Le ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale vient tout juste de créer, par arrêté, un « prix de l’intégration » (3 000 euros de « gratification financière ») en vue de le décerner à ceux « ayant accompli un parcours personnel d’intégration ayant une valeur d’exemplarité de par son implication dans la vie économique, sociale, associative, civique, environnementale, culturelle ou sportive » (Arr. 16 juin 2008, JO, 26 juin). Nous refusons, par avance, ce type de distinction qui n’est pas sans rappeler la figure coloniale de « l’évolué », chargé d’assurer la médiation entre les « civilisateurs » et la masse indigène à « civiliser ». Le fait même que ce prix soit attribué « sans condition de candidature » montre bien qu’il s’agit là d’un rôle qu’on nous fait tenir à notre corps défendant.
Nous, issu-e-s de l’immigration postcoloniale, des quartiers dits « sensibles », descendant-e-s d’esclaves, refusons que soient instrumentalisés nos parcours personnels, nos réussites scolaires, sociales ou professionnelles, ou encore notre maîtrise de la langue française et de la culture « légitime », en vue de mieux stigmatiser ceux des nôtres qui ont pris d’autres chemins relevant moins de « la bonne intégration ».
Nous, les « miraculé-e-s », ne voulons pas cautionner le « modèle français d’intégration » fondé sur un illusoire « quand on veut, on peut » : notre propre expérience, comme celle de nos proches, nous montre que nombreux sont les nôtres qui veulent, et ne font pas que vouloir, qui font (et plutôt deux fois plus que les autres) mais ne peuvent pas abattre seuls le mur d’une discrimination systémique (à l’emploi, au logement, etc.) et n’ont peut-être pas eu, comme nous, la chance de pouvoir profiter d’une des rares brèches de ce mur. Par ailleurs, notre réussite ne tombe pas sous le sens, elle n’est que tolérée. Cette réussite est soumise, plus que pour d’autres, à l’excellence : nos parcours, et ceux des nôtres, nous montrent combien nous n’avons pas le droit à l’erreur, et il suffit du moindre écart, de la moindre faute, pour nous voir ramené-e-s à « nos origines ». Et lorsqu’une « anomalie » entache le parcours d’un des nôtres, elle n’est pas jugée comme purement individuelle, comme pour d’autres, mais sert, trop souvent, à jeter le discrédit sur toute une communauté (ethnique ou religieuse).
A contrario, nous refusons de servir de modèle ou de norme. Nous, non-croyant-e-s, peu ou pas pratiquant-e-s, pratiquantes non-voilées, refusons le rôle que l’on veut nous faire endosser de bon-ne-s Arabes, de bon-ne-s musulman-e-s ou de bon-ne-s Noir-e-s, et de servir de caution à la disqualification des « autres » désigné-e-s comme archaïques, traditionnel-le-s, rétrogrades, identitaires ou communautaires. Nous refusons que cela se fasse en notre nom.
Nous affirmons que le choix de porter le foulard n’est ni plus ni moins respectable que celui de ne pas le porter. Il en va de même pour ce qui est de manger du porc ou de ne pas en manger, et un mariage mixte n’est, à nos yeux, ni plus ni moins moderne ou progressiste qu’un mariage « entre pairs ». Nos modes de vie sont le fruit de nos choix, de déterminismes sociaux et/ou de hasards. Ces options sont les nôtres et en aucun cas des modèles généralisables et imposables à tou-te-s, sous peine de stigmatisation. Contre ceux qui cherchent à nous diviser, nous nous solidarisons avec nos frères et nos sœurs, ami-e-s ou voisin-e-s qui assument d’autres choix que les nôtres.
Nous ne sommes pas à vendre. Et s’il existe un prix à payer afin d’obtenir notre respect, il ne s’agit ni de ces 3 000 euros ni de médailles en chocolat, mais, notamment, de la mise en place d’une véritable politique publique (assortie de moyens conséquents) contre les discriminations qui existent massivement, que ce soit à l’embauche, au logement, dans l’accès aux loisirs, dans les médias, dans la représentation politique, dans les pratiques policières ou judiciaires. Le prix de notre respect inclut également, et entre autres, la dissolution du ministère de l’Identité nationale, l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 dite « anti-foulard », l’abrogation totale de la double peine, la reconnaissance du passé colonial, l’arrêt des incessantes campagnes racistes et islamophobes ainsi que la régularisation de tou-te-s les sans-papiers.
À ceux qui estiment que c’est trop cher payé, nous répondons que ce prix n’est que celui qu’attend n’importe quel citoyen ordinaire pour pouvoir se reconnaître dans une République qui prétend avoir pour fondement la liberté, l’égalité et la fraternité, et nous les prions de s’interroger, de leur côté, sur le prix qu’ils nous demandent, à nous, de payer (la rupture avec les nôtres et la collaboration avec le statu quo inégalitaire) pour avoir droit à la reconnaissance sociale.
* La Revue internationale des livres et des idées, Vacarme, Contretemps et Multitudes.
Bouali Naïma, DIS chirurgie pédiatrique, Bouamama Saïd, sociologue et militant associatif, Churchill Saïda, comédienne, Confiant Raphaël, écrivain, Martinique, Dahmani Fatiha, enseignante/auteur, Demiati Nasser, chargé d’enseignement en sociologie à l’université d’Évry Val-d’Essonne, Dias Saidou, Ministère des Affaires populaires, Gabaroum Laurent, cadre commercial Renault, Gaudier Agbale Christophe, architecte, urbaniste, sinologue, Hamé, La Rumeur, Id Yassine Rachid, doctorant de sociologie, Krefa Abir, enseignante de sociologie à l’université d’Aix-Marseille-I, Magliani-Belkacem Stella, chargée de médiation culturelle, Zouggari Najate, chef d’édition de la revue Mouvements.
Les Rageuses
« Nous ne sommes pas des modèles d’intégration »
Publié par Le Bougnoulosophe à 9/15/2008
Libellés : POSTCOLONIE
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