années 1930 ?
Nelly Schmidt.-C'est la période pendant laquelle la propagande coloniale atteint son apogée, avec en particulier l'Exposition coloniale internationale de 1931 qui à lieu à Vincennes puis les cérémonies du Tricentenaire du Rattachement des Antilles et de la Guyane à la France en 1935. Je mentionne évidemment la départementalisation de 1946. Là encore, le mythe colonial a la peau dure. On s'imagine qu'il s'agit de l'aboutissement naturel de la politique d'assimilation mise en œuvre par la République française. En fait, cette départementalisation s'inscrit en réaction à la politique internationale des lendemains de la Deuxième Guerre Mondiale et aux conférences internationales qui ont lieu pendant le conflit, visant notamment à mettre fin aux statuts coloniaux. Cette grande « générosité » de 1946 est donc surtout le résultat des pressions internationales.
BibliObs.-Les événements de ces dernières semaines en Guadeloupe et en Martinique sont-ils imputables à cette politique coloniale de la France?
Nelly Schmidt.-En effet, dans la mesure où le fonctionnement économique actuel est directement issu de celui qui fut élaboré au XIXe siècle. Pour mémoire, il convient de rappeler qu'après une première crise de surproduction dans les années 1880, la quarantaine d'usines sucrières érigées en Guadeloupe et en Martinique au lendemain de l'abolition ont quasiment toutes fermé entre 1960 et 1970, sans aucun relais interne de production, provoquant augmentation du chômage et émigration massive de la population jeune, en recherche d'emploi. Dans les colonies françaises des Caraïbes, l'ensemble des importations et des exportations est géré, encore aujourd'hui, par un très petit nombre de sociétés. C'est l'héritage de « l'Exclusif colonial » des XVIIe et XVIIIe siècles. La conséquence de cette situation de quasi-monopole, c'est que ces sociétés fixent les prix qu'elles veulent. Des prix bien souvent excessifs. Mais au-delà des questions liées au prix des différentes marchandises, c'est à la fois les paradoxes du développement social de ces territoires, les incuries successives dont ils ont souffert et le lourd héritage de leur histoire qui apparaissent sous les projecteurs.
Propos recueillis par Baptiste Touverey
(1) Nelly Schmidt est directrice de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur l'esclavage, les abolitions et les politiques coloniales aux Caraïbes-Amériques. elle a publié notamment une biographie remarquée de Victor Schoelcher.
Généalogie domtomienne
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1 commentaire:
merci, monsieur, vous êtes très brillant, prendre tout ce temps pour une nullité comme moi, c'est extraordinaire, mais contrairement à vous, je ne fais pas une hiérarchisation de races, de couleur. Et si vous trouvez que dire de Nicolas sarkozy qu'il ressemble aux petits banlieusards qu'il déteste est un compliment, je vous invite à révisiter votre sens de la compréhension. ceci étant, je suis contre toute forme de guerre. Qu'elle soit menée par les uns ou par les autres. Je vous souhaite d'avoir autant de succès que mo ; je dis et je le répète les noirs n'ont jamais eu de conflit avec les juifs, historiquement c'est vrai. Par le passé, l'arrivée de l'islam en Afrique a été calimiteuse pour les peuples africains, désolée de vous decevoir en le rappellant. L'esclavage et le colonialisme ne nous ont pas fait du bien. Ceci par moi dit, sans rancune et sans haine envers quiconque. je ne m'abaisserai pas à vous insulter. salut, calixthe beyala
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