« Qu’est-ce que le racisme? Pendant des siècles, ce mot fut une réalité quotidienne pour des millions de Noirs, mais on l’a pourtant rarement défini - peut-être justement du fait de la banalité même de cette réalité. Par racisme, nous entendons une politique fondée sur des considérations de race, dans le but d’assujettir un groupe racial et de le maintenir sous tutelle. Telle fut l’attitude des Etats-Unis envers l’homme noir. Nous verrons pourquoi et comment.
Le racisme est à la fois direct et indirect. Il se manifeste de deux façons, très dépendantes l’une de l’autre : soit par des actes individuels commis par des blancs à l’encontre d’individus noirs, soit par de actes collectifs de la communauté blanche envers la communauté noire. Nous appelons ça le racisme individuel et le racisme institutionnel.
Le premier est le fait d’individus, qui agissent ouvertement en tuant, en blessant, en détruisant. Il est visible et peut être filmé par des caméras de télévision ; on peut constater le crime au moment même où il est commis. Le second est moins franc, infiniment plus subtil, on le reconnaît moins facilement parce qu’il ne s’agit pas d’actes accomplis par des individus particuliers. Mais il n’en détruit pas moins la vie humaine. Comme il a sa source dans les forces établies et respectées de la société, il a infiniment moins de chance que le premier d’encourir la condamnation du public.
Quand des terroristes blancs bombardent une église noire et tuent cinq enfants, il s'agit d'un acte de racisme individuel que l'on déplore dans presque toutes les sphères de la société. Mais quand, dans cette même ville - Birmingham, Alabama -, cinq cents bébés noirs meurent chaque année faute de nourriture, de logements, de soins médicaux, et quand des milliers d'autres sont marqués à jamais et mutilés dans leur corps, leur cœur et leur intelligence, à cause des conditions de misère et de discrimination infligées à la communauté noire, il s'agit alors de racisme institutionnel. Quand une famille noire s'installe dans un quartier blanc et se fait chasser de son logis à jets de pierres ou voit sa demeure incendiée elle est victime de ce racisme individuel direct que la plupart des gens réprouvent - en parole du moins.
Mais c'est le racisme institutionnel qui maintient le peuple noir enfermé dans des taudis délabrés, assujetti à l'exploitation quotidienne des propriétaires rapaces, des commerçants, des prêteurs sur gages et des agents immobiliers qui pratiquent la discrimination. Pour sa part, la société prétend ignorer cette situation, mais elle est en fait incapable d'y remédier de façon efficace.
Le racisme institutionnel s'appuie sur des attitudes et des pratiques anti-Noirs, actives et subtiles. Sur le sentiment de supériorité d'un groupe : les Blancs sont « meilleurs» que les Noirs, donc les Noirs doivent être soumis aux Blancs. Telle est l'attitude raciste: elle imprègne la société au niveau individuel et jusque dans ses institutions, directement et indirectement.
Certaines personnes «respectables» peuvent se disculper en tant qu'individus: elles n'iraient jamais placer de bombe dans une église; elles ne chasseraient jamais à jets de pierres une famille noire. Mais elles continuent de soutenir les fonctionnaires et les institutions qui perpétuent le racisme institutionnel. Ainsi, si les actes de racisme direct, individuel, ne peuvent être caractéristiques d'une société, le racisme institutionnel, lui, le peut, grâce au soutien des attitudes racistes individuelles qui se manifestent de façon indirecte. »
(Stokely Carmichael, C.V. Hamilton, Black Power)
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