Nous nous intéresserons ici à l’émergence de ce concept dans le champ de la recherche scientifique, délaissant pour l’instant celui lié aux mouvements de revendication des premiers concernés et la manière dont ils ont pu contribué à sa production ou bien à le mobiliser, à s’en emparer, etc. ; puisque, dans tous les cas, les traces historiques de cette utilisation sont fragmentaires, c’est d’autant plus vrai dans le champ « militant ».
Nous pensons en réalité que les savoirs scientifiques sont bien souvent, en matière de rapports sociaux inégalitaires (de « races », de classes, et de sexe), la formalisation et la conceptualisation a posteriori des savoirs populaires et « militants ». L'histoire des concepts telle qu'écrite dans les sciences et par les universitaires n'est, en effet, que l'histoire des savoirs universitaires, et non pas des réalités sociales d'une part, et non plus des intelligences et savoirs des « premiers concernés ». Sans nier toutefois les apports intellectuels, et parfois les lucidités des « intellectuels » permettant aux premiers concernés de pouvoir ensuite mieux lire leur propre réalité. « Vivre, n'est effectivement pas toujours connaître, ni savoir ». Dès lors l’histoire de ces concepts universitaires sont les traces laissées par des « phénomènes plus larges », auxquels nous n’avons pas accès pour l’instant : nous nous en contentons tout à fait pour contribuer à cette « histoire ».
Ce qui nous intéresse à travers cette histoire c’est mettre en évidence :
1) en quoi l’émergence du concept de discrimination systémique a pour fonction de différencier deux réalités qui opposent racisme et discrimination systémique ;
2) l’irréductibilité du premier à la seconde, dans la conceptualisation et dans les faits qu’ils recouvrent ;
3) et donc la nécessité pour décrire les réalités de ce que sont les inégalités dans les sociétés modernes basées sur le système capitaliste (c’est vrai en tout cas aux Etats-Unis, en Angleterre et en France où le concept est présent, à différents degrés, sous différents vocables) d’introduire la notion de discrimination systémique. Le racisme, considéré comme d’un point de vue d’une construction basée sur des préjugés et/ou des idéologies, ne pouvant à la fois expliquer les phénomènes réels à l’échelle de ces sociétés et ne pouvant se comprendre que par l’intermédiaire d’une interprétation en terme de discrimination systémique. Ce n’est donc pas la discrimination systémique qui émerge du racisme mais le racisme qui est le produit d’un système social de discrimination.
Quelques éléments d’histoire de concepts liés
L’« histoire » de la notion de discrimination systémique a émergé dans les années 90 dans le discours scientifique et politique en France. Elle est issue plus profondément des réflexions des marxistes noir-américains sur les questions de racisme. A travers la notion de « racisme institutionnel » proposée par Stokely Carmichael (dès 1967), militant du Black Panther Party et de Charles V. Hamilton, professeur « noir-américain » de sciences politiques. Le racisme institutionnel est ici défini par opposition au « racisme individuel » (individual racism) comme : « moins ouvert [que le racisme individuel], bien plus subtile, moins identifiable, par des responsabilités individuelles spécifiques, mais qui n’est pas moins destructeur pour la vie humaine. [Il] réside plus dans des fonctionnements d’ensemble des institutions, qui reçoivent bien moins de condamnation publique que le [racisme individuel] en reçoit ». Le racisme institutionnel est ainsi perçu progressivement comme l’expression d’un système d’oppression qui s’inscrit dans les fonctionnements socio-institutionnel, comme le reprend à son tour le sociologue Robert Brauner au début des années 70. D’autres notions sont par la suite utilisées, parfois de façon synonyme, parfois de façon différenciée, dans le discours scientifique, courant et politique : « racisme structurel » puis « racisme systémique ». Différentes définitions prévalent, nous pouvons ainsi relever celle-ci (plus tardive) relative aux deux premiers termes :
« Le racisme structurel aux États-Unis est la normalisation et la légitimation d'un ensemble de dynamiques - historiques, culturelles, institutionnelles et interpersonnelles - qui avantage systématiquement les Blancs tout en produisant des résultats négatifs, cumulatifs et chroniques pour les personnes de couleur. Il s'agit d'un système hiérarchique et inégalitaire, principalement caractérisé par la suprématie des blancs - le traitement préférentiel, le privilège et le pouvoir donnés aux Blancs au détriment des noirs, des latinos, des asiatiques, des personnes des îles du Pacifique, des amérindiens, des arabes et d'autres personnes racialement oppressées. [...] Le racisme institutionnel se produit dans et par les institutions. Le racisme institutionnel réside dans des traitements discriminatoires, des politiques injustes et l’impact et les opportunités inégales qu’elles confèrent, fondés sur la race, produits et reproduits par les institutions (écoles, médias, etc.). Les individus au sein des institutions prennent le pouvoir de l'institution lorsqu’ils agissent d'une manière qui avantage ou désavantage les personnes, en se fondant sur la race »
L’approche en termes de « racisme institutionnel » sera ainsi développée dans le cadre des recherches nord-américaines, en particulier par les chercheurs noirs-américains, et reprise également par le courant des cultural studies en Angleterre durant les années 80. Quant au troisième terme (« racisme systémique »), il semble plus usité aujourd’hui dans les discours anglo-saxons sur la question, et plus correspondre à ce qu’on peut considérer relever de la définition de ce qui est désigné par « discrimination systémique » en France. Comme le montre par exemple la parution d’un ouvrage récent du sociologue spécialiste de ces questions, Joe R. Feagin. Et ce sans que le terme anglo-saxon (« systemic discrimination »), paraisse avoir une signification véritablement distincte : les deux étant souvent associés, interchangeables.
