La rue arabe est-elle à la recherche d’un héros ? D’un leader à la voix forte qui montre une détermination à la défendre contre ce qu’elle considère être des injustices à son égard ? Il semblerait que oui. La rue arabe a un nouvel héros. Il n’est pas arabe. Il est latino-américain. Il s’appelle Hugo Chavez. Hugo Chavez, le vénézuélien.
Chavez ne joue pas sur les mots. Il dit tout haut ce que beaucoup d’occidentaux pensent tout bas. Sa rhétorique parfois fait rire. Parfois elle porte des coups. Hugo Chavez vient de porter un coup qui défie en soi le monde arabe. Il a osé rompre les relations diplomatiques de son pays avec Israël. En raison « des persécutions inhumaines du peuple palestinien ». Ce geste, hautement symbolique, n’est pas sans conséquences sur l’État hébreu. Et plus particulièrement sur le monde arabe.
Avant cette rupture, il y a eu les déclarations gravissimes d’Hugo Chavez contre le gouvernement d’Israël. Les mots d’assassin et de génocidaire ont été évoqués par le chef du gouvernement vénézuélien. Il avait même lancé au monde entier un cri de ralliement : « Nous devrions tous nous prononcer et exiger comme le fait le Venezuela (…) l’arrêt de l’invasion de la bande de Gaza et l’assassinat de milliers d’innocents ». Chavez n’a pas hésité à déclarer que l’incursion israélienne dans la Bande de Gaza était un vrai massacre, mettant Israël dans la peau d’un bras armé des États-Unis.
Il ne faut pas ignorer que le bras droit du président Luiz Inacio Lula da Silva, du Brésil, Marco Aurelio Garcia, avait aussi condamné en termes non équivoques le « terrorisme d’État d’Israël ». Lula avait lui-même reproché à l’ONU son inertie et rappelé le ridicule de comparer Israël et les Palestiniens comme deux forces équivalentes : « d’un côté, on a les bombes, de l’autre, les allumettes » À ce propos, Michael Warschawski, qui dirige à Jérusalem le Centre d’information alternative, déclarait au journal en ligne Mediapart, que « toute prise de position critique envers la politique israélienne, certainement quand elle vient d’une puissance comme le Brésil, a son impact sur la classe politique israélienne, même si souvent c’est un impact différé. Contrairement à ce que laisse entendre le discours public fanfaron des dirigeants politiques et des medias, Israël est extrêmement sensible aux déclarations des composantes de la communauté internationale. Personne n’aime être traite de voyou par les autres ».
Passant de la parole aux actes, le gouvernement vénézuélien a expulsé l’ambassadeur d’Israël, Shlomo Cohen, en signe de solidarité avec le peuple palestinien. Par la suite, Hugo Chavez a expédié 12,5 tonnes de médicaments vers Gaza, via le Caire, et 80 tonnes de vivres.
Guillaume Borrione, dans une analyse pour l’agence de presse francophone d’Israël et du Moyen-Orient, Guysen International News, constate que la rhétorique d’Hugo Chavez n’a pas laissé insensible le monde arabe. Mohammed al-Lahham, un parlementaire du Fatah a par exemple indiqué récemment que M. Chavez était « un symbole du combat pour la liberté, comme Che Guevara ». Et toujours selon Guillaume Borrione, la ville de Bireh, située à 45 kilomètres au nord de Tripoli au Liban, a même donné le nom du président vénézuélien à l’une de ses rues. La ville de 17 000 habitants est d’ailleurs pavée de portraits d’Hugo Chavez qui sont placardés partout. Comme l’indique l’analyste, enthousiasme qui n’a d’égal que le sentiment d’abandon de la part des leaders du monde arabe. Iyad, un commerçant arabe de Bethleem explique sans l’ombre d’une hésitation que « Chavez est le meilleur président. Il soutient toujours les Palestiniens ».
Après Hugo Chavez, le président bolivien Evo Morales a emboîté le pas : « La Bolivie entretenait des relations diplomatiques avec Israël, mais, face à ces actes graves attentant à des vies humaines, à l’humanité, le pays rompt ses relations avec l’État hébreu ». Selon La Prensa, Evo Morales entend déposer une plainte devant la Cour pénale internationale : « Nous lançons un appel à de nombreux États et organismes internationaux, en particulier à ceux qui défendent la vie, pour nous mettre dès maintenant au travail » (Courrier international).
Du côté arabe, ces décisions ont également fait l’objet d’analyses. Peu flatteuses pour les dirigeants des pays arabes. Ghada Hamrouche, de La Tribune Online (Algérie), écrit : « Chavez a fustigé l’offensive terrestre dans la bande de Ghaza, qualifiant l’entité sioniste d’assassin et de génocidaire. Une position qui fait pâlir de jalousie les peuples arabes assistant, pour la première fois de leur histoire, à une indécente léthargie de leurs régimes frôlant la traîtrise. Après le Premier ministre turc qui a âprement condamné les sionistes et leurs crimes de guerre à Ghaza, les peuples arabes sont réduits aujourd’hui à admirer M. Chavez ».
