Mythologie historique


« Je ne sais pas ce que sont devenus les manuels scolaires à l’heure actuelle, mais il n’y a pas si longtemps encore, l’histoire de France commençait par l’histoire des Gaulois. Et la phrase « nos ancêtres, les Gaulois » (qui fit rire parce qu’on l’apprenait aux Algériens, aux Africains) a un sens très précis (*). Dire « nos ancêtres, les Gaulois », c’est au fond formuler une proposition qui a un sens dans la théorie du droit constitutionnel et dans les problèmes posés par le droit public.

Lorsqu’on raconte avec détail la bataille de Poitiers, cela a également un sens très précis, dans la mesure, où effectivement cette guerre non pas entre les Francs et les Gaulois, mais entre les Francs, les Gaulois et des envahisseurs d’une autre race et d’une autre religion, qui permet de fixer l’origine de la féodalité à autre chose qu’à un conflit interne entre Francs et Gaulois.

Et l’histoire du vase de Soissons – qui a, je crois, peuplé tous les manuels d’histoire et qu’on enseigne peut-être maintenant – a été certainement l’une des plus sérieusement étudiées pendant tous le XVIIIe siècle. L’histoire du vase de Soissons, c’est l’histoire d’un problème de droit constitutionnel : à l’origine, quand on partageait les richesses, qu’elles étaient effectivement les droits des rois en face des droits de ses guerriers et éventuellement de sa noblesse (dans la mesures où ces guerriers sont à l’origine de la noblesse) ?

On a cru qu’on apprenait l’histoire ; mais au XIXe siècle les manuels d’histoire étaient en fait des manuels de droit public. On apprenait le droit public et le droit constitutionnel sous les espèces imagées de l’histoire… » (Michel Foucault, « Il faut défendre la société » )

(*)« Pourquoi le Tiers État ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issue de la race des Conquérants, et d’avoir succédé à des droits de conquête ? La Nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer entre naissance et puissance, ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant que celle qui viendrait des Sicambres, des Welches, et d’autres sauvages sortis des bois et marais de l’ancienne Germanie ? ». (E.-J. Sieyès)

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