« Il est essentiel de se rendre compte que la civilisation musulmane est une entité culturelle qui ne partage pas nos aspirations premières »*, voilà qui est annoncé clairement. Passons à un exercice pratique maintenant. Les chaussures, lorsqu’elles sont lancées par un Arabe - l’Arabe éternel !, ne sont pas des objets triviaux. Ce sont des artefacts. Elles se transforment en objet d’une tout autre nature, produit par un imaginaire colonial - où percepts, affects, concepts impériaux se conjuguent -, et prennent la forme d' une entité particulière, un objet au caractère mystique, plein de subtilités métaphysiques et d'arguties théologiques. Elles deviennent cliché ethnique. Ces chaussures, à l'origine chaussures d'Arabes, se modifient en chaussures arabes - voire même en chaussures islamiques - à savoir, des chaussures dotées de propriétés spécifiques, « à mettre en relation avec l’anti-humanisme fondamental de cette civilisation »... Ces chaussures arabes, dans certains commentaires c'est explicite, s’indigénisent, deviennent des babouches, deviennent « un élément vestimentaire impur », mais c'est là la partie immergée de l'iceberg… Ainsi, pour ce qui est du mobile de l’action, il n’est pas à chercher dans ces aspirations - vraiment universelles, elles !- que sont la liberté, l’émancipation, la dignité..., il s’explique par une prédisposition à un comportement, tout à la fois, irrationnel, sauvage, vindicatif (« le ressentiment à l’égard des affronts politiques »), violent (« l’attentat à la chaussure »), impulsif et, d’autre part, paradoxalement, extrêmement codé, déterminé culturellement, qui n'est jamais le fait d'un individu, ce codage rigoureux est accentué par l’association avec le mot « chien », qui lui est le topos des topos en matière d’Islam et de cliché. Ce paradoxe, selon lequel l'Arabe passe en un rien de temps du fanatisme au fatalisme et vice versa, est, lui aussi, un cliché des plus classiques. On l’aura compris, l’Arabe est un subalterne, un presque humain mais pas tout à fait, une « petite mécanique » à forme humaine, un sous-homme appartenant à une sous-humanité, un être pour qui la démocratie, la liberté d’expression, la subversion, l’humour sont des choses impossibles à concevoir. Et quand elles le sont, restent inabouties ou demeurent accidentelles. Car d’une part, « l’Arabe ne croit guère au progrès et au changement et ne trouve le salut que dans l’au-delà », c’est son fatum, et d’autre part, pour lui, « la puissance et la volonté de puissance sont des fins en elles-mêmes », des fins qu’il respecte infiniment, en toute docilité. Aussi si ces choses adviennent, le subalterne n’ayant pas d’intériorité, elles ne peuvent venir que de l’extérieur ou relever du miracle. Et pourtant la déraison n'est peut être pas là où l'on croit. Puisque. L’Orientalisme, qu'il soit scientifique ou populaire, est une discipline aussi enchantée qu'enchanteresse. N'est-il pas capable, par la magie des mots, de faire d'une chaussure d'Arabe une chaussure « miraculeuse » et apolitique ? Mais où se situe l' irrationnel aujourd'hui ?
* Toutes les citations proviennent d'Orientalisme d'Edward Saïd
Pour un Orientalisme de la chaussure
Publié par Le Bougnoulosophe à 12/17/2008
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