Piraterie et négritude


«Iles annelées, unique carêne belle
Et je te caresse de mes mains d'océan.
Et je te vire de mes paroles d'alizées.
Et je te lèche de mes langues d'algues.
Et je te cingle hors-flibuste.»
(Aimé Césaire)

A l’âge d’or de la piraterie européenne, un grand nombre de pirates sont d’anciens esclaves : il y a bien plus de noirs sur les bateaux pirates que sur les navires de guerre. Il est rare qu’ils soient utilisés comme « esclaves ». La plupart de ces pirates noirs sont des esclaves en fuite : soit ils ont fui pendant leur voyage depuis l’Afrique, soit ils ont déserté les plantations ou les navires à bord desquels ils travaillaient. Certains peuvent être des hommes libres, comme ces «Nègres libres », des marins de Deptford qui, en 1721, ont engagé «une mutinerie parce que nous avions trop d’officiers, et que le travail était trop dur, et ainsi de suite ». En général, la marine offre aux noirs plus d’autonomie que la vie dans les plantations. Mais, bien que cela soit très risqué, c’est la piraterie qui offre le plus de chances d’être libre à un Africain dans l’Atlantique du XVIIIe siècle. Par exemple, un quart des deux cents hommes d’équipage du Whydah, le vaisseau du capitaine Bellamy, sont noirs, et des témoignages sur le naufrage de ce navire pirate en 1717 à Wellfleet, Massachusetts, rapportent que la plupart des corps rejetés sur le rivage sont ceux de noirs. L’historien de la piraterie, Kenneth Kinkor, prétend que même si le Whydah est à l’origine un navire négrier, les noirs qui se trouvent à bord lors du naufrage sont bien des membres de l’équipage et non des esclaves. Une des raisons de cet «abolitionnisme» est que les pirates, comme d’autres marins, «en venaient à trouver méprisable la notion de vie à terre ». Et un homme noir qui sait manier les cordages et les noeuds est plus à même de gagner le respect qu’un homme vivant à terre et n’y connaissant rien. « Les pirates jugeaient les Africains sur leur langage et leurs aptitudes maritimes – en d’autres termes, sur leurs connaissances et non sur leur race ». Les pirates noirs mènent souvent l’abordage afin de pouvoir obtenir la prise du navire. Le vaisseau pirate le Morning Star «a un cuisinier noir doublement armé» lors des abordages et plus de la moitié des hommes d’abordage d’Edward Condent sur le Dragon Volant sont noirs. Certains pirates noirs deviennent seconds ou capitaines. Par exemple, en 1699, lorsque le Capitaine Kidd jette l’ancre à New York, deux sloops l’attendent, dont l’un est « celui d’un petit homme noir... qui fut auparavant le second du Capitaine Kidd ». Au XVIIe siècle, les noirs qui se trouvent sur les bateaux pirates ne sont pas jugés comme les autres pirates parce qu’on croit qu’ils sont des esclaves. Mais au XVIIIe siècle, ils sont exécutés aux côtés de leurs « frères » blancs. Le sort le plus enviable que peut espérer un pirate noir lorsqu’il est capturé est d’être vendu comme esclave, qu’il soit affranchi ou non. Lorsque Barbe Noire est capturé par la Royal Navy en 1718, cinq de ses dix-huit hommes d’équipages sont noirs, et, selon le Conseil du Gouverneur de Virginie, les cinq noirs sont « autant impliqués que le reste de l’équipage dans les mêmes actes de piraterie ». Un «coquin déterminé, un nègre», nommé César, est pris alors qu’il va faire sauter le navire plutôt que d’être capturé et vendu comme esclave. En 1715, le Conseil de la colonie de Virginie s’inquiète des relations entre le «ravage des pirates» et « une insurrection de nègres ». Il a bien raison de s’inquiéter. En 1716, les esclaves d’Antigua se montrent « très impudents et insultants » et on signale que bon nombre « rejoignent ces pirates qui ne semblent pas faire grand cas des différences raciales ». Ces relations sont transatlantiques : elles s’étendent depuis le coeur de l’Empire, à Londres, jusqu’aux colonies d’esclaves des Amériques ou à la «Côte des Esclaves» en Afrique. Vers 1720, un groupe de pirates s’établit en Afrique Occidentale, rejoignant et se mélangeant aux Kru, un peuple d’Afrique Occidentale vivant dans ce qui est actuellement la Sierra Leone et le Liberia. Cette alliance n’est pas si inhabituelle si l’on considère que sur les cent cinquante- sept hommes qui n’ont pu s’échapper du bateau de Roberts et ont été capturés ou tués à bord, quarante cinq sont noirs – probablement ni des pirates ni des esclaves, mais des «marins noirs, plus communément appelés grémetes », des marins africains indépendants venant principalement de la Sierra Leone et qui auraient rejoint les pirates « contre un modeste salaire ». Nous voyons là comment ces relations ont pu s’établir et comment l’héritage des pirates a pu être disséminé, même après la défaite du bateau de Roberts. Les «nègres» capturés, issus de cet équipage, continueront à se mutiner à cause des mauvaises conditions et des « repas réduits » que leur propose la Navy. « Beaucoup d’entre eux ont longtemps vécu comme des pirates », ce qui signifie bien évidemment pour eux qu’ils ont connu plus de liberté et une meilleure nourriture...

Do or die, une histoire libertaire de la piraterie

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