Du mimétisme et de son double

Principe de réalité : « On voit toujours la perfection (réunie) dans la personne d’un vainqueur. Celui-ci passe pour parfait, soit sous l’influence du respect qu’on lui porte, soit parce que ses inférieurs pensent, à tort, que leur défaite est due à la perfection du vainqueur. Cette erreur de jugement devient un article de foi. Le vaincu adopte alors les usages du vainqueur et s’assimile à lui : c’est de l’imitation pure et simple. […] on observe toujours que le vaincu s’assimile au vainqueur, dont il copie les vêtements, la monte et les armes » (Ibn Khaldoun)

Du double grotesque : « L'Antillais, bourré à craquer de morale blanche, de culture blanche, de préjugés blancs, étale dans ses plaquettes l'image boursouflée de lui-même. D'être un bon décalque d'homme pâle, lui tient lieu de raison sociale aussi bien que de raison poétique. » (René Ménil)

De la langue : « Tout peuple colonisé - c'est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d'infériorité, du fait de la mise au tombeau de l'originalité culturelle locale - se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c'est-à-dire de la culture métropolitaine. Le colonisé se sera d'autant plus échappé de sa brousse qu'il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d'autant plus blanc qu'il aura rejeté sa noirceur, sa brousse. Dans l'armée coloniale, et plus spécialement dans les régiments de tirailleurs sénégalais, les officiers indigènes sont avant tout les interprètes. Ils servent à transmettre à leurs congénères les ordres du maître, et ils jouissent eux aussi d'une certaine honorabilité. » (Fantz Fanon)

Asymptote : « A l’effort obstiné du colonisé de surmonter le mépris […], à sa soumission admirative, son souci appliqué de se confondre avec le colonisateur, de s’habiller comme lui, jusque dans ses tics et sa manière de faire la cour, le colonisateur oppose un deuxième mépris : la dérision. […] Car jamais il n’arrivera à s’identifier à lui, pas même à reproduire correctement son rôle. Au mieux, s’il ne veut pas trop blesser le colonisé, le colonisateur utilisera toute sa métaphysique caractérologique. Les génies des peuples sont incompatibles ; chaque geste est sous-tendu par l’âme entière, etc. Plus brutalement, il dira que le colonisé n’est qu’un singe. Et plus le singe est subtil, plus il imite bien, plus le colonisateur s’irrite ». (Albert Memmi )

Ambivalence et subversion : « Le mimétisme colonial est le désir d’un Autre réformé, reconnaissable, comme sujet d’une différence qui est presque le même, mais pas tout à fait. Ce qui revient à dire que le discours du mimétisme se construit autour d’une ambivalence ; pour être efficace, le mimétisme doit sans cesse produire son glissement, son excès, sa différence. » (Homi K.Bhabha)

Bilan : « La décolonisation, pour une ancienne colonie, ne consiste pas simplement à démanteler les habitudes et les modes de vie coloniaux, mais aussi à dialoguer avec le passé colonial. Rien ne donne une meilleure idées des complexités et des ambiguïtés de ce dialogue que les vicissitudes du cricket dans les pays qui ont autrefois constitué l'Empire britannique. Prenons le cas de l'Inde. Les aspects culturels de la décolonisation y affectent profondément chaque domaine de la vie publique, depuis le langage et les arts jusqu'aux idées sur la représentation politique et la justice économique. Chaque débat public de quelque importance est toujours plus ou moins sous-tendu par la question suivante : que faire des fragments et des lambeaux épars de l'héritage colonial ? » (Arjun Appadurai)

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