«D'un point de vue statistique - puisque les statistiques ethniques sont à la mode dans les rubriques " débats " des grands quotidiens nationaux -, mes classes se composent à peu près de la manière suivante : 55% de français d'origine maghrébine, 35% de subsahariens, et 10% d'" autres ". A part les sans-papiers, qui sont effectivement assez difficiles à quantifier pour d'évidentes raisons de discrétion obligée, la plupart d'entre eux sont de nationalité française. Pourtant, je suis frappée de ce qu'ils désignent bien souvent comme " Français " tous ceux qu'ils perçoivent en général comme n'appartenant pas à leur territoire (la banlieue), ou à l'histoire de leurs parents ou de leurs grands-parents (l'immigration). Je leur objecte que je suis moi aussi le produit d'une histoire familiale de migrations différentes et d'assimilations successives (ce qui est vrai), je n'obtiens que des rires. Vexée, je finis par leur demander ce qu'ils entendent par " Français ", en particulier quand ils se servent du terme pour qualifier les enseignants du lycée. Ce n'est pas une histoire de couleur de peau ou d'identité communautaire, ethnique ou religieuse : après tout beaucoup de collègues sont eux-mêmes d'origine immigrée. Pour les élèves, " Français " signifie celui qui a des droits. Moi j'ai des droits, eux pas toujours. Avoir des droits, cela veut dire très simplement vivre de manière digne, avoir un lieu de vie agréable et propre, un accès à l'éducation et à la formation, à la santé. Et aussi : ne pas devoir cohabiter à douze dans trois pièces dans l'attente d'une logement social qui n'arrive pas alors qu'il a été promis depuis six ans et qu'" il ne saurait désormais tarder ", ne pas être obligé de vivre et de chercher du travail là où le chômage est quatre à cinq fois plus important qu'ailleurs, avoir la possibilité de rêver, de faire des projets, de voyager, d'apprendre. Et encore : pouvoir compter sur une crèche ou une garderie pour les petits, avoir envie d'aller à l'école parce qu'elle est jolie et pleine de jeux et d'activités, avoir envie d'aller au lycée parce que les salles sont lumineuses, les locaux propres, les toilettes en état de fonctionnement, les équipements suffisants, la bibliothèque fournie et spacieuse, l'herbe verte et les professeurs heureux. Ne pas devoir travailler au noir pour survivre alors qu'on est encore mineur et qu'on a cours tous les jours entre 8h et 17h. Dans certains cas extrêmes : manger, dormir, ne pas avoir froid...»
Judith Revel
Qu'est-ce qu'être «Français» ?
Publié par Le Bougnoulosophe à 12/17/2008
Libellés : IDENTITE
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