Assez d'hypocrisies, terminé les faux semblants, basta le double langage :Karel De Gucht, notre ministre fédéral des Affaires étrangères, a décidé d'apporter un souffle nouveau à la diplomatie belge, espérant que l'exemple sera suivi dans le monde entier. Et, comme chacun sait, il a donné le coup d'envoi de cette nouvelle politique à Kinshasa en tenant des propos décapants à des hôtes congolais aussi médusés que les autres membres du gouvernement Leterme dont De Gucht avait toléré la présence à ses côtés.
«Il faut arriver à canaliser les richesses au bénéfice de l'État et du bien-être général. La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux de certains. Il faut s'attendre à une farouche résistance de tous ceux qui n'hésitent pas à sacrifier le bien-être de la population pour leur enrichissement personnel», a notamment dit le chef de la diplomatie belge.
Le Président Kabila a immédiatement adhéré à la nouvelle «méthode De Gucht» en adoptant à son tour une phraséologie assez peu convenue. Il a rappelé que le Congo a acquis son indépendance en 1960 au terme d'une «lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire».
Fort du succès qu'il considérait avoir enregistré au Congo, Karel De Gucht s'en fut aussitôt après à Milan pour rencontrer Silvio Berlusconi. Une rencontre cette fois entourée de discrétion, mais – vous vous en doutez – notre journal avait un envoyé spécieux sur place (moi-même) et rien ne lui a échappé des passionnants échanges entre les deux hommes. Notre ministre des Affaires étrangères se planta devant l'homme-d'affaireschanteur- de-charme-magnat-de-latélé- escroc-premier-ministre italien et lui tint à peu près ce langage : «Silvio, il faut arriver à canaliser les richesses au bénéfice de l'État et du bien-être général. La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux de certains. Il faut s'attendre à une farouche résistance de tous ceux qui n'hésitent pas à sacrifier le bienêtre de la population pour leur enrichissement personnel».
Peu habitué encore à la nouvelle méthode diplomatique belge, le chanteur-de-charme-escroc-magnat-de- la-télé-premier-ministre italien s'est exclamé aussitôt : «Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des ritals. Qui oubliera qu'à un Italien on disait "tu", non certes comme à un ami, mais parce que le "vous" honorable était réservé aux seuls Belges ?». Et comme on ne se refait pas, il ajouta quelques paroles bien senties sur les effets du charme des travailleurs transalpins sur les femmes belges, que la bienséance nous interdit de reproduire ici. Que pouvait-on espérer d'autre de cet énergumène, qui ensuite a flanqué De Gucht à la porte sans plus de cérémonie ?
Nullement décontenancé, notre brave ministre des Affaires de plus en plus étrangères, s'est arrêté à Paris – c'était sur son chemin – où Nicolas Sarkozy fut très heureux d'entendre ses conseils amicaux. Il est vrai que le naguère über-Président français était dans ses petits souliers, après la lecture des derniers sondages, et se préparait à infliger à la France un numéro télévisé d'hypnotiseur d'une heure et demie. Aussi fut-il très attentif tandis que Karel De Gucht lui expliqua que pour retrouver grâce aux yeux des Françaises et des Français, il ne suffit pas de s'afficher avec un top model échappé de l'enfer berlusconien, mais qu'il faut aussi «arriver à canaliser les richesses au bénéfice de l'État et du bien-être général. La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux de certains. Il faut s'attendre à une farouche résistance de tous ceux qui n'hésitent pas à sacrifier le bienêtre de la population pour leur enrichissement personnel». Les portes de l'Élysée sont mieux insonorisées que celles du bureau de Berlusconi, et nous devons donc piteusement avouer que nous ignorons la teneur de la réponse de Nicolas Sarkozy. Mais en sortant Karel De Gucht, qui n'est pourtant pas un bleu, était quand même fort rouge, surtout du côté des oreilles.
Pas découragé pour autant, il s'est aussitôt envolé pour les Etats-Unis d'Amérique. Il a, nous dit-on, rendez-vous avec les trois principaux candidats à la succession de George Bush, à qui – nous a confié un de ses proches conseillers – il se propose d'expliquer qu'il leur faudra «arriver à canaliser les richesses au bénéfice de l'État et du bien-être général. La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux de certains. Il faut s'attendre à une farouche résistance de tous ceux qui n'hésitent pas à sacrifier le bien-être de la population pour leur enrichissement personnel».
À son retour, il a pris rendez-vous avec Didier Reynders. Il sera question, dit-on, des «intérêts notionnels». Peut-être va-t-il lui expliquer qu'il est temps de «canaliser les richesses au bénéfice de l'État et du bien-être général. La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux...»?
Post-scriptum important : Je crains d'avoir un peu mélangé mes notes en rédigeant ce papier. Les citations réponses prêtées ci-dessus MM. Kabila et Berlusconi sont extraites du discours prononcé le 30 juin 1960, jour de l'indépendance du Congo, par le Premier ministre Patrice Lumumba, assassiné 200 jours plus tard par des hommes de main, au nom de la conception que, déjà, la Belgique officielle se faisait de la «bonne gouvernance» .
Luc Delval
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