De l'indignation


Aujourd'hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Ce conflit est la source même d'une indignation. Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009 sur Gaza, dans lequel ce juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l'armée israélienne d'avoir commis des « actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l'humanité » pendant son opération "Plomb durci" qui a duré trois semaines.


Je suis moi-même retourné à Gaza, en 2009, où j'ai pu entrer avec ma femme grâce à nos passeports diplomatiques afin d'étudier de visu ce que ce rapport disait. Les gens qui nous accompagnaient n'ont pas été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza. Là et en Cisjordanie. Nous avons aussi visité les camps de réfugiés palestiniens mis en place dès 1948 par l'agence des Nations unies, l'UNRWA, où plus de trois millions de Palestiniens chassés de leurs terres par Israël attendent un retour de plus en plus problématique.

Quant à Gaza, c'est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s'organisent pour survivre. Plus encore que les destructions matérielles comme celle de l'hôpital du Croissant rouge par "Plomb durci", c'est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire.

Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vu confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. On nous a confirmé qu'il y avait eu mille quatre cents morts — femmes, enfants, vieillards inclus dans le camp palestinien — au cours de cette opération "Plomb durci" menée par l'armée israélienne, contre seulement cinquante blessés côté israélien. Je partage les conclusions du juge sud-africain.

Que des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c'est insupportable. Hélas, l'histoire donne peu d'exemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire.

 Je sais, le Hamas qui avait gagné les dernières élections législatives n'a pas pu éviter que des rockets soient envoyées sur les villes israéliennes en réponse à la situation d'isolement et de blocus dans laquelle se trouvent les Gazaouis. Je pense bien évidemment que le terrorisme est inacceptable, mais il faut reconnaître que lorsque l'on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente.

Est-ce que ça sert le Hamas d'envoyer des rockets sur la ville de Sdérot? La réponse est non. Ça ne sert pas sa cause, mais on peut expliquer ce geste par l'exaspération des Gazaouis.

Dans la notion d'exaspération, il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent. Alors, on peut se dire que le terrorisme est une forme d'exaspération. Et que cette exaspération est un terme négatif. Il ne faudrait pas exaspérer, il faudrait espérer. L'exaspération est un déni de l'espoir. Elle est compréhensible, je dirais presque qu'elle est naturelle, mais pour autant elle n'est pas acceptable. Parce qu'elle ne permet pas d'obtenir les résultats que peut éventuellement produire l'espérance.

 La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre. Je suis convaincu que l'avenir appartient à la non-violence, à la conciliation des cultures différentes. C'est par cette voie que l'humanité devra franchir sa prochaine étape. Et là, je rejoins Sartre, on ne peut pas excuser les terroristes qui jettent des bombes, on peut les comprendre. Sartre écrit en 1947 : « Je reconnais que la violence sous quelque forme qu'elle se manifeste est un échec. Mais c'est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence. Et s'il est vrai que le recours à la violence reste la violence qui risque de la perpétuer, il est vrai aussi c'est l'unique moyen de la faire cesser. »

 À quoi j'ajouterais que la non-violence est un moyen plus sûr de la faire cesser. On ne peut pas soutenir les terroristes comme Sartre l'a fait au nom de ce principe pendant la guerre d'Algérie, ou lors de l'attentat des jeux de Munich, en 1972, commis contre des athlètes israéliens. Ce n'est pas efficace et Sartre lui-même finira par s'interroger à la fin de sa vie sur le sens du terrorisme et à douter de sa raison d'être. Se dire « la violence n'est pas efficace », c'est bien plus important que de savoir si on doit condamner ou pas ceux qui s'y livrent. Le terrorisme n'est pas efficace. Dans la notion d'efficacité, il faut une espérance non-violente.

S'il existe une espérance violente, c'est dans la poésie de Guillaume Apollinaire : « Que l'espérance est violente » ; pas en politique. Sartre, en mars 1980, à trois semaines de sa mort, déclarait : « Il faut essayer d'expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n'est qu'un moment dans le long développement historique, que l'espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections, et comment je ressens encore l'espoir comme ma conception de l'avenir.»

Il faut comprendre que la violence tourne le dos à l'espoir. Il faut lui préférer l'espérance, l'espérance de la non-violence. C'est le chemin que nous devons apprendre à suivre. Aussi bien du côté des oppresseurs que des opprimés, il faut arriver à une négociation pour faire disparaître l'oppression ; c'est ce qui permettra de ne plus avoir de violence terroriste. C'est pourquoi il ne faut pas laisser s'accumuler trop de haine. Le message d'un Mandela, d'un Martin Luther King trouve toute sa pertinence dans un monde qui a dépassé la confrontation des idéologies et le totalitarisme conquérant.

