Du nationalisme aujourd'hui

« Le nationalisme, aujourd’hui, n’est plus un programme politique global, comme on aurait pu le dire, et comme on la dit, au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il est tout au plus un facteur de complication ou un catalyseur d’autres phénomènes.

On peut de façon plausible présenter l’histoire du monde eurocentrique du XIXe siècle comme celle de la « formation de nations ». C’est ainsi qu’était présenté l’histoire des principaux Etats d’Europe après 1870, comme le suggère le livre d’Eugen Weber, Transformer les paysans en Français. Quelqu’un pourrait-il écrire en ces termes l’histoire mondiale de le la fin du XXe et du début du XXIe siècle ? C’est très improbable.

Au contraire, il faudrait inévitablement l’écrire comme l’histoire d’un monde qui ne peut plus être contenu, sur le plan politique, économique, culturel ou même linguistique, dans les limites des « nations » et des « Etats-nations» tels qu’on les définissait habituellement. Elle serait en grande partie supranationale et infranationale, mais même l’infranationalité, qu’elle revête ou non le costume de quelque mininationalisme, reflétera le déclin de l’ancien Etat-nation en tant qu’entité opérationnelle.

Elle considérera les « Etats-nations » et les « nations » ou les groupes ethno-linguistiques essentiellement comme des forces en régression, résistant ou s’adaptant à la nouvelle restructuration supranationale du globe, ou bien étant absorbées ou disloquées par elle. Les nations et les nationalisme resteront présents dans cette histoire, mais n’y tiendront que des rôles secondaires et souvent assez mineurs. « Nation » et « nationalisme » ne sont plus des termes adéquats pour définir, et moins encore pour analyser, les entités politiques proposées sous ces termes, ni même les sentiments qu’ils recouvraient jadis.

Il n’est pas impossible que le nationalisme décline en même temps que l’Etat-nation, sans lequel être anglais ou irlandais ou juif, ou une combinaison des trois, n’est qu’une façon dont les gens définissent leur identité, parmi beaucoup d’autres qu’ils utilisent selon les circonstances.

Le fait même que les historiens commencent enfin à progresser dans l’étude et l’analyse des nations et du nationalisme laisse entendre que, comme souvent, le phénomène a dépassé son zénith. La chouette de Minerve qui apporte la sagesse, disait Hegel, prend son envol au crépuscule. Qu’elle tournoie autour des nations et du nationalisme est un bon signe... » (Eric Hobsbawm, Nations et nationalisme)

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