Quand l’extrême-droite applaudit les laïcistes islamophobes

« Peut-on accepter d’ignorer les dérives islamistes de certains, sous prétexte que les dénoncer alimenterait inévitablement le racisme anti-Arabes et l’hostilité envers la religion musulmane en général ? Personnellement, je ne le pense pas. Et l’on peut au contraire soutenir que le silence sur ces dérives alimente tout autant, voire bien plus, le discours d’extrême droite, que sa dénonciation ».

A nouveau (très) en-dessous de la ligne de flottaison en termes de pensée pertinente, Nadia Geerts a récemment pondu ces lignes insolites. Outre son caractère déficient, la « réponse » que l’ouaille de Sœur Fourest donne à sa question ne s’appuie sur aucun élément factuel ou statistique. En revanche, « l’affirmation laïque » qu’elle cautionne, commise par trois de ses amis dans les colonnes du Soir (1), confirme que la paranoïa laïciste anti-arabo-musulmane fait toujours saliver les extrêmes-droites chrétienne et sioniste.

Finement intitulée « Le pouvoir aux barbus ? Non merci ! », la moderne tribune - calquée sur le slogan écolo des années 80 : « Nucléaire ? Non, merci !» - se voulait un appel alarmiste aux « démocrates soutenant la juste cause du peuple palestinien ». Objectif affiché : éviter « l’indignation sélective ». Plus c’est gros, plus ça passe. Via un sms publicitaire envoyé tous azimuts, l’un des trois auteurs, Claude Demelenne, a estimé devoir traduire son blabla hypocrite en ces termes : « Ne cautionnons pas par notre silence la montée en puissance d’un lobby politico-religieux islamiste dans notre pays » (2). Oufti ! Message reçu ? Oui, mais bien plus à l’extrême-droite qu’à la gauche du paysage politico-médiatique francophone...

Pour s’en convaincre, il suffit de répertorier les sites internet qui ont approuvé et diffusé la prose des valeureux laïcistes. Cette carte blanche - qui n’a jamais si bien porté son nom ! - a bénéficié de 21 reprises ou renvois vers le site du Soir. Petit succès qui pose problème : près de la moitié de ces sites et blogs sont d’extrême-droite ou apparentés … En tête de cortège, une vieille connaissance de l’un des auteurs : Alain Escada (3). Sur son site (Belgique et Chrétienté) et sur son blog, l’intégriste chrétien d’extrême-droite titre son papier : « Manuel Abramovicz découvre les barbus ». Et conclut son libelle réactionnaire par un malicieux « Bien le bonjour dans la réalité, Monsieur Abramovicz ! » … Applaudi par un des pires racistes que compte la Belgique, soudain en position de montrer à ses lecteurs que son vieil ennemi « découvre » ce que lui, Alain Escada, a toujours dénoncé. Bravo Manu, Claude et Sam : quel « gain démocratique » !

Enchaînons avec la reprise de larges extraits de la tribune par le blog du Front National du Brabant wallon. En titre, les frontistes surclassent Escada : « Manuel Abramovicz touché par la grâce » ... Rebondissant sur « les manifestations pro-hamas de ces derniers jours entachées de slogans des plus antisémites », les militants wallons d’extrême-droite jubilent : « C’est avec un certain plaisir que nous observons que notre constat est partagé par certains éléments d’extrême gauche : ainsi, dans une carte blanche publiée par Le Soir, Manuel Abramowicz, Claude Demelenne et ... Sam Touzani font part de leur ‘profonde inquiétude’ face aux manifestations susmentionnées ».
En France, le site du Parti de l’In-nocence - fondé par Renaud Camus qui défend une « conception raciale de la nationalité » - et le blog de BG dupliquent in extenso la fameuse carte blanche. Le commentaire introductif du bloggeur anonyme ? Sans ambiguïté : « Même les Belges ne se sentent plus chez eux »…

A cette nébuleuse frontiste s’ajoutent plusieurs sites pro et ultras-sionistes. En vedette, l’inénarrable bidonneur utile aux dirigeants islamophobes des télés françaises : Mohamed Sifaoui (4). Sur son blog, l’homme, qui est au journalisme ce que Richard Virenque est au cyclisme, « conseille » la tribune laïciste belge et la fait précéder d’un enthousiaste « A lire ! ». Vient ensuite la reprise intégrale par le site du CID (Centre d’Information et de Documentation Démocratie et Moyen-Orient) qui prétend « contribuer à la lisibilité d’une problématique moyen-orientale qui trop souvent déchaîne les passions au détriment de la raison ». En diffusant majoritairement des textes d’ultras-sionistes islamophobes tels ceux d’Alexandre Adler, Pierre-André Taguieff ou Pierre Jourde. Il n’en fallait pas davantage pour que les ultras de l’UPJF (Union des Patrons Juifs de France) dupliquent entièrement la carte blanche sur leur site. Idem pour un blog, intitulé Collatéral-international.org, qui ose qualifier la tribune laïciste d’« opinion modérée sur Gaza » …

Bilan : 8 sites et blogs clairement d’extrême-droite, 8 sites et blogs pro ou ultras-sionistes, 3 sites classés à gauche (Mouvements.be ; ledrapeaurouge.skynetblog.be ; Mediapart.fr), 1 site communautaire belgo-marocain (Wafin.be) et 1 site social (Belsoc.org) ont diffusé tout ou partie du brouet laïciste. Autrement dit, une majorité d’extrémistes du net (16 sur 21) se sont suffisamment retrouvés dans « l’appel démocratique » d’Abramowicz, Demelenne et Touzani pour s’adonner à leur sport favori : la stigmatisation de l’arabo-musulman potentiellement antisémite, intégriste et terroriste.