En France ce débat n’a pas eu d’équivalent aux mêmes périodes et ce jusqu’au début des années 90 : il n’y a ainsi pas de travail conceptuel, semble-t-il, pour ces trois notions dans le champ scientifique et même d’utilisation dans le champ politique français. Ainsi, un colloque organisé en 1991 à Créteil par la Maison des Sciences de l’Homme et le mensuel Passages -qui donne lieu à la publication d’un recueil des interventions dirigé par Michel Wieviorka (« Racisme et modernité » - se fait l’écho lointain du débat des pays anglo-saxons. Dans ce colloque, il y est avant tout question de racisme direct (au sens actuel du terme) : la question des discriminations racistes y est peu présente (notion qui est indiquée à quelques reprises sous la forme « discrimination » et une fois, semble-t-il, sous la forme « discrimination raciale », dans la conclusion de Michel Wieviorka). D'autre part le concept de « racisme institutionnel » est abordé par deux intervenants : par l’un de façon critique, avec une tendance à rejeter cette question comme relevant d’une approche « discutable ». En faisant prévaloir, hypothèse qu’on peut proposer, une vision en termes de classes sociales, qu’il juge irréductibles à une approche en termes de « race ».
L’autre auteur reprenant paradoxalement pour soi, dans sa présentation, le concept de « racisme institutionnel », sans visiblement le remettre en question, ni d’ailleurs qu’il n’y ait de « discussion » avec le premier auteur. Finissons sur ce point en disant que Michel Wieviorka lui-même dans sa conclusion de l’ouvrage escamote tout simplement la question du « racisme institutionnel » évoqué par les auteurs précédents. Et ce, en indiquant qu’il préfère, plutôt que de revenir sur cette notion « critiquée », lui substituer la question de « la lutte contre le racisme lorsqu’il traverse une institution, au sens large, ou lorsqu’en tout cas elle a une responsabilité dans son extension » : réduisant ainsi le sens du concept, dans un mouvement symptomatique de ce qu’est alors l’approche scientifique et politique dominante de la question. Cette posture révèle bien les blocages épistémologiques spécifiquement français à l’émergence et au développement des travaux sur les discriminations systémiques, qui nécessiteraient un long développement, mais que pointe déjà la réflexion encore une fois pionnière en la matière d’Abdelmalek Sayad . Blocages qui également seront l’enjeux d’un travail permettant l’émergence d’un véritable champ sociologique sur ces questions (qu’on l’appelle sociologie de l’immigration, sociologie des relations « interethniques » ou sociologie de la domination).
Ainsi, dès cette période des travaux scientifiques vont faire progressivement changer la situation : ainsi le travail de l’URMIS permet à Véronique De Rudder en 1995 de faire état, dans le dictionnaire des notions et concepts que publie l’URMIS, du débat nord-américain sur ces questions dans l’article « Discrimination ». Ceci en comparant le travail de conceptualisation portant sur la « discrimination structurelle », le « racisme institutionnel » et le « racisme systémique » et la conception française qui s’arrête seulement à concevoir à l’époque les discriminations comme directes. On se situe donc déjà dans une approche posant le sens premier du concept.
