Tintin découvrant Edward Saïd...


« L’Orientalisme n’est donc pas un simple thème ou domaine politique reflété passivement par la culture, l’érudition ou les institutions; il n’est pas non plus une collection vaste et diffuse de textes sur l’Orient; il ne représente pas, il n’exprime pas quelque infâme complot impérialiste « occidental » destiné à opprimer le monde « oriental ».

C'est plutôt la distribution d’une certaine conception géo-économique dans des textes d’esthétique, d’érudition, d’économie, de sociologie, d’histoire et de philologie; c’est l’élaboration non seulement d’une distinction géographique (le monde est composé de deux moitiés inégales: l’Orient et l’Occident), mais aussi de toute une série d’« intérêts » que non seulement il crée, mais encore entretient par des moyens tels que les découvertes érudites, la reconstruction philologique, l’analyse psychologique, la description de paysages et la description sociologique.

Il est (plutôt qu’il n’exprime) une certaine volonté ou intention de comprendre, parfois de maîtriser, de manipuler, d’incorporer même, ce qui est un monde manifestement différent (ou autre et nouveau); surtout, il est un discours qui n’est pas du tout en relation de correspondance directe avec le pouvoir politique brut, mais qui, plutôt, est produit et existe au cours d’un échange inégal avec différentes sortes de pouvoirs, qui est formé jusqu’à un certain point par l’échange avec le pouvoir politique (comme dans l’establishment colonial ou impérial), avec le pouvoir intellectuel (comme dans les sciences régnantes telles que la linguistique, l’anatomie comparées, ou l’une quelconque des sciences politiques modernes), avec le pouvoir culturel (comme dans les orthodoxies et les canons qui régissent le goût, les valeurs, les textes), la puissance morale (comme dans les idées de ce que « nous » faisons et de ce qu’« ils » ne peuvent faire ou comprendre comme nous).

En fait, ma thèse est que l’orientalisme est - et non seulement représente – une dimension considérable de la culture politique et intellectuelle moderne et que, comme tel, il a moins de rapports avec l’Orient qu’avec « notre » monde.

Je m’efforce ainsi de montrer que la culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée. »

[Edward Saïd, L'Orientalisme]

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