Ce triste trio, admirateur de la République française, confirme l’un des développements d’Emmanuel Todd : « Dans cette France où la pratique religieuse catholique est désormais sans importance sociale, la laïcité devient laïcisme, et réunit dans une hostilité commune à un islam fantasmé les incroyants venus de la vieille laïcité républicaine et ceux qui viennent de sortir du catholicisme terminal. L’Islam prend le statut de bouc émissaire, d’ennemi indispensable. Dans l’Europe du début du troisième millénaire, il devient la victime sacrificielle de notre mal-être physique, de notre difficulté à vivre sans Dieu, tout en clamant que notre modernité est la seule possible, la seule valable. » (« Après la démocratie », Emmanuel Todd, Gallimard, 2008 ).

Dans la manifestation du 11 janvier à Bruxelles, j’ai vu des milliers de visages d’hommes, de femmes, de jeunes et d’enfants. Dignes et calmes pour la plupart, colère retenue pour d’autres, rage libérée pour certains. Une manif classique, encadrée par un service d’ordre efficace, et qui s’est terminée par quelques débordements et déprédations, toujours condamnables et difficilement évitables. Ni arabe ni musulman, jamais je ne me suis senti mal à l’aise aux côtés de ces manifestants. Parmi celles et ceux avec qui j’ai marché, je n’ai pas entendu de slogan raciste anti-juif.

A l’adresse des blancs-bleu-belges qui ont ressenti un malaise au contact d’une population qui ne leur ressemble pas, peut-on suggérer une double réflexion ? Primo : si malaise il y a, c’est principalement dû à la rencontre inédite de deux « ghettos sociaux ». Qui, parmi ces citoyens « gênés », connaît, fréquente et tisse des liens d’amitiés avec ces arabo-musulmans parqués à Molenbeek, Cureghem, Schaerbeek et Saint-Josse ? Qui, parmi ces juges improvisés, appréhende réellement le malaise quotidien vécu par ces personnes qui se débattent dans une société banalisant l’islamophobie et le racisme anti-arabe ? Secundo : quel est le bilan politique de la « gauche progressiste » et des autres formations pour éviter le repli voire l’enfermement d’une partie de ces populations sur leur communauté, leur religion ou leur quartier ?

Bien sûr, j’ai aussi vu ces calicots qui postulaient une équivalence entre Israël et nazis. So what ? Avant d’hurler au racisme anti-juif, les laïcistes devraient éviter de s’informer de manière « ethnico-sélective ». Le député anglais, Gerald Kaufman (6), a-t-il fait autre chose en comparant l’agression des troupes israéliennes à Gaza à celle des nazis qui ont assassiné sa grand-mère dans son lit et contraint sa famille à fuir la Pologne. Le maire français de Grigny, René Balme (7), a-t-il écrit autre chose en s’associant à une déclaration retentissante de Richard Falk, rapporteur de l’ONU sur les Droits de l’homme dans les territoires occupés et professeur de droit international à Princeton : « Est-ce une exagération irresponsable que de comparer le traitement infligé aux Palestiniens avec les chefs d’accusation qui avaient été réunis pour dénoncer les atrocités commises par les nazis ? Je ne le pense pas » ?

Y aurait-il une nazification d’Israël permise ou interdite selon l’origine ethnique, religieuse et le statut social de celui qui la profère ?

Remarquons, à cet égard, l’absence de tribune laïciste alarmiste, de cris scandalisés d’un Pascal Fenaux ou de réflexe procédurier d’une Nadia Geerts lorsque Mischaël Modrikamen (8), chez nous, et Yvan Roufiol (9), en France, médiatisent la contraction « nazislamistes » pour désigner le Hamas et le Hezbollah ...

