« L’association des termes féminisme et islam ne se pose qu’à l’interrogatif : « existe-t-elle? », « est-elle possible? ». Or, il faudrait vraisemblablement commencer toute interrogation associant les termes « femme », « féminisme » et « islam » par la déconstruction de l’évidence d’une telle question. Traiter de la question de « la femme en Islam », s’interroger aujourd’hui sur le « statut » des femmes musulmanes et l’adéquation possible entre l’islam et l’égalité des sexes est le fruit d’une élaboration historique. On ne s’interroge pas aussi fréquemment sur les « femmes dans le judaïsme », on ne voit pas exposée ici et là la question de la « femme en chrétienté ». Or, il est certain que cela ne tient pas à la nature des textes sacrés juifs et chrétiens, et encore moins aux conditions des vies des femmes chrétiennes et juives qui varient considérablement selon qu’elles vivent au Nord ou au Sud. Dès lors, il saute aux yeux que seules les musulmanes sont désignées par leur religion, c’est-à-dire qu’on impute à l’islam une influence fondamentale sur leurs conditions de vie.»
« Dans le contexte récent des « révolutions arabes » certains observateurs ont considéré que ces mouvements de protestation populaires, dans leur remise en question de l'autoritarisme, ont aussi impulsé un questionnement quant à l'islam de pouvoir et à l'orthodoxie musulmane. La présence massive des femmes dans les rangs des manifestants et la centralité de leur implication dans les processus révolutionnaires replacent les questions de genre au coeur des mouvements sociaux et populaires. Il faudra suivre les répercussions réelles de l'activisme et de l'engagement massif des femmes dans les révoltes arabes, que ce soit sur le plan des mentalités, de la pensée musulmane et dans le domaine législatif ».
« A cette étape de l'histoire, on peut affirmer sans trop se tromper qu'en terres d'islam, un grand nombre de femmes ont pris conscience de l'apport libérateur du message spirituel du Coran. Elles ont parfaitement compris que ce n'est pas l'islam qui les empêche de se libérer. Ce discours ne tient plus car elles sont de plus en plus nombreuses à avoir pris conscience de la manipulation dont elles ont été les victimes au nom du sacré. Elles ont compris que cette fois, l'histoire du monde musulman, toujours en marche, ne se fera pas sans elles. En témoigne, entre autres, leur présence massive et effective lors des récentes révolutions arabes ... »
« ... à travers ce croisement entre champ féministe et champ islamique, le féminisme musulman introduit des remises en questions fondamentales à l'intérieur des deux champs. Dans le champ féministe, il remet en question la domination du modèle occidental colonial et néocolonial qui s'est imposé comme étant l'unique voie de libération et d'émancipation, ainsi que l'idée que le féminisme serait antinomique au religieux et imposerait une mise à distance de celui-ci ... cette critique féministe postcoloniale, guidée par le lien conceptuel entre racisme, impérialisme et colonialisme, s'est vigoureusement attaquée à la prétention du féminisme colonial à déterminer pour les femmes du Sud les modalités de leur émancipation. »
« ... de façon ironique, aussi bien l'assimilation à l'islam d'idées et de coutumes non-musulmanes venues d'Occident que les tentatives pour résister à cette assimilation peuvent expliquer nombre des transmutations et des distorsions qui existent dans l'islam actuellement. »
« Les représentations sociales de la femme musulmane européenne tels qu'elles apparaissent dans l'idéologie coloniale féministe semblent avoir un impact sur l'appréhension du concept de féminisme musulman par certaines féministes en Europe. Cette vision stéréotypée nous renvoie à la substance d'un discours qui se revendique universaliste mais qui essentialise le statut des femmes musulmanes pour justifier une posture de supériorité en terme de projet d'émancipation. »
« Le discours des féministes musulmanes en Europe s'inscrit dans un cadre purement et simplement islamique, mais il est aussi important de mettre en évidence qu'il s'agit d'un féminisme à l'intérieur du féminisme. Il part d'une appartenance religieuse pour arriver à des principes universels, il part des particularités pour défendre des valeurs communes ».
« En France, les musulmanes féministes ne reconnaissent pas de hiérarchie entre, d’un côté, lutter contre la domination masculine et promouvoir des lectures de l’islam en accord avec leurs convictions féministes et, de l’autre, lutter contre le racisme, l’islamophobie qui les stigmatisent elles et leurs frères, les renvoyant à cet Autre, archaïque et obscurantiste. Cette imbrication de l’antisexisme à l’antiracisme n’est pas une question de choix, c’est une posture face à une double oppression. Partant de cela, les musulmanes se réapproprient le féminisme, le redéfinissent, le nourrissent et contribuent ainsi à son renouvellement. Cette militance nouvelle, par la diversité des composantes (sociales, religieuses, générationnelles, en terme de parcours militants, etc.), permet en réalité de décloisonner le féminisme, de le placer au coeur des débats sur les inégalités sociales, raciales et de genre. »
Zahra Ali
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