Dès le début des années 90, des enquêtes de terrain à partir de données statistiques commencent à mettre à jour timidement les spécificités du vécu discriminatoire des personnes immigrées ou issues de l’immigration. Ce sont des enquêtes qualitatives dans le champ de l’emploi, s’appuyant sur les syndicats (CGT, CFDT), faites par l’école de l’URMIS et également Philippe Bataille. Ainsi dans le champ de la recherche française, se mettent en place les éléments pour une conceptualisation de la discrimination raciste, en articulant progressivement les trois concepts de discriminations directe, indirecte et systémique et en développant donc cette dernière notion.
Le concept de discrimination raciste s’affine ainsi à travers différentes approches et sous-concepts (discrimination légale, discrimination institutionnelle, discrimination statistique, etc.), dont la finalité rétrospective est de définir relativement la discrimination systémique aux autres formes (cf. ci-après). Ainsi, pour Philippe Bataille, même si la définition reste peu conceptualisée, la discrimination systémique relève d’un « système discriminatoire » qui établit « le lien entre racisme, crise économique, crise urbaine et doute identitaire ». Ou encore la définition, beaucoup plus conceptualisée, qu’en donnent les membres de l’URMIS dès 1998 :
« On peut ainsi distinguer (au moins) trois conceptions de la discrimination : une définition limitative, la discrimination directe définie comme un ensemble d’actes volontaires, intentionnellement discriminatoires ; une deuxième définition, plus extensive, la discrimination indirecte qui prend en compte les situations objectives de traitement inégalitaire mettant en cause des individus ou des groupes, indépendamment de toute intentionnalité discriminatoire, en termes ethniques ou raciaux ; enfin une troisième définition très large, la discrimination systémique qui relève des effets globaux du système social ».
Cette définition déjà très achevée de la discrimination systémique s’inscrit, dans ce travail, comme une définition générale de la discrimination. : expression de rapports sociaux spécifiques, processus de production et de reproductions des rapports de domination dans notre société, nécessitant d’articuler différentes formes de dominations, qui structurent bien le cadre d’existence des discriminations systémiques.
On voit dès lors, selon nous, que l’enjeu de la présentation des discriminations systémiques réside fondamentalement dans la possibilité de les montrer et de les faire appréhender socialement, politiquement, et à l’échelle de la société, comme ce qu’elles sont. C'est-à-dire à la fois un système et les effets d’un système, et la fonction jouée par elles :
1) une fonction matérielle de régulation du rapport de classes dans le contexte social de notre société capitaliste ;
2) En particulier permettant de produire une répartition inégale (tout en la « justifiant » socialement) des biens, qu’ils soient symboliques et/ou sociaux : travail, logement places sociales, capitaux, etc.) dans un contexte de raréfaction de ceux-ci, etc. ;
3) ce tout en masquant - à la fois- cette situation quand c’est possible, la naturalisant donc lorsque c’est nécessaire, faisant diversion également lorsque la situation le nécessite.
Si on compare racisme, racisme institutionnel et discrimination systémique, on voit qu’il y a d’une part, une progression historique dans la production des concepts, et d’autre part une progression dans les phénomènes progressivement englobés et également dans le niveau d’intégration des dimensions sociales et sociétales prises en compte.
Ainsi le racisme considéré comme racisme direct ne rend pas compte des mécanismes de racisme institutionnel qui permet, dès lors, d’appréhender la production d’inégalité par les effets d’un système. Toutefois, selon nous, racisme institutionnel et discrimination systémique ne sont pas équivalents. La notion de discrimination systémique introduisant une dimension globale du système social, en mettant l’accent sur les mécanismes macro-socio-économiques et sur la spécificité que représente la réalité capitaliste de ce système, producteur et reproducteur des inégalités, en particulier fondées sur la « race ».
On peut ainsi construire le tableau suivant des caractéristiques de ces trois niveaux d’approche des questions, qui constituent trois paradigmes :
1) Racisme : Les réalités discriminatoires se limitent à du racisme individuel. Le racisme est de l’ordre des mentalités.
Place du concept de « système » dans celui-ci : Il n’y a pas de système ou au mieux un « système social » de reproduction des mentalités racistes, voire un système idéologique.
Points aveugles du paradigme : Les discriminations sans racisme (l’essentiel des discriminations) et le système qui les produit !
2) Racisme institutionnel : Le racisme ne se limite pas au racisme individuel, il y a des discriminations produites par les institutions, ils sont le produit de ses fonctionnements.