Un mot médiatique

Sur le fond du sujet, le politologue français Cédric Housez (10) disait déjà l’essentiel en 2006 : « Le mot ‘islamisme’, lorsqu’il désigne des mouvements musulmans armés n’a pas plus de cohérence : qu’il y a-t-il de commun entre les révolutionnaires iraniens renversant la dictature sanglante du Shah, les salafistes algériens tentant d’imposer le retour d’un modèle révolu de société, le Hamas luttant contre l’apartheid en Palestine, le Hezbollah résistant à l’invasion du Liban par Israël, et les auteurs présumés des projets d’attentat à Londres ? Rien, hormis leur religion et le préjugé selon lequel elle serait, elle, intrinsèquement violente. Et si l’on doit utiliser cette catégorie, pourquoi n’y place-t-on pas les mercenaires de Ben Laden luttant contre les Soviétiques en Afghanistan, le Mouvement de libération du Kosovo organisant des attentats à la bombe au centre de Pristina, le gouvernement tchétchène en exil à Washington commanditant des attentats en Russie, etc. ? C’est que le mot « islamisme » lui-même n’a aucune base claire et n’est pas un terme académique mais un mot médiatique qui a connu des fortunes diverses et qui s’est imposé progressivement pour faire formellement la distinction entre le « bon » islam et le « mauvais » islam (…) Refuser l’emploi de la rhétorique du « totalitarisme islamique » ou en voir ses limites évidentes ne signifie pas abandonner la laïcité, mais au contraire la défendre en s’affranchissant du discours dogmatique des pontifes du néo-conservatisme ».

Refuser la peur et le chantage

Le degré de cynisme, d’inhumanité et d’horreur atteint par la dernière « opération » israélienne, la concrétisation d’un projet de mort planifié et méthodique envers une population incarcérée, ne peut faire penser qu’aux heures sombres de l’Histoire. Cela n’est pas « faux, idiot et contre-productif » de nazifier l’Etat d’Israël, M. Henri Goldman, c’est ce qui vient spontanément à l’esprit de tout humaniste, sincèrement épris de justice et d’égalité entre les hommes.

Ce qui est contre-productif, c’est de continuer à cultiver la moindre sollicitude envers cette ethnocratie israélienne, son apartheid, sa folie guerrière et son chantage à l’antisémitisme. Ce qui est encore contre-productif, ce sont ces éternelles contorsions couardes pour éviter la condamnation du sionisme dont les conséquences meurtrières et dévastatrices sautent aux yeux depuis six décennies. Se résoudre à discréditer sans ambiguïté l’oppresseur et son idéologie coloniale, c’est une légitime question de survie et d’auto-détermination pour les Palestiniens ; c’est une question de guérison pour une majorité d’Israéliens qui, malades de leur racisme morbide, s’apprête à réélire des criminels de guerre et des tueurs d’enfants.

Si les véritables progressistes souhaitent que la jeunesse belgo-maghrébine se détourne des intégristes islamistes, leur priorité est de lutter efficacement contre les discriminations ethniques et socio-économiques qu’elle endure dans notre pays. Ensuite, sur la question israélo-palestinienne, il s’agit de rejeter ce « deux poids deux mesures » permanent à l’avantage de l’Etat colonialiste et de ses supporters. En s’inspirant, pour commencer, du courage politique des dirigeants du Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur qui, eux, n’ont pas hésité à rompre leurs relations diplomatiques avec l’Etat terroriste. En digne cohérence avec le respect du Droit international et en véritable solidarité avec un peuple palestinien opprimé au-delà de toute mesure …

A l’heure du retrait de Gaza par l’armée israélienne, la lamentable tribune du trio laïciste, publiée par Le Soir, demeure ce qu’elle est : une volonté de diviser le front pro-palestinien de Belgique par une diversion prompte à ravir l’extrême-droite et ses alliés objectifs.

La jeunesse d’origine maghrébine et africaine n’a aucune leçon de paternalisme et d’antiracisme à recevoir de ceux que ne dérangent pas le racisme institutionnel et la citoyenneté de seconde zone. A fortiori, lorsque ces pseudo-démocrates s’empressent de désigner le fascisme vert à la vindicte populaire tout en cautionnant ou fermant les yeux sur celui de l’axe américano-sioniste.

Zeitouni

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Nadia Geerts a, comme elle le répète sans cesse, un champ de compétence: la connerie, de préférence provinciale. Qui d'autre qu'elle accorde de l'importance à ce brave Monsieur Sifaoui, entré en "dissidence d'Etat" par haine de son prénom?

Anonyme a dit…

A quand la marche aux flambeaux laïque?

Anonyme a dit…

A propos de l'assimilation d'Israël au Nazisme :

Qui a parlé de faire une shoah des membres du Hamas ?

Qui a parlé de faire un ministère de la propagande à la Goebbels?

Qui a parlé de faire de chaque Palestinien un "cafard hagard" ?

Qui dit avoir étudié la prise du ghetto de Varsovie afin de l'appliquer au camp de Jénine ?

etc...

Anonyme a dit…

"laïcistes islamophobes" n'est-ce pas un pléonasme !

Anonyme a dit…

“Les fondamentalistes ne me gênent pas.

Ce n’est après tout qu’une manière de croire.

Ceux qui me gênent ce sont leurs acolytes laïcs et athées qui ne croient qu’une seule religion : leur image à la télévision”

Mahmud Darwish

BLAZ a dit…

contre l'oubli,

une poignée d'enfants perdus de Bruxelles se sont réunis et ont fait ça.

http://www.ecopalestine.net/