Sur un ton impitoyable, Ghada Hamrouche dénonce cette décision de ne pas convoquer un sommet arabe sur la situation à Gaza : « Décidés à ne pas convoquer une réunion au sommet ni à prendre des décisions d’urgence, les régimes arabes restent dans une expectative consternante. Leur silence accompagne les cercueils des enfants de Ghaza et renforce la volonté sioniste à aller au bout de sa sale besogne, achevant vite et bien les Palestiniens de ce bout de terre assiégé et livré à son triste sort depuis plus de 18 mois. […] De l’Atlantique au Golfe, aucun régime n’a réussi à donner à son peuple la fierté d’appartenir à cette nation ».
Nasser Hannachi, du quotidien algérien La Tribune, fait état de la coalition gouvernementale qui est sortie jeudi dernier dans les rues constantinoises pour « dénoncer le massacre perpétré contre le peuple palestinien de Ghaza ». Le journaliste écrit : « Par cette sortie, les Constantinois, à l’image des autres citoyens du pays, multiplient leur expression du ras-le-bol face à l’omerta politique internationale qui entoure l’épuration ethnique que subit la population de Ghaza sous les attaques de l’armée israélienne. Un silence partagé, hélas, par le laxisme de certains dirigeants arabes ou du reste du monde qui prennent tout leur temps pour accoucher d’une décision unilatérale dont la portée et l’impact quant à l’arrêt des bombardements israéliens sont plus que douteux. La décision des présidents du Venezuela et de la Bolivie, Hugo Chavez et Evo Moralès, de rompre leurs relations avec Israël ne semble pas avoir fait autant d’émules dans les rangs des dirigeants, notamment arabes, les plus concernés par le drame palestinien ».
Fait absolument singulier dans le monde arabe : le Maroc vient de rappeler son ambassadeur de Caracas en soutien à Israël. Toutefois, dans le langage diplomatique, il faut comprendre que la fermeture de l’ambassade du Maroc au Venezuela a pour prétexte officiel le soutien du gouvernement d’Hugo Chavez au Polisario, qui veut l’indépendance du Sahara occidental. Il s’agit d’une fermeture de l’ambassade et non d’une rupture des relations diplomatiques avec le Venezuela. « Quoi qu’il en soit », comme le souligne Alter Info, « plus que la décision en elle-même, c’est le moment auquel elle a été prise qui pose question ». Alter Info poursuit : « Le Maroc s’efforce actuellement d’accentuer les différends qui opposent les membres de la Ligue arabe alors que les circonstances actuelles demanderaient au contraire une union efficace contre un ennemi commun ». Sa Majesté considère que : « la simple idée de tenir un sommet arabe extraordinaire suscite des conflits et des surenchères qui se transforment parfois en litiges interarabes ».
Jawad Kerdoudi est Consultant Économiste et Président de l’Institut Marocain des Relations Internationales. Il écrit, sur Infomaroc, « les États arabes ont été incapables de réunir un Sommet extraordinaire, réclamé à deux reprises par Qatar dès les premiers jours de l’agression israélienne. D’ailleurs un membre du « Conseil de la Chourra », l’Assemblée Consultative saoudienne a déclaré, « Pourquoi un Sommet : y-a-t-il quelqu’un prêt à combattre Israël ? ». Ceci traduit l’incapacité actuelle des États arabes à opter pour l’option militaire. Seule la voie diplomatique est possible […] ».
En conclusion, si Israël est de plus en plus isolé sur la poursuite de sa guerre au sol dans la bande de Gaza, cela n’est pas le fait des pressions du monde arabe. Mais bien de la rue arabe. De l’opinion publique mondiale. Et d’une certaine lassitude manifestée, depuis l’adoption de la résolution 1860, par les États-Unis qui n’a pas opposé son véto. Les opinions internationales dénoncent maintenant ouvertement la poursuite des combats.
Les États-Unis viennent de conclure un accord de coopération nucléaire avec les Émirats arabes unis (EAU) qui prévoit le transfert de composants et de matières nucléaires entre les deux pays, malgré des préoccupations du Congrès. À l’occasion de la cérémonie de signature avec le ministre émirati des Affaires étrangères, Abdullah bin Zayed al Nahyan, Condoleeza Rice a qualifié cet accord de : « modèle puissant et opportun pour la région » et il ne fait aucun doute qu’il aidera les Émirats arabes unis (EAU) à devenir le premier pays arabe à développer une industrie d’énergie nucléaire. « Nous pensons que c’est bon pour les États-Unis, bon pour les Émirats arabes unis et bon pour le régime de non-prolifération », a déclaré le porte-parole du département d’État, Sean McCormack.
Juan Cole
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