Place du concept de « système » dans celui-ci : Le système c’est l’institution, qui peut être très générale (englobant la société).
Points aveugles du paradigme : Les causes profondes des discriminations et les interactions entre toutes les parties du système, entre racisme, racisme institutionnel et système social. )
3) Discrimination systémique : Les phénomènes sont le produit d’un système complexe : racisme, racisme institutionnel, etc., sont en interactions complexes dans le système et font système.
Place du concept de « système » dans celui-ci : Le système c’est le système des discriminations avec les fonctions sociales qu’il jouent replacé dans le système macro-socio-économique capitaliste global.
Points aveugles du paradigme : Il sera possible de le dire lorsque ce paradigme sera dépassable (et donc dépassé).
Pour finir provisoirement sur ces éléments, ajoutons deux remarques qui nécessiteraient de longs développements. Premièrement, que la situation actuelle concernant le concept de discrimination systémique est celle qu’a connu globalement celui de discrimination depuis une dizaine d’années maintenant. Après l’avancée théorique et politique de l’introduction de ce concept, celle-ci a été progressivement repoussée du centre des débats publics par l’introduction de plusieurs vagues de notion et de débats (tels que « l’égalité des chances », la « discrimination positive », les statistiques dites « ethniques », le « communautarisme », la « diversité », etc.), en déplaçant insidieusement les paradigmes pour penser et agir politiquement la question. Nouveaux débats, dont les effets eux-mêmes de brouillage de la question, procèdent donc de mécanismes de défense du système selon nous.
Deuxièmement, la question de la discrimination systémique rejoint également les développements de la théorie des discriminations multifactorielles (articulant sexe, « race » et classe) que nous ne pouvons développer ici, mais qui convergent vers la prise en compte de la question dans un contexte social global, c’est-à-dire comme système global d’articulation et de co-formation de différentes formes de dominations qui s’alimentent, se génèrent, et se renforcent corrélativement.
Conclusion
Si on synthétise ce qui vient d’être dit, on peut voir que, premièrement, la notion de « discrimination raciale » émerge du débat en France sur les causes des inégalités subies par les personnes immigrées ou issues de l’immigration en opposant, grosso modo, deux positions. D’une part les tenants d’une thèse explicite des causes liées au « défaut d’intégration » des personnes racisées et de l’existence irréductible d’un racisme idéologique et/ou préjugé pour les expliquer et, de l’autre, les tenants de causes structurelles, sociales et faisant système pour expliquer les discriminations subies. Et ce considéré comme étant un ensemble de mécanismes prévalant aux traitements inégalitaires, socialement construits, de groupes racisés, s’inscrivant dans les structures, les institutions et les relations sociales. Ceci même au sein de la société française, mais comme dans d’autres sociétés : avec une spécificité propre à chacune, découlant du contexte socio-historique de construction des différents groupes racisés. La spécificité supplémentaire du contexte français étant la difficulté particulière de l’émergence de ces questions mêmes à la fois dans le champ scientifique et dans le débat public : propriété particulière du système français contribuant à la reproduction les discriminations.
Deuxièmement, dans ce débat l’enjeu central de la définition de la discrimination est donc, dans tous les cas (quelle que soit la situation des contextes socio-nationaux des différents débats qui y président), de distinguer le noyau de ce que constitue la « discrimination systémique ». C'est-à-dire la spécificité de la « discrimination systémique » par rapport à des formes de « discrimination directe ». Ce qui est l’enjeu dès le débat initial porté par l’introduction de la notion de « racisme institutionnel », telle que définie par Carmichael et Hamilton, fin des années 60 aux Etats-Unis. Avec également une spécificité à la situation dans notre société : le faible ancrage du concept de discrimination systémique, sa faible mobilisation, sa faible conceptualisation propre aux spécificités de notre société. Faiblesse dont on peut faire l’hypothèse qu’elle correspond également à une caractéristique du système social de discriminations propre à la France.
Au-delà, de cet enjeu c’est bien la question du sens profond des discriminations systémiques prises non seulement comme système explicatif, mais également à la fois dans sa fonction matérielle de reproduction des inégalités, et comme image du système socio-économique global qu’est le système capitalisme. Production et reproduction qu’il engendre d’un ensemble d’inégalités individuelles et collectives, et qui produit dans le même mouvement la distinction de groupes sociaux. Groupes différenciés sur des marqueurs tantôt ethniques, sociaux, sexuels, etc., qui sont le support de la production et de la reproduction du système de répartition inégale des richesses généralisées (économiques, sociales, symboliques, culturelles, etc.). La discrimination systémique c’est donc le système et le système socio-économique global c’est la discrimination systémique.