C'est un message d'espoir dans la capacité des sociétés modernes à dépasser les conflits par une compréhension mutuelle et une patience vigilante. Pour y parvenir, il faut se fonder sur les droits, dont la violation, quel qu'en soit l'auteur, doit provoquer notre indignation. Il n'y a pas à transiger sur ces droits.

J'ai noté — et je ne suis pas le seul — la réaction du gouvernement israélien confronté au fait que chaque vendredi les citoyens de Bil'id vont, sans jeter de pierres, sans utiliser la force, jusqu'au mur contre lequel ils protestent. Les autorités israéliennes ont qualifié cette marche de « terrorisme non-violent ». Pas mal... Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non-violence. Il faut surtout être embarrassé par l'efficacité de la non-violence qui tient à ce qu'elle suscite l'appui, la compréhension, le soutien de tous ceux qui dans le monde sont les adversaires de l'oppression....

Stéphane Hessel

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Stéphane Hessel est mort et les enfants perdus se recueillent ce soir.

- Il emporte avec lui à ses côtés, ma solitude et ma tristesse.

- En nous, Nous respections toujours la solitude. Elle ne mentait pas. Elle ne trichait pas. Elle ne trahissait pas.

- Nous nous alanguissions de nos tristesses. C'est par elles que nous accédions à l'universel. C'est par elles que nous débusquions les restes de halo de lumière. C’est par elles que notre doigt pointé touchait la lune.

- Stéphane Hessel fut un intellectuel. Non de ceux qui collectionnaient les ouvrages creux mais bien de ceux qui échappaient à eux-mêmes.

- Stéphane Hessel fut un résistant. Et c'est sans doute l’épreuve du totalitarisme qu'il s'interdisait à reproduire qui fit de son colibri étincelant le plus reluisant des apôtres.

- Stéphane Hessel était juif mais il ne fut pas moins Palestinien.

- Stéphane Hessel était un grand-père, un vieux débris, mais il allait au charbon.

- Stéphane Hessel ne fut ni ce Patachon déchemisé dilapidant la fortune du père, ni Fourest, ni Zemmour, ni Finkielkraut. Ni un incendiaire, ni un intellectuel faussaire. Ni une enclume, ni une rage de dent. Ni un imaginaire plein de clous, ni un marteau. Ni une girouette, ni un phacochère. Ni un chant de Maldoror, ni une veuve éplorée mais une horloge toujours à l’heure. Ni cette humanité décantée mais juste une mosaïque du monde.

- Stéphane Hessel attendait des hommes justes, ils ne furent obstinément que « juste des hommes! »

- Stéphane Hessel s'indignait. Il passait pour un naïf. Nous étions nous les gobe-mouches. Il était un lac de lumière, ses détracteurs un puits de ténèbre. Son corbeau croassait de plus belle, se voyait lucide, averti, calculateur. Cet oiseau de mauvais augure ne fut rien de moins qu’un mulet riant de ses bottes, se grattant le ventre au soleil.

- Stéphane Hessel tenait la marche haute avec son ami Edgar Morin. La systole battait mais nous égarionsla diastole. Ilnous restait le souffle mais nous perdions le cœur.

- Stéphane Hessel avait la grâce de l’agneau, l’élégance du coq et le rugissement du lion. Etrange désuétude, nœud de cravate, rompus pour lors, aux airs boursouflés des marchands de sommeil.

- Stéphane Hessel aimait Walter Benjamin. Donc, Edward Saïd, Mahmoud Darwich flânant coudes à coudes à ses côtés, sur les méandres de l'exil.

- Stéphane Hessel croyait aux droits de l'homme. Je n'y voyais qu’un leurre. Il ne réhabilitait pas moins à mes yeux, le parfum des espérances éthiques.

- Stéphane Hessel aimait les arts majeurs mais de sa voix mineure, il ne fut pas moins le précieux violoncelle des opprimés.

- Stéphane Hessel défendait l'unité quand la vie vous agresse, la cupidité, les apparences et l’intimité divisent.

- Stéphane Hessel était un soleil quand tout fut gelé. Notre époque comme le cœur des hommes !

- Stéphane Hessel était une fleur, moi cette abeille qui butine son nectar et confie à vos souvenirs le goût de son miel.

Allah i rahmik comme on dit chez moi...