De la poésie après Auschwitz...



« La culture transparente pour le matérialisme n’est pas devenue plus sincère au sens du matérialisme, mais seulement plus vulgaire. Avec sa particularité, elle a perdu le sel de la vérité qui résidait jadis dans son opposition à d’autres particularités. Lorsqu’on lui demande les comptes qu’elle refuse de rendre, on fait le jeu d’une culture qui se donne des grands airs. Neutralisée et refaçonnée, toute la culture traditionnelle est aujourd’hui sans valeur : par un processus irrévocable, cet « héritage » hypocritement revendiqué par les Russes est dans une large mesure devenu inutile, superflu, camelote ; en la traitant comme telle, les profiteurs de la culture de masse peuvent s’en prévaloir en ricanant. Plus la société devient totalitaire, plus l’esprit y est réifié et plus paradoxale sa tentative de s’arracher à la réification de ses propres forces. Même la conscience la plus radicale du désastre risque de dégénérer en bavardage. La critique de la culture se voit confrontée au dernier degré de la dialectique entre culture et barbarie : écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes. L’esprit critique n’est pas en mesure de tenir tête à la réification absolue, laquelle présupposait, comme l’un de ses éléments, le progrès de l’esprit qu’elle s’apprête aujourd’hui à faire disparaître, tant qu’il s’enferme dans une contemplation qui se suffit à elle-même.» (Adorno)

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