Bien que le concept de discrimination systémique ait été proposé dans le cadre d’approches sociologiques convergentes (en France et dans le contexte anglo-saxon, avec un décalage dans le temps cependant), il n’a aujourd’hui, dans le contexte français, quasiment aucune extension scientifique, il ne fait l’objet quasiment d’aucuns travaux de recherche à notre connaissance, et reste donc un concept scientifique flou et in-opératoire pour faire avancer la recherche dans ce champ. En effet, on l’a vu, le concept de discrimination systémique repose sur la reconnaissance de l’existence de mécanismes sociaux qui correspondent à des « effets globaux du système social » pour expliquer les réalités vécues par les personnes qui les subissent, au-delà de simples relations interindividuelles auxquelles se limitent le plus souvent la conception des discriminations qui se confondent avec un racisme en acte, sous-entendu « racisme directe » (cf. la définition donnée ci-dessus par l’école de l’URMIS).
Il y a donc dans le concept de discrimination systémique plusieurs éléments qui posent problème :
Premièrement, son usage dans le champ politique et scientifique relève d’un enjeu discursif à valeur scientifique (dire comment est le monde social) et politique (dire comment devrait être ce monde), qui semble être lui-même un processus porteur du maintien du système discriminatoire. En cela ces usages sont porteurs d’une récursivité dans le système : les discours contribuant ainsi à la production et à la reproduction du système social qui produit les discriminations racistes.
Deuxièmement, le concept de discrimination systémique, par l’usage du terme « systémique », se situe de fait dans le champ de la complexité des systèmes sociaux (ou plus généralement des systèmes), et donc plus ou moins explicitement dans ce qu’on peut appeler les théories des systèmes complexes. Là encore il y a à la fois une dimension discursive d’usage politique de la complexité et scientifique qu’il s’agit de comprendre. Dans le même temps cette dimension fait l’intérêt scientifique de cette notion à travers l’approche systémique de la complexité, à partir de ce que peut être une théorie systémique du social. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le concept de discrimination systémique reste peu approprié : parce que justement, même si une approche systémique en sociologie a fait certains progrès, une telle approche n’a que peu de développements réels aujourd’hui. En fait il y a là un paradoxe : le terme de discrimination systémique est de plus en plus en usage dans le langage courant, par de plus en plus de personnes, qui mettent ainsi un mot sur quelque chose qu’ils n’appréhendent pas complètement, mais tout en se traduisant par une appropriation en surface d’un mot qui n’obtient pas de sens précis et approfondi.
Troisièmement enfin, le concept de discrimination systémique a une valeur explicative à la fois développée et limitée : en indiquant que les discriminations racistes relèvent de « discrimination systémique », il s’agit d’expliquer un mécanisme. Mais de part le faible développement de ce concept, cette explication reste à la surface des choses, et une fois énoncée cette réalité, on se trouve dans la quasi impossibilité de dire précisément « comment ». Ainsi l’enjeu du concept de discrimination systémique nous semble-t-il être la compréhension fine de ces mécanismes et donc leur explication : la notion de discrimination systémique jouant le rôle de boîte noire, qu’il s’agit d’ouvrir. Le cadre global de ce projet est donc la contribution à la compréhension des discriminations systémiques.
Pour finir disons que les discriminations racistes systémiques sont un aspect d'un système plus vaste : l'ensemble des processus produisant et reproduisant le capitalisme et son cœur (l'exploitation). Précisions qui mettent l’accent à la fois sur la spécificité et l'autonomie de ce champ et de ce concept (concept et processus spécifique qui ne sont ni réductibles, ni solubles dans les autres outils utilisés par le même système capitaliste), mais aussi sur son caractère lié et relatif de cette autonomie.
La conclusion qu’appelle ces différentes remarques c’est la nécessité de construire un programme de recherche cohérent et ambitieux, pour contribuer à mieux clarifier et développer ce concept. Et d’autre part, ce dont on ne peut se passer, au risque de voir se « faner » le concept est de faire en sorte que celui-ci et son utilisation politique soit aujourd’hui approprié et enrichi des contributions du mouvement social concernés par les questions posées par la place de l’immigration et les inégalités qu’elles vivent dans notre société.
Yvon Fotia
1 commentaire:
Putain y'a plus de notes que de texte !...
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